Depuis 2009, l’internationalisation du Renminbi a progressé significativement. Mais une longue marche est inévitable pour que Renminbi puisse arriver au bout des obstacles majeurs : les contrôles des capitaux, la convertibilité limitée du RMB et un secteur financier pas encore mature. En même temps, nous sommes convaincus que, poussé par des forces convergentes, ce mouvement va continuer son voyage vers un nouveau système monétaire multipolaire.
L’élargissement et l’approfondissement de l’internationalisation du RMB nécessitent d’aller au bout des trois obstacles majeurs : les contrôles des capitaux, la convertibilité limitée du RMB et un secteur financier pas encore mature.
Compte tenu de ses développements rapides au travers de différents domaines clés et son utilisation croissante, RMB est déjà une monnaie internationale, mais elle ne peut pas encore être considérée comme une monnaie globale. Pour y parvenir, de gigantesques efforts sont à fournir dans les domaines économiques, financiers et juridiques. En même temps, le développement commercial est à continuer avec plus de pays et plus en profondeur. Car l’internationalisation du RMB n’est pas seulement une affaire concernant la monnaie, elle doit être considérée du point de vue systémique et sur le long terme.
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La position d’une monnaie reflète celle de l’économie qui la soutient. RMB a besoin d’une croissance pérenne assez forte par exemple, 5-6 % par an (fast enough) pour la soutenir dans sa marche d’internationalisation.
L’économie chinoise est la 2e mondiale en termes de PIB nominal et déjà la 1re en termes de PPP. Pendant ces dernières 40 années, elle s’est développée rapidement en basant sur le modèle export / investissement / production de rattrapage basé sur les technologies matures et une ressource humaine bon marché, abondante et disciplinée.
Elle doit maintenant répondre aux défis différents, c’est-à-dire mettre en place un nouveau modèle : développer le marché intérieur (sur la consommation) tout en maintenant un niveau d’export conséquent. C’est la politique de « double circulation ». Elle doit évoluer rapidement, via innovation, dans les sphères high tech avec plus de valeur ajoutée par exemple concernant les chipsets, les énergies vertes, les EV, 5G + 6G, l’IA et les robotiques. L’amélioration de la productivité des forces au travail devient également une priorité compte tenu de l’évolution de la démographie. N’oublions pas la transformation des SOEs à poursuivre en profondeur et le maintien voire l’accentuation du rôle joué par les SME.
Sans cette nouvelle croissance soutenue, l’internationalisation du RMB serait un mirage. Les divers plans établis par le Gouvernement chinois ont clairement montré leur compréhension très lucide de cette problématique. Est inébranlable leur détermination à mettre en œuvre ces plans malgré les mauvaises surprises qui pourraient être très conséquentes telle que le Covid.[1]
Les réformes des marches des capitaux à poursuivre en profondeur [2]
Pour développer un marché financier mature et consolider le statut du renminbi en tant que monnaie favorable pour la facturation, l’investissement et les réserves de change, il reste encore du travail à faire. Une libéralisation poussée des contrôles de capitaux, une plus grande convertibilité du RMB et des réformes plus importantes du secteur financier seront nécessaires.
Une monnaie internationale a besoin d’un marché financier bien développé, solide, profond et ouvert. Ce n’est pas encore entièrement le cas pour l’instant en ce qui concerne RMB.
Les pays utilisateurs de RMB comme réserve de change doivent être convaincus qu’ils peuvent, en cas de crise, faire bouger rapidement leurs sommes sans les faire perdre de la valeur. Pour l’instant le marché du US Tresury Bond est le seul capable d’encaisser les mouvements jusqu’à plusieurs dizaines de milliards USD sans provoquer de changement de prix notable. Ce n’est pas le cas de l’Euro ni de RMB. Ce dernier reste, malgré une croissance fulgurante, petite et fragmentée et avec un accès restreint en raison du contrôle des mouvements des capitaux.
Marché des obligations (Bonds)
Malgré le développement récent, le marché obligataire chinois reste peu profond en raison de sa fragmentation et de sa réglementation contraignante. Ce marché est segmenté en deux compartiments. Tout d’abord, le marché dit « interbancaire », où seules les banques sont autorisées à intervenir, est réglementé par PBoC, la banque centrale chinoise. Il représente 95 % du total du marché obligataire chinois. Le deuxième segment est représenté par le marché obligataire dit « ouvert » (Exchange bond market), qui n’est pas réservé exclusivement aux banques et qui est sous la tutelle de l’Autorité de régulation des actifs financiers.
Les investisseurs étrangers ont fortement augmenté leurs achats de titres obligataires sur le marché local chinois depuis le 2e trimestre 2020. Ces achats se sont concentrés sur les obligations souveraines. Ils détiennent actuellement seulement 3% du stock total d’obligations chinoises en monnaie locale, mais 10% des obligations émises par le gouvernement central.[3]
En dépit d’une croissance fulgurante de ces dernières années, le marché des obligations (Bonds) chinois reste petit par rapport aux US. Ceci est dû au fait que les banques dominent encore le secteur financier en Chine.
Il y a plusieurs sources d’obligations : les entreprises, les municipalités et les gouvernements locaux et centraux. Les Chinese Government Bonds (CGD) constituent le noyau dur de ce marché. Ce marché est fragmenté avec de différents régulateurs et types de plateformes. Nous pouvons citer les acteurs majeurs People’s Bank of China (PBoC), le ministère des Finances, le National Development Reform Commission, qui contrôlent les divers marchés. Ceci affaiblit considérablement la force de frappe.
Un autre point à signaler a trait à la base des investisseurs qui, malgré l’envergure de l’ouverture croissante, restent principalement domestiques.
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Le marché des actions
Le marché des obligations est le support principal à l’internationalisation du RMB. Celui des actions a également son importance. Bien que l’ouverture internationale s’améliore au fil des années (le quota croissant des QFIIs[4], Shanghai Hongkong Connect, Shenzhen Hongkong Connect…), seulement un petit pourcentage des actions A sont détenues par les investisseurs étrangers. Une plus grande ouverture de ce marché aux investisseurs étrangers serait de nature à booster les commerces basés sur RMB.
Une plus grande attention devrait être apportée aux SME qui ont besoin d’être davantage listés à côté des SOEs largement favorisés depuis le début.
Compte de capital (Capital account)
Nous constatons que les opérations du compte courant et certaines opérations du compte de capital sont libéralisées (notamment les investissements directs entrants), d’autres opérations, comme les investissements de portefeuille ou les investissements directs sortants, restent soumises à des quotas ou complètement fermées. Le système financier chinois n’est pas encore assez mûr pour des réformes radicales du contrôle des capitaux.
La pratique d’un contrôle strict des capitaux dans le pays entrave le développement du marché financier et une large utilisation du renminbi au-delà des frontières de la Chine. La libéralisation de ces contrôles faciliterait les flux de capitaux à l’intérieur et à l’extérieur de la Chine, mais entraînerait également une instabilité et une volatilité financières plus grandes.
Les autorités chinoises ne semblent pas encore prêtes à accepter cette mesure radicale. L’ouverture financière sera nécessairement graduelle. En 2015, une libéralisation partielle du compte financier avait conduit à des fuites de capitaux massives, de l’ordre de 1 500 Mds USD, à une baisse des réserves de change de près de 1 000 Mds USD (sur 3 900 Mds USD) pour stabiliser le cours du RMB yuan. Une erreur que la Chine ne veut certainement pas reproduire.
Une théorie très intéressante a été émise récemment. [5] Selon elle, l’internationalisation de la monnaie chinoise sans libéralisation complète du compte de capital exige donc que le RMB soit soutenu par des réserves en dollars. Ainsi, l’internationalisation du RMB ne devrait pas supplanter la domination du dollar.
Libéralisation des taux de change (FX rates liberalization)
La libéralisation des taux de change est à poursuivre. Cela pourrait consister en un élargissement des bandes de fluctuation. D’autres pistes possibles sont à explorer également.
Réforme du système juridique
L’utilisation massive du RMB avec des montants de plus en plus importants va amener inévitablement des contentieux et des disputes entre les parties. La Chine doit continuer la modernisation du son système juridique afin de faire sentir aux gros utilisateurs du RMB que ces différents peuvent être arbitrés et/ou jugés objectivement sans l’interférence extra-judiciaire. Cette confiance est fondamentale pour vaincre la réticence ou dissiper les doutes et les craintes de ces utilisateurs.
Pour l’instant, bon nombre d’utilisateurs préfèrent encore avoir recours au système du style occidental. Ce point n’est à négliger, il est de nature, dans une certaine mesure, à impacter la vitesse et l’envergure de l’internationalisation du RMB.
Capacités de protection à renforcer
La Chine devrait renforcer ses capacités à protéger en cas de besoin la mise en place de ses solutions ou les solutions déjà en place. Et ce, par tous les moyens pertinents et appropriés. Une monnaie qui se veut internationale, voire globale, doit être appuyée sans ambiguïté. La compréhension de ce point par tous les acteurs est une importance capitale pour maintenir la stabilité du RMB globalisé.
En guise de conclusion
L’internationalisation du RMB est la suite logique d’une croissance économique soutenue. Bien que l’effet du réseau et de l’inertie soit évident, c’est un processus irrésistible dans le cas de la Chine. Son aboutissement changera la manière de fonctionner des finances et des économies globales.
Mais il semblerait que sa visée ne soit pas le grand remplacement d’une monnaie hégémonique par une autre monnaie hégémonique, mais la mise en place d’un nouveau système monétaire multipolaire au niveau mondial. Sa mission serait de faciliter l’arrivée de ce nouvel ordre monétaire non plus basé sur l’hégémonie d’une seule monnaie, mais indépendant des hauts et des bas de l’économie d’un seul pays, quelle que soit la monnaie en question.[6]
Les efforts combinés pointent dans ce sens. Son développement tous azimuts est plus que significatif. Mais la route restant à parcourir est encore très longue. Cette longue marche de plusieurs décennies sera semée d’embûches, qui demandera beaucoup de patience, d’intelligence et de sagesse.[7]
Le parcours ne sera pas un long fleuve tranquille, car les US ne vont pas laisser aboutir sans réagir un processus qui est, qu’on le veuille ou non, une remise en cause à grande échelle du dollar par le RMB. C’est une menace susceptible d’engendrer des bouleversements économiques, politiques et aussi géopolitiques.
Quelle est l’attitude de la Chine ? Selon Liu Liange, Président de la Banque de Chine, la Chine va suivre en la matière les axes suivants :[8]
Encourager, tout en les laissant venir, les acteurs institutionnels ou privés à adopter l’internationalisation du RMB (自然发展), donc un processus market-driven.
Mettre cette internationalisation au service des économies réelles (服务实体经济)
Renforcer le développement des technologies (eCNY) (加强科技发展)
On constate que le parfum de la poudre y est absent. Tant mieux. Espérons pour le meilleur et suivons attentivement et patiemment ce processus de près, car cela va impacter nous tous. La temporalité d’ici est dans le très long terme.
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Bibliographie
中国人民银行:2022 人民币国际化报告 (People’s Bank of China : the 2022 Year Book of RMB internationalisation)
William H. Overholt, Guonan Ma and Cheung Kwok Law, Renminbi rising, a new global monetary system emerges, Wiley, 2016
Robert Minikin and Kelvin Lau, The offshore Renminbi, the rise of the Chinese currency and its global future, Wiley, 2013
Ray Dalio, Principles for dealing with the changing world order, why nations succeed and fail, Simon & Schuster, 2021
James Rickards, Currency Wars, the making of the next global crisis, Portfolio Penguin, 2011
Delphine Lahet, Le degré d’internationalisation du Renminbi : Un bilan d’étape fondé sur une revue de la littérature,Revue d’économie politique 2017/5 (Vol. 127)
Barry Eichengreen, Masahiro Kawai, Renminbi Internationalization: Achievements, Prospects, and Challenges, Brookings Institution Press and ADBI, February 11, 2015
Zhongxia Jin, Yue Zhao, Haobin Wang, and Shao Suya, Renminbi from Marketization to Internationalization, May 25, 2022
[1] Cf. le 14e plan quinquennal, le plan 2035, etc.
[2] Cf. “Renminbi rising, a new global monetary system emerges”, William H. Overholt, Guonan Ma, Cheung Kwok Law, Wiley, 2016
[3] BNP Paribas : Marché obligataire chinois : la participation des investisseurs étrangers, 25/05/2021
[4] QFIIs: Qualified Foreign Institutional Investors (investisseurs institutionnels étrangers qualifiés).
[5] Eichengreen Barry, Macaire Camille, Mehl Arnaud, Monnet Eric, Naef Alain, Document de travail n°892 : La convertibilité du compte de capital est-elle nécessaire pour que le renminbi acquière le statut de monnaie de réserve ? 18/11/2022
[6] Cf. Aglietta Michel, « Internationalisation de la monnaie chinoise », Perspectives chinoises, n° 2011/3
[7] Cf. Ray Dalio, “Principles for dealing with the changing world order: why nations succeed and fail”, Part II, chapitre 12 : The big cercle rise of China and the renminbi, Simon & Schuster, 2021
[8] Cf. 刘连舸,中国银行董事长在中国经济大讲堂上的介绍 « 人民币国际化之路怎么走 ? » CCTV2, 03 21 2021, (Liu Liange, Président de la Banque de Chine, sa présentation : « L’internationalisation du RMB, comment y aller ? », sur CCTV2 le 21 mars 2021)