Déclarer une guerre est facile, y mettre un terme est plus compliqué. Retour sur une expression largement employée, qui dit beaucoup de la réalité de la guerre.
Chronique parue dans notre numéro n°43, Le retour des mercenaires, disponible en kiosque et sur notre site
Belle phrase à soumettre à la sagacité des candidats au baccalauréat ou à la méditation de Vladimir Poutine ! Son auteur savait de quoi il parlait, puisqu’il s’agit de Georges Clemenceau (1841-1929), s’exprimant à Verdun le 19 juillet 1919, soit quelques jours après la signature du traité de Versailles (28 juin) concluant la guerre avec l’Allemagne. Clemenceau était président du Conseil depuis novembre 1917 : il a donc dirigé la France durant l’ultime année de la guerre, ce qui lui valut le surnom de « Père la Victoire » après le 11 novembre 1918. Il conservera son poste jusqu’en janvier 1920, sans parvenir à se faire élire président de la République par le Parlement, ce qui détermina son retrait de la vie politique.
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Il est facile de percevoir derrière ces mots de l’un des principaux négociateurs du traité de Versailles une forme de lassitude, après plusieurs mois d’âpres discussions au sein du « Conseil des Quatre », une instance réduite, composée des représentants des quatre puissances principales[1] concernées par le nouvel ordre européen et mondial, et appelée à trancher les questions les plus épineuses. Lassitude et sans doute amertume, car malgré l’opinion actuelle, Clemenceau savait qu’il était loin d’avoir obtenu toutes les assurances que la France pouvait espérer pour se prémunir contre un retour agressif de l’Allemagne. Retour d’autant plus à craindre que les Allemands avaient l’impression de n’avoir pas vraiment perdu la guerre et, donc, d’avoir été traités trop durement.
Au-delà du cas d’espèce de 1919, Clemenceau énonce une réalité intemporelle : la guerre est « facile » dans la mesure où elle impose une hiérarchie des priorités et des enjeux, alors que construire la paix suppose une démarche de négociation et de compromis entre des intérêts différents, voire divergents, sinon opposés – c’est précisément pour éviter une interférence entre diplomates allemands et alliés que les vaincus de 1918 ne furent pas conviés à négocier les traités. À la limite, plus une guerre est « totale », comme le furent les guerres mondiales, et plus elle est « facile », car l’objectif se simplifie : survivre d’abord (préserver sa souveraineté, se libérer d’une occupation étrangère quand le pays a subi une invasion), vaincre ensuite, c’est-à-dire contraindre l’ennemi à accepter la volonté du vainqueur. Comme l’avait dit le même Clemenceau devant la Chambre, le 8 mars 1918 : « Celui qui est vainqueur, c’est celui qui peut, un quart d’heure de plus que l’adversaire, croire qu’il n’est pas vaincu. »
Ce qui rend sans doute la guerre moins « facile » aujourd’hui, c’est qu’elle est exclue des moyens d’action légitimes des relations entre États, selon la charte des Nations unies, voire qu’elle est empêchée par la dissuasion nucléaire, au moins lorsque la survie d’une puissance atomique est en jeu. Or, paradoxalement, le seuil de nucléarisation permet aussi de ressusciter la guerre entre États non nucléaires ou pour des enjeux moins extrêmes, comme on le voit aujourd’hui en Ukraine. Pourtant, les formes de guerre asymétriques, échappant à la logique interétatique, brouillent les frontières entre la guerre et la paix, rendant ainsi plus fluide le passage de l’une à l’autre, donc plus incertain le statut des États – peut-on dire quand cesse la « guerre au terrorisme » ? Les opérations militaires sont facilitées, par l’absence d’un antagonisme consistant, et par le recours à des technologies de maîtrise du champ de bataille dématérialisées, sinon virtuelles, mais la solution politique – la paix – échappe de plus en plus souvent au camp « victorieux ». L’Afghanistan, le Mali, sont deux des récents et plus évidents exemples de cette « impuissance de la puissance » selon le mot de Bertrand Badie.
Une expression qui fait écho au déclassement du « Père la Victoire » de 1918, devenu un an plus tard le « perd la victoire ».
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« On peut commencer la guerre quand on veut, mais on ne la finit pas de même. »
[1] Outre Clemenceau, ce Conseil comprenait Orlando, président du Conseil italien, Lloyd George, Premier ministre britannique, et le président des États-Unis, Wilson, qui prit la peine de s’installer en France le temps de la négociation, signe d’un intérêt éminent et inhabituel.