Institution fondée par Louis-Philippe, la Légion étrangère perpétue une certaine excellence militaire française. Un ouvrage récent vient témoigner de son histoire.
Victor Ferreira, Ils ouvrent la voie, Paris, Mareuil éditions, 2022, 21€.
Sur fond d’escalade des tensions sur la scène internationale et d’enlisement de la guerre sanglante en Ukraine, le débat sur un engagement de la France dans un conflit de haute intensité est désormais à l’ordre du jour[1]. Face aux aléas de la politique étrangère et aux incertitudes politiques grandissantes, les Français s’interrogent à juste titre sur l’avenir de leur nation et sur l’état de leur défense nationale[2]. À l’instar de l’homme politique Henri Guaino, selon lequel « nous marchons vers la guerre comme des somnambules »[3], certains observateurs redoutent le déclenchement de la mécanique implacable des alliances militaires, au cas où le conflit en Ukraine viendrait à s’étendre à des pays membres de l’OTAN.
A lire également :
« La Légion d’honneur est un ordre singulier ». Entretien avec le général Benoît Puga
L’esprit de la Légion
Dans ce contexte particulièrement anxiogène, l’institution de la Légion étrangère, depuis sa création par Louis-Philippe en 1831, continue de voir venir à elle des hommes issus des quatre coins du monde pour s’y engager à protéger la France d’un péril ennemi au sacrifice de leur propre vie. Ancien légionnaire, le reporter-photographe Victor Ferreira met régulièrement en exergue l’institution légionnaire, où il a servi pendant plus de vingt années, en grande partie au 2eRégiment étranger d’infanterie (2e REI) à Nîmes. Pour ce faire, il a l’habitude de se concentrer sur l’expérience individuelle des hommes qui composent ce corps d’élite des forces armées françaises[4]. De cette approche, il est ressorti plusieurs ouvrages particulièrement poignants et admirablement illustrés de photos inédites, tels que Légionnaire (2016), Démineurs (2020) et, avant cela, La Légion dans la peau (2014), une fascinante étude sur les tatouages des légionnaires. Il a également co-écrit un recueil de poèmes intitulé Légionnaires – Fragments de vie, avec l’auteur légionnaire, Pedro Cabanas
Ils ouvrent la voie
Son nouvel ouvrage intitulé Ils ouvrent la voie est consacré aux sapeurs légionnaires, soldats particulièrement courageux à l’espérance de vie réduite, car ce sont eux qui, au fil des époques, montent en premier à l’assaut après avoir déminé et détruit les obstacles sur terre comme sur les côtes maritimes. Premiers au combat, ils sont au contact direct avec l’ennemi. Ils sont les héritiers des « grenadiers porte-haches » ou « soldats charpentiers » qui existaient dès le dix-huitième siècle dans l’armée française. Chargés également des grands travaux d’infrastructure, les sapeurs-pionniers de la Légion ont construit routes, tunnels et ponts, notamment lors de la pacification du Maroc dans les années 1920. Ils sont connus et appréciés du grand public qui aime les voir défiler le 14 juillet sur les Champs-Élysées, en tant que porteurs des traditions de la Légion, hache à l’épaule, arborant moustache et longue barbe et vêtus de leur tablier de pontonnier en cuir de buffle fauve et de leurs gants à crispin.
Au sein du 1er régiment étranger de génie (1er REG), fort de 950 hommes et basé à Laudun-L’Ardoise dans le Gard, Victor Ferreira a immortalisé les sapeurs légionnaires en les photographiant dans leur entraînement quotidien pour préparer les opérations, mais aussi dans leur vie quotidienne régimentaire, ce qui ne manquera pas d’intriguer les observateurs extérieurs, tant elle est empreinte de traditions et de rituels. Ce régiment, spécialisé dans le génie d’assaut et les opérations amphibies, a été déployé dans toutes les opérations majeures de la France, depuis sa création au début des années 1980. Les quelque 160 photos de cet album inédit permettent de saisir l’originalité de la Légion, une institution qui a réussi le tour de force consistant à créer à partir d’éléments hétéroclites et isolés un corps homogène animé par des valeurs communes.
Préfacé par le général Thierry Burckhard, chef d’état-major des armées avec un propos introductif du colonel François Perrier, chef de corps du 1er REG, cet ouvrage de grande qualité a le mérite de redynamiser les espoirs des lecteurs français quant aux capacités opérationnelles de leurs forces armées. Alors que s’accumulent les crises et les facteurs d’implosion de notre société, la devise du 1er REG « Sois fier de ton passé, confiant en l’avenir » résonne alors avec d’autant plus de force.
A lire également :
France, puissance militaire et armée de terre #6
[1] https://www.valeursactuelles.com/no_rubrique/les-chefs-detat-major-inquiets-sur-les-capacites-de-larmee-francaise-en-cas-de-guerre-de-haute-intensite
[2] https://www.defnat.com/e-RDN/vue-article-cahier.php?carticle=285
[3] https://www.lefigaro.fr/vox/monde/henri-guaino-nous-marchons-vers-la-guerre-comme-des-somnambules-20220512
[4] J’ai moi-même utilisé une approche similaire dans mon ouvrage Le Système Légion (2008), une étude sociologique sur l’intégration des jeunes étrangers dans les forces armées.