Avec la fermeture des robinets russes, la mer Caspienne devient un enjeu gazier essentiel. Ses gisements lui donnent une place de choix dans le jeu énergétique mondial, d’autant que BP vient d’annoncer de nouveaux investissements.
Article original paru sur Eurasianet. Traduction de Conflits.
Le géant pétrolier britannique BP a commencé à forer deux nouveaux puits d’exploration pour rechercher du gaz dans les profondeurs de la mer Caspienne.
Cette annonce intervient alors que l’Azerbaïdjan importe du gaz d’Iran et de Russie pour répondre à la fois à la demande intérieure croissante et aux contrats d’exportation existants. Bakou s’est également engagé à doubler ses exportations vers l’Europe d’ici cinq ans.
L’un des puits atteindra une profondeur de 7 000 mètres, a déclaré BP ce mois-ci, afin d’exploiter un réservoir de gaz supposé se trouver sous le champ gazier existant de Shah Deniz, qui fournit actuellement la majeure partie des exportations de gaz de l’Azerbaïdjan. Ce puits, dont l’achèvement devrait prendre environ un an, devrait confirmer si le gaz du réservoir profond peut être extrait commercialement.
BP a déclaré que le deuxième puits, qui atteindra une profondeur d’environ 4 500 mètres, vise un réservoir possible situé sous le principal champ pétrolier de l’Azerbaïdjan, le champ Azeri-Chirag-Guneshli (ACG). Ce projet de forage suivra un puits existant sur une partie de sa profondeur et devrait donc être achevé en trois mois seulement.
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Le forage offshore en eaux profondes est extrêmement coûteux, chaque puits coûtant plusieurs dizaines de millions de dollars.
Le premier puits est foré dans le cadre de l’accord de production existant entre Bakou et le consortium exploitant le champ, qui comprend BP, la compagnie pétrolière nationale azerbaïdjanaise SOCAR, la compagnie pétrolière nationale turque TPAO, la compagnie pétrolière nationale iranienne NICO et la compagnie russe Lukoil. Cela signifie à la fois que tout le gaz produit à partir du réservoir profond appartient au consortium et que ce dernier peut récupérer le coût du puits à partir des revenus générés par la vente du gaz du champ.
La situation du puits d’ACG est plus complexe
Comme la plupart des champs pétrolifères, ACG produit également de grandes quantités de gaz ; une partie est pompée dans le champ pour stimuler la production de pétrole et le reste est livré à terre par pipeline.
En vertu de l’accord de production, le pétrole produit par le champ appartient au consortium ACG, qui comprend BP, SOCAR, TPAO, Exxon Mobil et six autres sociétés internationales, qui exportent ensemble le pétrole sur les marchés mondiaux. En revanche, le gaz livré à terre appartient à SOCAR et est utilisé pour répondre à la demande intérieure de gaz de l’Azerbaïdjan.
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BP a confirmé à Eurasianet que le nouveau puits d’exploration dans le réservoir de gaz profond est financé par le consortium ACG lui-même, avant la conclusion d’un accord sur la propriété du gaz, et sans garantie de pouvoir récupérer les coûts. Cette démarche inhabituelle suggère à la fois que le consortium est convaincu de pouvoir localiser d’importantes réserves de gaz et qu’il sera en mesure de conclure un accord sur la propriété qui convienne à la fois à Bakou et à ses partenaires commerciaux au sein du consortium.
Une action opportune
Si des volumes commerciaux de gaz sont découverts par l’un ou l’autre des puits d’exploration, il ne sera pas difficile, dans l’état actuel des choses, de trouver des marchés pour ce gaz.
L’invasion de l’Ukraine par la Russie, les sanctions imposées ensuite par l’UE et la décision de Moscou de restreindre les flux de gaz en représailles ont bouleversé le marché européen du gaz.
Alors que le gaz azerbaïdjanais est déjà acheminé vers la Grèce et la Bulgarie, ces derniers mois, les pays du sud-est de l’Europe ont manifesté leur intérêt pour l’importation de gaz en provenance d’Azerbaïdjan.
En juillet, Bruxelles et Bakou ont signé un accord historique en vertu duquel Bakou augmenterait ses livraisons de gaz à l’Europe de 10 milliards de mètres cubes (mmc) à 12 mmc en 2022, et doublerait ses livraisons pour atteindre 20 mmc en 2027. En réalité, les exportations vers l’Europe n’ont atteint que 11,4 milliards de mètres cubes l’année dernière et devraient se limiter à 11,6 milliards de mètres cubes cette année.
Il est difficile de savoir si ce déficit est dû à une production limitée ou à la capacité limitée des trois gazoducs qui constituent le corridor gazier méridional qui achemine le gaz azerbaïdjanais vers l’Europe.
L’Azerbaïdjan a rencontré des difficultés pour répondre à la fois à la demande intérieure croissante et aux engagements d’exportation.
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Fin 2021, l’Azerbaïdjan a signé un accord d’échange tripartite en vertu duquel le Turkménistan expédie du gaz vers le nord-est de l’Iran et l’Iran expédie un volume correspondant du nord-ouest de l’Iran vers l’Azerbaïdjan.
On ignore si cet échange se poursuit, mais Bakou a accepté d’acheter du gaz à la Russie afin de combler un déficit prévu, ce qui soulève la perspective désagréable que l’Azerbaïdjan ait pu importer du gaz russe afin d’exporter davantage de gaz azerbaïdjanais vers l’Europe. Du point de vue de l’UE, cela remettrait en cause l’objectif de l’accord entre l’Azerbaïdjan et l’UE, qui était de réduire la dépendance de l’Europe vis-à-vis du gaz russe.
Ce qui ne fait aucun doute, en revanche, c’est que les réserves actuelles du champ gazier azerbaïdjanais de Shah Deniz ne permettront pas de respecter les engagements pris par Bakou envers Bruxelles d’ici 2027. De nouveaux volumes devront être trouvés.
Les efforts visant à conclure des accords pour acheminer le gaz du Turkménistan à travers la Caspienne semblent être au point mort.
La question qui se pose maintenant est la suivante : avec plusieurs années de travaux de développement nécessaires sur les nouveaux champs plus profonds, Bakou pourra-t-il livrer le gaz promis à temps ?
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