Début août 2022, pour protester contre la visite de Nancy Pelosi, présidente de la Chambre des représentants américaine, l’Armée populaire de libération, bras armé du Parti communiste chinois, a lancé une série d’exercices dans le détroit de Taïwan, les plus importants depuis 1995-1996. Il s’agissait pour Pékin d’établir un rapport de force avec Washington, garante de la stabilité dans le détroit et plus globalement dans la région.
Il s’agissait aussi de tenter de mettre un terme à une évolution préoccupante pour le pouvoir chinois : le tabou des visites officielles à Taïwan s’effrite comme le démontre la multiplication des échanges au niveau parlementaire en provenance des États-Unis, mais aussi du Japon et de l’Union européenne. Il s’agissait enfin de tenter de remettre en cause le statu quo en imposant la position chinoise de négation du caractère international des eaux du détroit de Taïwan.
Le positionnement des États-Unis
Pour les États-Unis, la stabilité dans le détroit de Taïwan est devenue un enjeu majeur, au fur et à mesure que se renforçaient les pressions exercées par la République populaire de Chine (RPC). En la matière, il y a continuité depuis l’administration Obama, avec le rééquilibrage vers l’Asie qui avait pour objectif de répondre à la montée en puissance d’une Chine de plus en plus agressive dans son environnement. Mais c’est sous l’administration Trump que les décisions les plus significatives ont été prises. L’aide militaire à Taïwan a été considérablement renforcée, avec notamment la livraison de 70 F 35, suspendue sous l’administration Obama.
Au-delà, les contacts avec Taïwan ont été renforcés, de l’acceptation par Donald Trump d’un appel téléphonique de la présidente Tsai Ing-wen au lendemain de son élection au mois de novembre 2016, à la levée des contraintes pesant sur les contacts officiels avec Taïwan. Le 1er septembre 2021, Mike Pompeo a mis un terme à toutes les restrictions pesant sur les interactions diplomatiques avec des homologues taiwanais. Les États-Unis ont aussi multiplié les passages de bâtiments militaires dans le détroit de Taïwan. Plus globalement, face à la Chine, le rapport du département de la défense sur la stratégie indopacifique des États-Unis, publié le 1er janvier 2019, insiste sur le combat idéologique et le concept de valeurs communes des démocraties libérales face aux régimes autoritaires, Taïwan se situant aux avant-postes de ce conflit fondamental. Alors que Taïwan est qualifié de partenaire naturel et digne de confiance (reliable) des États-Unis, la Chine est présentée comme le principal obstacle à la poursuite d’un ordre international fondé sur le droit.
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En la matière, en dépit du changement de majorité, l’administration Biden a conservé le même positionnement, la question de la montée en puissance de la Chine étant l’un des points de consensus entre républicains et démocrates. La nouvelle stratégie indopacifque des États-Unis publiée en 2022 confirme et prolonge le document publié sous l’administration Trump. Elle dénonce la RPC « qui cherche à devenir la puissance la plus influente dans le monde, et exerce une pression croissante sur Taïwan ». La stratégie d’agression et de coercition de la RPC est spécifiquement mentionnée, et Taïwan est cité huit fois. L’île est définie comme un des premiers partenaires régionaux des États-Unis aux côtés de l’Inde, de l’Indonésie, de la Malaisie, de la Mongolie, de Singapour, du Vietnam et des îles du Pacifique. Taïwan est aussi intégré – au-delà des tensions bilatérales avec la RPC – au dispositif de sécurité des États-Unis en Asie-Pacifique.
De son côté, Joe Biden a déclaré que les États-Unis travailleront avec leurs partenaires régionaux et extrarégionaux pour maintenir la paix et la stabilité dans le détroit de Taïwan, y compris en soutenant le développement des capacités d’autodéfense de Taïwan et en renforçant les capacités de dissuasion. Si les officiels américains ont systématiquement réaffirmé l’absence de changement de la politique américaine d’une seule Chine, le président a multiplié les déclarations sur l’utilisation de la force militaire par les États-Unis pour défendre l’île si elle était attaquée, comme sur CBS en septembre 2022. Enfin l’administration Biden a poursuivi la politique de ventes d’armes à Taïwan. Le 14 septembre 2022, le Sénat a approuvé une nouvelle livraison d’armement pour un montant de 4,5 milliards de dollars.
Une Chine toujours plus agressive dans ses déclarations
Du côté chinois, on retrouve une vision en miroir qui dénonce la volonté d’encerclement et de containment des États-Unis et place également Taïwan au cœur de cette confrontation comme le souligne les propos du ministre de la Défense chinois au Shangri-La Dialogue de 2022. Dans la vision chinoise d’un ordre régional défini par Pékin, d’où les États-Unis seraient exclus, Taïwan est une affaire intérieure de la Chine, la réunification est « inévitable », et plus les perspectives de cette réunification s’éloignent, plus la RPC l’affirme avec intransigeance. Les dirigeants chinois et l’appareil de propagande dénoncent le jeu de « certains pays » qui « utilisent la carte de Taïwan », contre la Chine.
De son côté, à l’occasion du centième anniversaire de la création du Parti communiste en 2021, Xi Jinping déclarait que la réalisation de la réunification complète de la Chine était une « mission historique » appelant « tous les fils et filles de la nation chinoise » a créer un « futur brillant pour le renouveau national ». Taïwan est donc à la fois au cœur des ambitions chinoises de puissance, et de la rivalité avec les États-Unis, seule puissance susceptible de contrôler à long terme ces ambitions chinoises dans l’Indopacifique.
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Taïwan, au cœur des équilibres stratégiques régionaux
Le verrou taïwanais, situé entre l’archipel japonais et l’archipel philippin, ferme la chaîne d’îles qui s’étend des Kouryles jusqu’aux confins de l’Indonésie. Ce verrou contraint le passage des bâtiments chinois vers le Pacifique ouest. Par ailleurs, le détroit de Taïwan est devenu la principale voie de passage vers l’Europe, le Japon, la Corée, et l’Asie du Sud-Est, rendant particulièrement improbable le contrôle de cette voie de passage vital par la RPC. Économiquement, Taïwan est en effet au cœur des échanges et des lignes d’approvisionnement dans des secteurs aussi vitaux pour l’économie mondiale que les semi-conducteurs. 20e puissance économique mondiale, Taïwan contrôle la majorité de la production des semi-conducteurs de dernière génération et poursuit ses avancées en la matière. Au cours des six premiers mois de l’année 2022, près de la moitié du trafic des porte-conteneurs a transité par le détroit de Taïwan, et ce chiffre s’élève à 88 % lorsque l’on ne prend en compte que les bâtiments les plus importants. Et une partie essentielle de ces échanges s’effectue en provenance ou à destination des ports chinois. Un éventuel conflit dans le détroit aurait des conséquences immédiates sur l’ensemble de l’économie mondiale.
Taïwan, avant-poste de la démocratie
Comme le déclarait la présidente Tsi Ing-wen en octobre 2022 à l’occasion de la fête nationale, « la défaite de la démocratie taïwanaise serait la défaite de toutes les démocraties ». C’est une réalité depuis que le processus de démocratisation de l’île a été amorcé avec succès dans les années 1980 alors que de son côté le régime chinois, après une période de relative ouverture, a choisi le repli idéologique, l’irrédentisme et le nationalisme comme fondements de sa légitimité. Taïwan est aujourd’hui la cible principale des stratégies « grises » de la part de la Chine, qui vont des attaques cybernétiques à la propagande et aux opérations de désinformation en passant par les stratégies d’influence, qui s’appuient sur les groupes d’intérêt, les partis politiques ou les médias proches de Pékin. Dans le même temps, Taïwan se positionne à la pointe de la protection des règles de droit et des valeurs constamment mises en avant dans les démocraties occidentales, et qui justifient par exemple le soutien accordé à l’Ukraine face à l’agression russe. À ce titre, Taïwan constitue aussi un défi idéologique majeur pour le régime chinois qui conteste le principe même du caractère universel de ces valeurs démocratiques.
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Taïwan, un enjeu global
Au-delà du détroit, et de l’espace indopacifique, Taïwan est devenu un enjeu global pour les puissances démocratiques confrontées au révisionnisme des autocraties. Dans l’environnement régional le plus immédiat, en dépit des contraintes qui continuent de peser sur ses capacités de défense, le Japon réaffirme que la stabilité dans le détroit de Taïwan est un élément essentiel pour la sécurité de l’archipel. À l’autre extrémité de cet espace, la stratégie européenne pour la coopération dans l’Indopacifique note également avec préoccupation les tensions dans le détroit de Taïwan. La sécurité et la prospérité de l’Union européenne sont donc directement liées à la stabilité dans le détroit de Taïwan. Et l’île est définie comme un partenaire économique, mais aussi en matière de démocratie et de droits de l’homme.