Éditorial paru dans notre dernier numéro spécial sur le Kazakhstan
Vu de France, le Kazakhstan a longtemps été perçu comme « une ancienne république soviétique ». En dépit d’une indépendance acquise il y a trente ans et d’une histoire qui a commencé bien avant l’intégration dans l’Empire russe, la période soviétique restait collée à l’image de ce pays. Les violentes émeutes de janvier 2022, les plans de réformes annoncés par le président Kassym-Jomart Tokaïev, le positionnement diplomatique vis-à-vis de la guerre en Ukraine, ont permis de le montrer au public français sous un nouveau jour. Ses spécificités ont été mieux perçues ainsi que son projet politique original en Asie centrale, qui le voit opérer une déconcentration des pouvoirs et une libéralisation de l’économie. Ces vastes politiques de réformes transforment le visage du pays et le font entrer dans une nouvelle ère de son histoire. Des élections présidentielles importantes se sont tenues le 20 novembre dernier, qui ont confirmé la volonté de la population de voir aboutir ces réformes. Celles-ci avaient déjà été approuvées lors d’un référendum tenu au printemps où le « oui » avait largement gagné.
Cœur de l’Eurasie. Au moment où la France range son drapeau en Afrique, où la guerre surgit au cœur de l’Europe, où la Chine ne cache plus ses ambitions mondiales et où les questions énergétiques redeviennent essentielles, la position du Kazakhstan est stratégique pour l’Asie centrale et pour l’Europe. Tout en étant très attentif à son indépendance et au déploiement d’une diplomatie d’équilibre, le Kazakhstan est à l’intersection des puissances russes et chinoises. Tout en maintenant sa cohésion interne et son unité nationale, il voit la tourmente de la région, entre la reprise du pouvoir par les talibans en Afghanistan, la déstabilisation interne de l’Iran, les troubles qui surgissent au Kirghizstan. L’Eurasie demeure le pivot stratégique de la géopolitique mondiale, et le Kazakhstan en est l’un des acteurs majeurs. La France a tout à gagner à s’y déployer davantage, à mieux connaître les particularités de chaque pays, à nouer des partenariats et des échanges. Donc à cesser de voir l’Asie centrale comme un ventre mou entre la Chine et la Russie et les pays qui composent cet espace, comme une succession de « pays en stan » qui n’auraient pas d’identité propre. Bien au contraire, chacun dispose d’une histoire originale, d’une culture politique nationale, de projets régionaux et d’une vision stratégique pour la région. Le Kazakhstan étant le pays de la zone qui possède la position la plus affirmée et le projet politique le plus cohérent.
Enjeux énergétiques. L’énergie, évidemment, est l’un des enjeux principaux. Avec ses réserves d’uranium, de gaz et de pétrole, le Kazakhstan dispose de nombreux atouts. Mais ses steppes sont aussi des lieux de passage essentiel entre l’Extrême-Orient et l’Europe et la mer Caspienne est un espace écologique et géopolitique complexe. Une situation et une réalité géographique qui donnent poids et crédits au Kazakhstan. D’autant que l’histoire n’y a pas commencé avec la fin de l’URSS : dès l’époque antique et médiévale, l’espace des steppes est en contact avec le monde grec puis occidental. Ce qui a contribué à forger une culture originale sur laquelle s’appuie désormais le pays, à la fois pour valoriser son identité et pour développer une offre de tourisme qui attire de plus en plus d’Occidentaux. Coupée du gaz russe, en panne d’investissement dans le nucléaire, l’Europe a besoin d’alliés pour accéder à une énergie abondante et sécurisée. Le Kazakhstan est l’un de ceux-là.
Permanences et originalités. C’est l’objectif de ce numéro spécial que de faire découvrir un pays en pleine transformation politique et sociale, modernisant tout à la fois ses institutions politiques que sa structure économique, cas rare et réussi dans l’ancien espace soviétique. Un pays qui s’inspire de la démocratie libérale occidentale, tout en développant des structures propres, issues de son histoire et de ses spécificités, comme l’Assemblée du peuple et le Congrès des religions du monde, qui permet au Kazakhstan de jouer une partition diplomatique originale. Un pays dont les permanences historiques demeurent, mais dont les transformations sociales et économiques changent son visage, à l’image de sa capitale, Astana, dont l’architecture moderniste reposant sur les grands noms de l’architecture mondiale donne le ton de la modernité du pays.
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