Alors que la guerre de Succession d’Autriche dure depuis quatre ans, Louis XV décide de partir auprès de ses troupes sur conseil de son entourage proche, la France menant des opérations dans les Pays-Bas autrichiens. Mais, alors que tout lui réussit militairement, le roi tombe gravement malade à Metz. Le parti opposé à son entourage, composé de dévots et de princes, profite de l’occasion pour l’humilier dans l’ambition de prendre la main sur les affaires du royaume.
Lorsque le roi tombe malade au mois d’août, la situation politique intérieure paraît calme. Le cardinal de Fleury, ancien tuteur du souverain, principal ministre et habile manœuvrier, est mort depuis un an. Fleury avait cousu sa pourpre à son fauteuil de ministre et montrait un grand talent pour maintenir les équilibres politiques entre deux partis irréconciliables : les amis du roi et les princes de sang renforcés par les dévots. Ce groupe cléricaliste avait été placé sous le règne de Louis XIV par madame de Maintenon et critiquait abondamment les mœurs volages de la cour, tout spécialement celles du roi. Les princes et les grands aristocrates, toujours à l’affût de quelques faiblesses royales pour renforcer leur place dans les affaires de la France, y trouvaient des alliés influents. Placé bien au centre, le vieux cardinal de Fleury veillait en Cerbère que personne ne vînt bouleverser cet ordre au risque de perdre les faveurs du monarque. À sa mort en janvier 1743, son plus proche secrétaire, le comte de Maurepas, lui succède aux affaires. Doté d’un caractère plus tendre, il est cependant opposé à l’influence exercée par la nouvelle maîtresse du roi, Marie-Anne de La Tournelle, devenue duchesse de Châteauroux.
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Deux camps politiques autour du roi
Autour du monarque se disputent donc deux camps, celui des princes et des dévots, opposé à celui des amis du rois. Parmi les grands aristocrates, on retrouve notamment les deux princes de sang, le duc de Chartres et le comte de Clermont, les grands officiers Bouillon, La Rochefoucauld, Beringhen, Villeroy et Balleroy qui seront présents à Metz. L’entourage amical regroupe les compagnons de petits-soupers durant lesquels Louis XV aimait cuisiner lui-même. Meuse, Boufflers, Soubise, d’Ayen, Luxembourg, Pecquigny et d’Aumont composent une bande joyeuse, volontiers libertine, tous rangée sous la bannière du duc de Richelieu. Ce dernier, fraîchement nommé Premier gentilhomme de Chambre, est le petit-neveu du grand cardinal. Brillant courtisan, libertin revendiqué et ami de Voltaire, il a introduit auprès de Louis XV sa nièce, la marquise de La Tournelle. Détestée par le camp des dévots, haïe des grands aristocrates qui ne supportent pas d’être doublés par une femme dont les talents politiques s’exercent en chambre, elle exerce auprès du roi une influence croissante. Favorite officielle depuis 1742, elle a directement contribué à reformer l’alliance avec la Prusse et poussé le roi à conduire lui-même ses armées dans l’Est. Mais, durant la campagne militaire, elle commet le péché d’orgueil de rejoindre son amant. Cette main basse sur l’esprit du roi et désormais sur les affaires de la France scandalise le camp des princes et des dévots, mais aussi le peuple qui voit son Roi Très-Chrétien se vautrer publiquement dans l’adultère. Durant quelques semaines pourtant, Louis XV est à son comble, chef de guerre le jour et amant la nuit.
Louis XV gravement malade, les grands conspirent
Mais, après plusieurs jours à Metz, sa fatigue physique déclenche une forte fièvre et des paresses d’estomac. Les saignées nombreuses prodiguées par les médecins accentuent l’épuisement, et les remèdes ne calment pas le mal. Le roi est perdu. Le duc de Richelieu interdit alors aux grands aristocrates l’accès à la chambre, malgré l’étiquette, pour permettre au souverain de se reposer, alors que sa maîtresse demeure à son chevet. Les princes de sang profitent alors du scandale, d’une mort prochaine du monarque et de l’ambition du dévot évêque de Soissons, monseigneur Fitz-James, se voyant volontiers le nouveau cardinal de Fleury, pour tenter un coup politique. Leur stratégie est toute trouvée. L’adultère public est la faiblesse du roi et c’est par là qu’ils vont attaquer. Puisque les princes ambitionnent de réinvestir les décisions du royaume, il faut humilier le roi avec le consentement du peuple et de Dieu. D’ailleurs, la foule ne tarde pas à prendre d’elle-même la duchesse de Châteauroux comme principale coupable de la tourmente du roi. Mourant et terrifié par la damnation, Louis XV n’a d’autre choix que de demander l’absolution. Mais, monseigneur de Fitz-James réclame une pénitence publique puisque l’adultère est public, et fait rassembler la ville de Metz sous les fenêtres de Louis XV pour qu’elle entende la confession du Très-Chrétien. Ce dernier, à demi mort, est contraint de renvoyer publiquement ses deux maîtresses.
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Après cette humiliation morale et personnelle, le roi doit souffrir l’arrivée de sa femme et de son fils sur lequel les princes de sang et les dévots ont déjà mis la main. Dans les chambres du château, les grands du royaume de France exultent : un nouveau roi qu’ils contrôlent montera bientôt sur le trône et la bande libertine proche du roi est désormais expulsée des affaires du royaume.
Alors que leur plan semble se dérouler parfaitement, Louis XV est miraculeusement guéri par un élixir prodigué par un médecin militaire. Une fois guéri, le roi furieux d’avoir subi une telle humiliation disgracie tous les grands et dévots ayant participé activement à cette presque conspiration dans un grand coup de majesté. Monseigneur de Fitz-James est notamment prié de rentrer à Soissons et de s’y cloîtrer. Le duc de Richelieu, mis en difficulté, mais que sa charge a protégé des princes, est pleinement rétabli avec l’ensemble de l’entourage royal. La duchesse de Châteauroux, suppliée de rentrer à Versailles malgré le désaveu public, meurt finalement d’une péritonite le 8 décembre 1744 à Paris, à la grande détresse de Louis XV.
Cet épisode est un acte oublié de l’histoire de France, mais il est révélateur de la menace politique embusquée sous les perruques des princes de sang. Louis XIV n’était donc pas complètement parvenu à domestiquer ces grands aristocrates constamment prêts à piétiner la couronne, et les dévots installés par madame de Maintenon conservaient une grande influence même après la régence. Dans la fameuse journée des dupes de novembre 1630, Marie de Médicis avait profité de la grave maladie de son fils pour tenter d’écarter le ministre Richelieu des Affaires. Dans un coup de majesté, Louis XIII avait décidé de bannir finalement sa mère alors que la reine et ses alliés jubilaient de leur victoire. L’été brûlant de 1744 y ressemble beaucoup puisqu’il s’agissait pour les princes et les dévots de profiter de l’état de santé du roi pour écarter politiquement la favorite et le duc de Richelieu, et de s’installer durablement au gouvernement. Le règne de Louis XV fut marqué par cet épisode. En partie purgée de ses dévots, les princes se faisant plus discrets, la couronne eut alors les mains plus tranquilles pour gouverner.
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