<i class='fa fa-lock' aria-hidden='true'></i> Alexandre et les Scythes

10 avril 2023

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Alexandre et les Scythes

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Alexandre, dans son périple vers l’Inde, a traversé la steppe et est entré en contact avec les Scythes. Dans ce vaste espace géographique où se superpose aujourd’hui le Kazakhstan, se retrouvent des éléments de la rencontre d’Alexandre avec l’Eurasie.   

Alexandre progresse vers le nord. Il s’avance, en 329, jusqu’à l’Iaxarte que Quinte-Curce et Arrien appellent le Tanaïs, et s’empare de Maracanda, en Sogdiane[1]. Il reçoit une ambassade des Scythes Abiens, les plus justes des mortels et les plus libres grâce à leur sagesse et leur pauvreté, et d’autres envoyés par les Scythes d’Europe[2]. Alexandre envoie avec eux des Hétaires[3] comme ambassadeurs pour établir un traité de paix. L’intention réelle d’Alexandre est de connaître la nature du territoire des Scythes, leur population, leurs coutumes et leurs armes. Mais Alexandre doit faire face aux Barbares voisins du Tanaïs, rejoints dans leur défection par les gens de Sogdiane et de Bactriane menés par Spitaménès. Il avait trahi Darius puis Bessos, son complice. Il trahit maintenant Alexandre. Les Macédoniens marchent contre Cyropolis, la dernière ville de l’empire des Perses, bâtie par le grand Cyrus, la prennent d’assaut et la ruinent. Plusieurs autres places subissent le même sort et sont abandonnées au pillage, mises à feu et à sang, détruites de fond en comble.

Alexandre érige la dernière Alexandrie, sur la rive gauche de l’Iaxarte, aux confins des déserts des Scythes, l’Alexandrie Eschatè, l’Ultime, à la limite septentrionale de l’empire. Il y élève des autels, symboles du terme de ses conquêtes[4].

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Au-delà de l’Iaxarte, voici les Scythes et leurs solitudes. Pour le roi des Scythes, dont l’empire est alors au-delà du fleuve, cette ville, bâtie par les Macédoniens sur l’autre rive, est comme un joug qu’on lui impose.

Alexandre, malade encore d’une blessure, tient conseil avec les siens pour porter la guerre au-delà de l’Iaxarte. Or, Ménédémos, qu’il a envoyé assiéger Spitaménès à la tête de la révolte en Sogdiane, a été défait avec 2 000 fantassins et 300 cavaliers macédoniens. Le pays est propice aux embuscades. Spitaménès a caché des Dahées dont les chevaux portent chacun deux hommes en armes qui, tour à tour, sautent subitement de leur monture pour jeter le désordre dans les rangs ennemis. L’agilité de ces guerriers égale la vitesse de leurs chevaux. Ménédémos, enveloppé de toutes parts, malgré son infériorité numérique, fait un carnage épouvantable chez les Barbares. Mais, épuisé par ses blessures, il roule à bas de son cheval, vaincu. Alexandre dissimule habilement cette défaite.

Sur les bords du fleuve, les Macédoniens qui étaient déterminés la veille à ne pas tenter le passage demandent maintenant la guerre à grands cris. Revêtu de sa cuirasse, le roi se montre à ses hommes pour la première fois depuis sa dernière blessure. Il leur déclare alors qu’il va transporter la Phalange et la cavalerie sur des radeaux, pendant que les troupes légères passeront sur des outres.

Tout est prêt pour le passage, lorsque 20 députés des Scythes, selon l’usage de leur pays, pénètrent à cheval dans le camp, et font annoncer au roi qu’ils ont une mission à remplir auprès de lui. Alexandre les reçoit dans sa tente. Invités à s’asseoir, les regards des Scythes restent fixés sur le visage d’Alexandre. Dans le récit de Quinte-Curce, l’un d’eux, le plus ancien du groupe, s’adresse à Alexandre.

La taille du conquérant ne leur semble pas correspondre à sa renommée[5]. Si les dieux avaient voulu donner au roi un corps proportionné à l’ambition de son esprit, l’univers tout entier ne pourrait le contenir. D’une main, Alexandre toucherait l’Orient, de l’autre, l’Occident. Peu satisfait encore, il voudrait savoir le lieu où le Soleil, divinité si puissante, cache l’éclat de ses feux. Alexandre désire ce qu’il ne peut embrasser. S’il place sous ses lois tout le genre humain, il fera la guerre à la neige, aux fleuves, aux forêts et aux bêtes féroces ! Ignore-t-il que les grands arbres sont longtemps à croître, et qu’une seule heure suffit à les déraciner ? Seul un fou songe à leurs fruits, sans en mesurer la hauteur. Alexandre doit prendre garde, en cherchant à atteindre leur cime, de tomber avec les branches qu’il aura saisies. Le lion, quelquefois, sert de pâture aux oiseaux les plus chétifs. La rouille dévore le fer. Rien de si fort qui n’ait à craindre quelque danger de l’être le plus faible.

Le député demande alors à Alexandre ce que les Scythes ont à démêler avec lui. Ils n’ont jamais mis le pied dans ses terres. Dans les vastes forêts où ils vivent, ils n’ignorent pas qui il est et d’où il vient. Ils ne peuvent être esclaves et n’ambitionnent pas de commander. S’il veut connaître les Scythes, voici les dons du ciel qu’ils ont reçus en partage : une paire de bœufs, une charrue, des flèches et une coupe. De quoi répondre à leurs amis et à leurs ennemis. À leurs amis, ils offrent les biens que leur procure le travail de leurs bœufs. La coupe leur sert à offrir avec eux des libations aux dieux. Quant à leurs ennemis, ils les frappent de loin avec la flèche, de près avec la lance. Ainsi ils ont vaincu le roi de Syrie, et ensuite ceux des Perses et des Mèdes. Ainsi, ils se sont frayé un chemin jusqu’en Égypte.

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Mais lui, qui fait gloire de poursuivre des brigands, il est le brigand de toutes les terres où il a pénétré. Il a enlevé la Lydie, il a envahi la Syrie, il est le maître de la Perse, il a subjugué la Bactriane, il menace les Indiens, et, aujourd’hui, il étend ses mains avides et inquiètes jusqu’à leurs troupeaux. Qu’a-t-il besoin de richesses qui ne font que le rendre plus affamé ? Alexandre est le premier chez qui la faim est née de la satiété. Il désire plus vivement à mesure qu’il possède davantage. La guerre naît pour lui de la victoire. Il a beau être le plus puissant des hommes, il doit savoir qu’aucun peuple ne peut souffrir un étranger pour maître.

S’il passe le Tanaïs, il saura quelle étendue de pays occupent les Scythes. Il ne pourra jamais les atteindre. Leur pauvreté sera plus agile que son armée qui traîne après elle les dépouilles de tant de peuples. Lorsqu’il les croira bien loin, les Scythes seront dans son camp. Ils poursuivent et fuient avec la même rapidité. Ils ont entendu dire que, chez les Grecs, les solitudes des Scythes sont proverbiales, mais pour eux les déserts ont plus de charmes que les villes et les campagnes les plus riches. Ainsi, Alexandre doit tenir sa fortune à deux mains : elle glisse facilement. S’il est un dieu, son devoir est de répandre des bienfaits sur les mortels et non d’enlever ce qu’ils possèdent, s’il n’est qu’un homme, qu’il n’ait de cesse de penser à ce qu’il est. Il y a de la folie à s’occuper de choses pour lesquelles on s’oublie soi-même. L’amitié la plus solide est entre égaux. Entre le maître et l’esclave, il n’est point d’amitié.

Au reste, ils offrent au roi d’être les gardiens de l’Asie et de l’Europe. Sans le Tanaïs, ils toucheraient à la Bactriane. Au-delà de ce fleuve, ils occupent tout jusqu’à la Thrace qui confine à la Macédoine. Alexandre doit examiner s’il veut que les Scythes, voisins de ces deux empires, soient ses amis ou ses ennemis.

Alexandre répond qu’il usera de sa fortune et de leurs conseils : de sa fortune en continuant d’y avoir confiance, du conseil des Scythes en n’entreprenant rien de façon téméraire. Chez Quinte-Curce, il congédie les députés et franchit le fleuve. Il a appris que Spitaménès assiège la garnison macédonienne de Maracanda. Il envoie Andromachos, Ménédémos et Caranos.

Dans le récit d’Arrien, en vingt jours, il cerne de remparts la cité qu’il avait décidé de fonder, sur le Tanaïs. Cette cité, à laquelle il donne son nom, pourrait être une base pour mener une attaque contre les Scythes, une protection contre les incursions des Barbares venus d’au-delà du fleuve.

Les Scythes, cependant, sont toujours sur l’autre rive du fleuve, en face. Ils provoquent les Macédoniens. Les machines placées au bord du Tanaïs criblent de traits l’ennemi qui recule, frappé de stupeur. Alexandre commence à traverser le fleuve, ouvrant la marche. Les archers et les frondeurs, sous son ordre, avaient déjà débarqué pour protéger le passage de l’infanterie.

La rive atteinte, Alexandre lance contre les Scythes une hipparchie[6] de mercenaires et quatre îles de sarissophores[7]. Les cavaliers scythes décrivent des cercles autour des Macédoniens. Alexandre mêle à ses cavaliers les archers, les Agrianes et les autres troupes légères commandées par Balakros, et les mène contre les Scythes. Trois hipparchies et l’ensemble des lanceurs de javelots à cheval chargent. Alexandre, de son côté, mène le reste de la cavalerie, à toute vitesse, et se jette sur l’ennemi avec ses îles[8], en colonne. Les Scythes, ne pouvant plus exécuter leurs cercles, cèdent, en déroute. 1 000 des leurs tombent, dont Satracès. 150 sont prisonniers. La poursuite est acharnée. Mais la chaleur accablante et une eau non potable que boivent les Macédoniens sauvent les Scythes de l’anéantissement.

Au bruit de cette victoire, le roi des Scythes envoie à Alexandre un message de paix. « La clémence dont le roi avait fait preuve lors de sa victoire sur les Scythes les avait frappés davantage encore que sa vaillance. Alexandre avait, en effet, libéré tous les prisonniers sans demander de rançon, afin de faire savoir que, lorsqu’il faisait la guerre aux peuples les plus fiers, il était guidé par une force et non emporté par la fureur[9]. »

Pour Alexandre, la poursuite de l’offensive n’est pas opportune pour le moment. En effet, les Macédoniens de Maracanda affrontent Spitaménès. À l’annonce de l’arrivée des troupes d’Alexandre, le Sogdien abandonne le siège de la citadelle. Pharnuque, le Lycien, qui avait fait une sortie pour chasser l’ennemi, a engagé imprudemment le combat contre les Scythes Nomades. Ces derniers – 600 cavaliers – renforcent alors Spitaménès.

Les Scythes harcèlent et pressent les Macédoniens. Les chevaux d’Andromachos sont épuisés par une marche ininterrompue. En formation carrée, les Macédoniens se portent vers le fleuve Polytimétos. Caranos, l’Hipparque, traverse le fleuve, pour mettre à l’abri sa cavalerie. L’infanterie suit. Mais, sans avoir reçu d’instructions, elle descend, sans ordre, les rives escarpées du fleuve. Sous les coups des Scythes, les Macédoniens se réfugient sur un îlot. Ils sont massacrés par les cavaliers ennemis qui les avaient encerclés.

Alexandre qui a appris le malheur survenu aux hommes d’Andromachos, de Ménédémos et de Caranos, se porte contre Spitaménès et, avec lui, la moitié de la cavalerie des Hétaires, la totalité des Hypaspistes[10], les archers, les Agrianes et ses troupes armées à la légère, marche sur Maracanda que Spitaménès assiège à nouveau. Alexandre poursuit les Barbares jusqu’au désert…

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[1]. Voir O. Battistini, Alexandre le Grand, Un philosophe en armes, Ellipses, « Biographies & mythes historiques », 2018.

[2]. Voir Arrien, IV, 1 ; Quinte-Curce, VII, 6, 11.

[3] Les Hétaires sont à l’origine nobles macédoniens, hommes libres par excellence, puis les Compagnons, les Amis du roi.

[4]. Voir Quinte-Curce, VII, 6, 25-27 ; Arrien, Anabase, IV, 1, 3-4.

[5]. Voir O. Battistini et P. Charvet, Alexandre le Grand : Histoire et Dictionnaire, Robert Laffont, « Bouquins », 2004.

[6]. Une hipparchie est une unité de cavalerie, forte, selon Élien le Tacticien, de 512 hommes.

[7]. Cavaliers armés d’une sarisse, une redoutable pique de 14 à 16 pieds de long (environ 6 à 7 m) qui arme, avec la courte épée grecque, le Phalangitemacédonien. Les piques des cinq premiers rangs dépassent la ligne de front formant une masse de combat infranchissable. Les fantassins des rangées suivantes les posent sur les épaules de ceux qui les précédent.

[8]. Escadron de cavalerie. L’Ilè basilikè est l’Escadron royal, l’Agèma. Habituellement, Alexandre charge à la tête de l’Agèma. La cavalerie des Hétaires est composée de huit Îles, nommées soit d’après leur chef, l’Ilarque, soit d’après leur région d’origine.

[9]. Quinte-Curce, VII, 9, 17-18, trad. A. Sokolowski.

[10]. Les Hypaspistes sont des fantassins macédoniens plus mobiles que les Phalangites. Malgré quelques expériences tentées avec Iphicrate, par exemple, ce n’est qu’au temps d’Alexandre que les troupes légères, associées aux Phalanges macédoniennes, sont pleinement utilisées pour leur valeur tactique et stratégique. Elles jouent un rôle essentiel. Ces « Gardes à pied porteurs de bouclier » sont recrutés par Alexandre en personne pour faire partie de sa garde rapprochée. Ils opèrent comme un lien tactique entre la cavalerie des Hétaires et des Pezhétaires, les Compagnons à pied. Ils sont de toutes les missions difficiles, de toutes les marches forcées.

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À propos de l’auteur
Olivier Battistini

Olivier Battistini

Olivier Battistini est né à Sartène, en Corse. Il est Maître de conférences émérite en histoire grecque à l’Université de Corse, directeur du LABIANA, chercheur associé à l’ISTA, Université de Franche-Comté et membre du comité scientifique de Conflits. Auteur de nombreux ouvrages sur la Grèce ancienne, ses domaines de recherches sont la guerre et la philosophie politique, Thucydide, Platon et Alexandre le Grand.

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