L’identité, moteur de la géopolitique

2 janvier 2023

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L’identité, moteur de la géopolitique

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Avec un changement important des mentalités depuis la fin de la Seconde Guerre Mondiale, l’identité s’est retrouvée au cœur des questions sociales, politiques et même géopolitiques, dont elle se trouve être un des principaux tenants. 

Le XXe siècle fut le siècle de l’avoir ; le XXIe débute sous la question de l’être. Au siècle précédent, l’humanité a connu une formidable croissance matérielle, des inventions majeures, des transformations profondes des modes de vie. Grâce au génie humain, à l’accroissement de la productivité, à la mécanisation, l’humanité a quitté une société de pénurie, où la mort était prolixe, pour entrer dans une société d’abondance, où la vie devient la norme. Un phénomène amplement étudié par Jean Fourastié dans ses multiples œuvres ; un auteur qui ne se réduit pas à l’expression « Trente Glorieuses » qu’il a inventée et popularisée. Commencé au début du XVIIIe siècle, cet accroissement de la productivité et de l’innovation a permis les progrès de la médecine et de l’agriculture, le développement de l’industrie, la création de nouveaux métiers. La mort s’est éloignée de l’horizon humain, la vie est devenue la norme et, fait nouveau, le loisir et les vacances ont été accessibles à l’ensemble de la population européenne. Avec eux, le développement du tourisme, de la culture, des sports collectifs et individuels. Nous sommes aujourd’hui tellement habitués à ce monde de l’avoir, un monde où la vie est la norme, que nous avons du mal à imaginer ce que pouvait être le monde d’avant, celui de la rareté comme norme, de la mort et de la détresse comme vie quotidienne. L’avoir, chèrement acquis au gré du travail et des inventions, a modifié les conditions matérielles et culturelles de l’homme.

La civilisation de l’avoir ne s’est pas limitée qu’à l’Europe

 La Corée du Sud et le Vietnam, ruinés par les guerres, touchés par la pauvreté, ne semblaient guère avoir d’avenir à l’orée des années 1960-1970. Ce sont désormais des pays puissants et exportateurs. À l’avoir matériel s’est ajouté l’avoir politique : les pays d’Afrique sont nés et ont eu leur indépendance ; les mouvements de décolonisation peuvent être lus comme des phénomènes d’acquisition de cet avoir politique. La Chine a obtenu sa place sur la scène mondiale et le concert des nations, longtemps limité aux pays européens puis occidentaux, s’est élargi à l’ensemble des continents. Pour certains, l’acquisition de l’avoir devait aboutir à la fin de l’histoire, pour d’autres à une uniformisation du monde, sous l’effet de l’accroissement de la mondialisation. Rien de tout cela n’est advenu, notamment parce que nous sommes passés de l’avoir à l’être.

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Le monde face à l’être

Ayant obtenu les conditions matérielles, politiques et sociales de leur existence, nombre de peuples se posent désormais la question de savoir qui ils sont. Cette question de l’être, qui ne se réduit pas à la question de l’identité, est la grande problématique des années actuelles. La mondialisation a certes effacé les cultures faibles, c’est-à-dire celles qui n’avaient pas la volonté de vivre, mais elle a renforcé les cultures fortes, c’est-à-dire celles qui veulent continuer à exercer un rôle sur la scène mondiale. La modernisation n’a pas conduit à l’occidentalisation du monde : si beaucoup de peuples aspirent aux conditions matérielles de l’Occident (son avoir), ils veulent préserver et cultiver leurs spécificités identitaires (leur être). D’où la prise de pouvoir par les mollahs en Iran (1979), la croissance du djihadisme dans certains pays musulmans, le réveil et la croissance de l’animisme et du vaudou en Afrique, l’indigénisme de plus en plus marqué en Amérique latine. C’est parce que les peuples ont l’avoir, c’est-à-dire l’abondance vitale et matérielle, qu’ils peuvent se poser la question de l’être, le développer, l’approfondir ou le rejeter.

Cette émergence de l’être

sur la scène mondiale contribue à la fin de l’universalisme occidental, au déclin de ce monde universaliste qui croyait pouvoir exporter sa vision du monde et de l’homme, c’est-à-dire son être, aux autres peuples. Nous sommes bien dans un monde multipolaire, mais dont la multipolarité ne repose plus sur l’existence politique et le fait d’avoir un siège à l’ONU, mais sur la multipolarité existentielle, qui s’appuie sur le pluralisme des cultures, des identités et des histoires. Ce monde de l’être est une nouveauté et, face à sa naissance, les Européens et singulièrement les Français vont devoir définir qui ils sont s’ils ne veulent pas perdre et leur avoir et leur être.

Éditorial de notre dernier numéro Le retour des mercenaires, disponible en kiosque et sur notre site 

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À propos de l’auteur
Jean-Baptiste Noé

Jean-Baptiste Noé

Docteur en histoire économique (Sorbonne-Université), professeur de géopolitique et d'économie politique à l'Institut Albert le Grand. Rédacteur en chef de Conflits.
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