<i class='fa fa-lock' aria-hidden='true'></i> Lu à l’étranger. Biélorussie : un État ambitieux au cœur de l’Europe

11 mars 2023

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Lu à l’étranger. Biélorussie : un État ambitieux au cœur de l’Europe

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Les études sur la Biélorussie (ou Bélarus) sont rares, participant du secret et de la méconnaissance de ce pays pourtant au cœur de l’Europe de l’Est. L’ouvrage publié par Aleksej Dzermant, l’un des rares géopolitologues du pays, est donc d’autant plus précieux qu’il permet non seulement de comprendre l’organisation du Bélarus mais aussi la façon dont ses intellectuels pensent sa mission en Europe. Non traduit en français, nous en proposons ici une lecture exclusive.   

Aleksej Dzermant, Le Bélarus c’est l’Eurasie : les confins de la Russie et de l’Europe, Minsk et Moscou, Rodina, 2021, 330 pages.

Lecture et analyse par Olivier Roqueplo, et K.Kenina.

Le Bélarus (9 millions d’habitants) est vu trop souvent comme un simple satellite de la Russie. Pourtant il se considère encore comme socialiste, à la différence de la Russie ; son économie est en partie tenue par le secteur public. Le pays a cependant réussi à moderniser à la chinoise et à rentabiliser son agriculture et ses industries de pointe, devenues exportatrices. Il a réussi à éviter la crise sociale des années 1990 qui a détruit les classes moyennes de l’ex-URSS, d’où une relative popularité ancrée dans le temps du Président Lukashenko. Mais le pays est soumis à des tensions : pression occidentale, pression russe, tension entre les moitiés est et ouest du pays aux tropismes opposés, errements politiques internes, revendications démocratiques à l’occidentale chez les citadins. D’où la Révolution des Hipsters en 2020 et le livre que nous présentons, écrit dans ce contexte.

Une étude rare sur la Biélorusse

L’auteur, Aleksej Dzermant, est politologue et ethnologue. Il nous livre ici une vision globale de la géopolitique du Bélarus. L’auteur est peu connu hors de son pays, mais il est l’un des seuls théoriciens de la géopolitique biélorussienne. Le livre développe cette vision selon cinq régions.

Il aborde d’abord l’ensemble Bélarus-Russie-Ukraine. Dzermant explique que l’unité de ces peuples est fondamentale en termes de civilisation ; d’autre part il affirme la spécificité de chacun de ces États. L’auteur se place à distance des idéologues des trois pays. Il s’écarte des nationalistes orthodoxes de Russie et des néo-Soviétiques qui voudraient réabsorber le tout, comme des libéraux russes et des nationalistes ukrainiens et biélorussiens qui veulent couper les ponts entre les trois États. Dzermant constate qu’il est trop tard pour rétablir une URSS postsocialiste, car depuis 2000 les sociétés ont divergé. Et pourtant une certaine réunion des trois États est selon Dzermant nécessaire, car ces peuples sont complémentaires.

La spécificité de la Russie est son orientalité : elle doit peupler la Sibérie et son Extrême-Orient, et développer ses relations avec la Chine. La spécificité du Bélarus est son occidentalité : c’est le « pays du Front » qui peut devenir le pont UE-Union eurasienne, ou au contraire, comme en 2022, un « État-citadelle » opposé à l’expansionnisme de la Pologne et de l’OTAN. Simultanément, le Bélarus joue le rôle de temporisateur dans la solution du conflit ukrainien depuis 2014. En ce qui concerne l’Ukraine, Dzermant hésite au sujet de sa spécificité.

Puis il aborde l’espace « Eurasie du Nord » (ex-URSS). Il prône le développement de l’intégration politico-militaire (OTSC), mais aussi scientifique et économique (Union économique eurasienne) des États de la région. Celle-ci est une « civilisation originale » avec sa propre mentalité et la trinité « Eurasie-socialisme-universalisme », mais Dzermant ne la relie pas au néo-eurasisme de Douguine. La construction nord-eurasienne est indispensable à toutes les ex-R.S.S., car la mondialisation met en concurrence des « pôles de puissance » à la tête de grandes régions de plus de 250 millions d’habitants. Maintenir cette taille critique est une nécessité économique et politique pour tous, pour le Kazakhstan, l’Arménie, le Tadjikistan et le Bélarus, tous confrontés aux menaces de déstabilisation venues de l’Est ou de l’Ouest.

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L’auteur explique que l’intégration nord-eurasienne traîne faute de prendre en compte le temps long, en particulier dans le cas de l’Ukraine : il faut reconsidérer les particularités de chaque État en remontant au moins au début de l’ère soviétique.

En effet, Dzermant définit l’identité du Bélarus suivant des codes socioculturels, tous soviétiques : territoire de confins, « esprit des partisans », universalisme, communauté eurasienne, « Nation de travailleurs ». Il avance la thèse que tout État où l’élément biélorussien était fortement représenté (Grand-Duché de Lituanie 1250-1795, Empire de Russie 1795-1918, URSS 1922-91), avait des « caractéristiques eurasiennes » déterminant son « essence idéologique ».

Dzermant passe ensuite à l’Europe. Alors que le Bélarus devrait être plus européen qu’eurasien, l’auteur souligne que les Occidentaux ne reconnaissent pas l’européanité de son pays. Il cite les discours de Macron et montre qu’ils réfutent les postulats europhiles des libéraux biélorussiens (et ce bien avant 2022). Pour Dzermant, le Bélarus n’a pas de place dans cette Europe-là qui est la source de sa déstabilisation.

Le Bélarus est donc le « front de l’Eurasie » face à l’UE et à l’OTAN. Dzermant expose la menace séculaire de la Pologne contre le Bélarus : un expansionnisme militaire, soutenu par l’OTAN. La Pologne revendique officieusement la moitié ouest du Bélarus et ses communautés polonophones et catholiques, pourtant bien intégrées à la société biélorussienne. 

La question polonaise renvoie aussi à l’espace du Grand-Duché de Lituanie. Cet État (1250-1795) comprenait surtout la Lituanie, le Bélarus, et les régions russes de Smolensk et Briansk. Sa langue officielle était le vieux biélorussien et son centre de gravité était autour de l’actuelle frontière avec la Lituanie. Dzermant ne veut pas laisser ce grand héritage entre les mains polonaises qui le revendiquent. Aussi prône-t-il une politique mémorielle autour du Grand-Duché, ce qui est l’une des originalités de la vision de Dzermant.

De l’Europe, Dzermant passe à l’Asie et aux Routes de la Soie. Il estime qu’elles sont une source de bénéfices économiques importants pour l’Eurasie du Nord et le Bélarus. Ce pays est un maillon clef de la Route à la jonction avec l’UE et pouvait devenir son « caravansérail » (jusqu’en 2022). Mais l’auteur pense que la Chine est aussi capable d’absorber toute l’Eurasie du Nord. Il faut donc peupler les confins sibériens. Ce chantier concerne, selon lui, aussi les Biélorussiens, les Ukrainiens, les Ouzbeks, car il faut éviter une expansion chinoise et l’équilibrer. D’autre part, le Bélarus doit pousser la Russie et le Kazakhstan à construire une Union économique eurasienne solide et « endogène » avant que la Chine n’impose ses intérêts en formulant sa propre communauté économique continentale.

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Apports critiques 

Malgré la densité du livre, on regrettera des manques. Il n’y a rien sur le lien idéologique qui unit le Bélarus socialiste et la Chine populaire. La Chine n’est-elle pas aussi pour le Bélarus un contrepoids face à la Russie ? Le livre ne se lit pas facilement. Surtout, la « perpétuelle » dimension eurasienne des entités biélorussiennes successives est défendable, mais parfois un peu forcée.

Le livre est aussi représentatif d’une évolution géopolitique majeure. L’auteur écrivait dans les années 2010 que le Bélarus était à équidistance géopolitique de l’Europe occidentale et de la Russie, une vision qui était parfois reprise par Lukashenko. Que le même auteur en arrive à une perspective toute eurasienne aujourd’hui indique que la « Révolution des Hipsters » de l’été 2020 a tué l’option européenne.

Enfin, l’auteur nous montre que c’est  moins la Russie qui continue l’URSS que le Bélarus : un pouvoir toujours socialiste au sens strict, mais aussi l’intérêt pour l’Asie centrale, cette façon  soviétique de décrire l’ethnogénèse, etc. Le petit Bélarus est en réalité un État ambitieux qui se pense toujours à l’échelle de l’ex-URSS et qui veut peser sur l’ensemble de ce grand espace.

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Olivier Roqueplo et Jekaterina Kenina

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