<i class='fa fa-lock' aria-hidden='true'></i> À Chantilly, le cheval roi

5 décembre 2022

Temps de lecture : 6 minutes

Photo : Chantilly (c) Pixabay

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À Chantilly, le cheval roi

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Prix du Jockey Club et prix de Diane placent Chantilly parmi les lieux majeurs de l’hippisme européen. Une tradition qui s’est développée au XIXsiècle et qui continue de séduire les nombreux amateurs du monde équestre.

Par Martin Vidal

Dans les travées de l’hippodrome de Chantilly, la foule se presse pour assister à l’un des grands rendez-vous hippiques de l’année : le prix du Jockey Club. Entraîneurs, jockeys, propriétaires, parieurs ou simple public venu en curieux, tous sont venus célébrer le cheval. À 16 h, le départ de la course est donné. 15 partants pour un objectif : la gloire, et les 857 000 euros de dotation promis au vainqueur. La fébrilité gagne le public, tandis que les chevaux entament la dernière ligne droite devant les tribunes. La voix du speaker résonne de plus belle, les cris des spectateurs montent par vagues comme pour défier ce ciel lourd qui menace à chaque instant d’exploser. Un dernier effort, et c’est le jockey Christophe Soumillon qui remporte aisément la course sur Vadeni.

Course de groupe I, la catégorie la plus prestigieuse regroupant les meilleurs chevaux âgés de 3 ans, le prix du Jockey Club est suivi deux semaines plus tard par le prix de Diane. Au mois de juin, ces deux courses placent Chantilly sur le toit de l’hippisme en France et en Europe.

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Une victoire de prestige pour le prince Aga Khan

Cette année, c’est la casaque verte aux épaulettes rouges de l’écurie du prince Aga Khan qui s’est imposée une nouvelle fois. Dans cette liste de départ mêlant chevaux français, irlandais ou britanniques, c’est le célèbre jockey Christophe Soumillon qui a tiré son épingle du jeu. Sur la piste, au pied du château de Chantilly et des Grandes Écuries, il a signé la septième victoire de l’écurie sur l’épreuve.

Une victoire à domicile donc pour le prince Karim Aga Khan IV, lui qui a été mécène du château de Chantilly pendant de nombreuses années. Héritier à 20 ans seulement de la charge d’imam des musulmans ismaéliens nizârites, il succède à son grand-père Aga Khan III en tant que dirigeant spirituel et politique de ce courant minoritaire chiite représentant environ 15 millions de fidèles aujourd’hui. Il hérite également de l’écurie de chevaux de courses créée par son aïeul, implantée en France dans les haras de Bonneval et d’Ouilly principalement, et en Irlande. En créant le Réseau Aga Khan de développement en 1967, il œuvre au développement en consacrant environ 1 milliard de dollars par an à des activités à but non lucratif dans plus de 30 pays. C’est dans ce rôle de mécène qu’il accepte de créer une fondation pour la sauvegarde et le développement du domaine de Chantilly en 2005. Avant de dissoudre la fondation en 2020, le prince injecte 70 millions d’euros dans la restauration du bâti et des jardins du château de Chantilly. Le Musée du cheval installé dans les Grandes Écuries ainsi que l’hippodrome de Chantilly ont notamment pu être restaurés.

Grâce à son action, le château de Chantilly a ainsi accueilli 425 000 touristes en 2019, soit 100 000 visiteurs de plus qu’avant son arrivée. Grâce à ces restaurations et à la promotion culturelle du château, le prince a joué un rôle très important dans le développement et le rayonnement du château de Chantilly.

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Chantilly, un haut lieu de l’hippisme en Europe

Lors de ce week-end marqué par le prix du Jockey Club début juin, le domaine a également fêté les quarante ans du Musée du cheval. Musée d’art et musée ethnologique, il met en avant depuis 1982 la relation entre l’homme et le cheval dans toutes les civilisations. Plus de 200 objets et œuvres d’art y sont présentés. Des représentations équestres de dressage sont également données dans les Grandes Écuries, construites dans la première moitié du XVIIIe siècle.

Chantilly possède en effet une histoire particulière avec le cheval. La forêt de Chantilly, qui couvre aujourd’hui plus de 6 000 hectares, abritait des chasses quotidiennes lorsque le domaine était propriété de la famille de Condé entre 1643 et 1830. Louis II de Bourbon (1621-1686), « le Grand Condé », cousin du roi Louis XIV, organisa une vie de cour aussi fastueuse qu’à Versailles. Molière, Racine, La Fontaine, Bossuet y furent invités et sont les témoignages du rayonnement de Chantilly en cette époque où la France est reine en Europe.

Aux courses !

Activité sociale autant que populaire, le champ de courses est un lieu de passion et d’échanges. Quelques grandes courses au prestige international ponctuent l’année sportive et la saison mondaine. Honneur au Derby d’Epsom, l’un des plus anciens, tenu en juin, qui marque le la en Angleterre. Chevaux anglais et irlandais se partagent les victoires, ponctuées de quelques incursions françaises. En octobre, le monde du plat est tourné vers Longchamp pour le prix de l’Arc de Triomphe (créé en 1920) qui figure parmi les courses les plus prestigieuses. Marcel Boussac y triompha du temps de sa splendeur, et s’y perdit aussi dans des dépenses incontrôlées. Le prix de Diane (1843) et le prix du Jockey Club (1836) sont les autres grands noms français, dont le pendant irlandais est le Derby d’Irlande couru à Curragh. L’hippodrome d’Ascot, situé à proximité du château de Windsor, est le jardin de la famille royale dont la passion des chevaux a été portée par la reine Elizabeth II. Le Royal Ascot, suite de courses tenues au mois de juin, est à la fois un moment mondain et populaire. Haut-de-forme et tenues relevées s’y croisent pour produire la quintessence de l’esprit british.  

Les Grandes Écuries, exceptionnelles par leurs dimensions, pouvaient accueillir jusqu’à 240 chevaux et 500 chiens. Le prince de Condé était d’ailleurs si fier de sa création qu’il recevait même à dîner sous le dôme haut de 28 mètres. Le domaine, constitué du château, du parc façonné par Le Nôtre, des Grandes Écuries et de la forêt de Chantilly, devint un lieu de réception des grands d’Europe. En juin 1782, Louis-Joseph de Bourbon, prince de Condé, reçut le tsar Paul Ier, ainsi que son épouse Maria Feodorovna et toute leur suite. Le voyage fut marqué par des fêtes éblouissantes, et par une réception qui vit la rencontre du tsar, de Louis XV et de Frédéric II de Prusse.

Les Grandes Écuries accueillent encore aujourd’hui occasionnellement des soirées de gala, où le dîner est servi et les spectacles équestres donnés sous le dôme.

Ces manifestations ainsi que les courses hippiques de Chantilly perpétuent ainsi la tradition issue des grandes réceptions et des chevauchées de chasse du XVIIIe siècle. Malgré les difficultés financières liées à la fin de l’apport monétaire du prince Aga Khan au château, Chantilly reste plus que jamais un haut lieu de l’hippisme en Europe.

Terres de cheval

Normandie, comtés de Suffolk et de Norfolk en Angleterre, Connacht en Irlande et Basse-Saxe en Allemagne, quelques régions d’Europe concentrent les grands élevages de chevaux, des races taillées pour les courses et l’hippisme. De l’herbe, de la pluie, de la passion et des territoires façonnés par le cheval, non plus celui qui sert pour les champs ou pour les fiacres des villes, mais le cheval de course, qui galope et court après les prix. Le cheval construit les territoires où il est roi et draine derrière lui tout un écosystème : éleveurs, vétérinaires, selliers, maréchaux-ferrants, etc. De la même façon qu’il y a des terres de bovins et des terres de taureaux, certains terroirs vivent de la culture du cheval, qui modèle les mentalités, les façons de vivre, les constructions spatiales. En Normandie, l’élevage équestre marque les bâtiments entre l’élevage (haras), les centres équestres et les hippodromes, les lieux de reproduction (haras de Saint-Lô et du Pin), les villes de vente (Deauville). C’est une relation particulière qui se noue entre l’homme et l’animal, une relation de transmission et de respect. Manche, Orne et Calvados concentrent l’essentiel de la filière équestre normande, qui est elle-même la première en France. À l’ombre des vergers et des champs de lin, le cheval se fait un roi discret, mais régnant. La proximité de Paris explique cette appétence normande pour le cheval, la région fournissant un grand nombre de chevaux à la capitale au temps où ils étaient le moteur des voitures. La proximité de l’Angleterre y a aussi contribué, le voisin servant de modèle pour la mode des hippodromes nés au cours du XIXe siècle. La géographie des élevages anglais montre là aussi une concentration dans les proches couronnes de Londres, pour les mêmes besoins que Paris, avec en plus des élèves en Cornouailles et dans le nord de l’Angleterre, à proximité de l’Écosse. En revanche, au pays de Galles et de l’autre côté du mur d’Hadrien, le cheval est moins présent. Le cheval dessine des frontières culturelles autant que géographiques et utilitaires. C’est bien la ville et ses modes urbaines qui le façonnent, surtout quand le cheval de trait a perdu toute utilité. Ces terres de cheval sont aujourd’hui des terroirs de cultures, d’histoires et de passions.

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