Depuis qu’il a été déclaré opérationnel en 1994, le GPS a pris une importance considérable. Conçu à l’origine pour l’armée, il a progressivement équipé tout ce qui se déplace : avions, navires, véhicules terrestres… Il s’est aussi retrouvé dans de nombreux autres objets, à commencer par les smartphones, et il est devenu impossible pour nos sociétés modernes de s’en passer.
À l’origine, le GPS[1] est un système militaire comme son prédécesseur, TRANSIT, mais le président Reagan décide en 1983 de l’ouvrir aux utilisations civiles. En 2000, le président Clinton fait supprimer le brouillage qui n’offrait qu’une précision limitée pour les usages non militaires. Depuis, son importance n’a cessé de s’accroître, tout en voyant des concurrents apparaître. En effet, il faut distinguer le GPS, qui est le système américain, du GNSS[2], qui est le sigle générique pour les systèmes de guidages par satellite.
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Un marqueur de puissance
Désormais, toutes les puissances se doivent d’avoir leur système. Les premiers compétiteurs ont été les Russes avec le GLONASS[3], conçu dès les années 1980. Il est entré en service en 1995, mais le service n’est plus assuré normalement à partir de 1997 à cause d’un financement insuffisant. À partir du milieu des années 2000, les Russes travaillent à son rétablissement, qui survient officiellement en 2011. Il a largement bénéficié du volontarisme des autorités russes qui l’ont rendu obligatoire dans beaucoup de domaines, à commencer par l’aviation civile.
C’est à la fin des années 1990 que l’Union européenne se lance dans la course avec Galileo. Après de nombreuses tergiversations et une phase de tests, le premier satellite opérationnel est lancé en 2011, et la mise en service a lieu en décembre 2016, le déploiement complet étant prévu pour 2024. Si à l’origine les États-Unis ont clairement cherché à mettre des bâtons dans les roues des Européens, ils ont fini par signer un accord d’interopérabilité en 2004. A contrario, dès 2003, la Chine s’était engagée à contribuer à hauteur de 200 millions d’euros, à une époque où elle était plutôt débutante dans la maîtrise de cette technologie.
En effet, si les Chinois ont commencé à travailler dès les années 1980 sur un tel projet, leur premier système, dénommé Beidou[4], est mis en service en 2003 mais avec une vocation uniquement régionale, puisque limité au territoire chinois et aux eaux côtières. Il monte en puissance par la suite, puisqu’une deuxième version est lancée en 2012, qui couvre cette fois-ci une grande partie de l’océan Indien et de l’océan Pacifique. Enfin, en juin 2020, c’est le grand bond en avant vers un système global, à l’égal du GPS, du GLONASS et de Galileo. Par ailleurs, depuis la deuxième version, il est également connu sous le nom de COMPASS, qui est plus vendeur à l’international.
Deux autres systèmes régionaux existent par ailleurs, tous deux actés dans les années 2000. Le premier, dénommé QZSS[5], est japonais. Il est limité au Japon et à l’océan Pacifique, et a été mis en service opérationnel en 2018. Le second est indien, dénommé IRNSS[6] ou NavIC[7]. Il couvre essentiellement l’Inde et l’ensemble de l’océan Indien, et le dernier satellite de la constellation sur laquelle il s’appuie a été lancé en 2018, après de nombreux contretemps. New Dehli nourrit de grandes ambitions pour ce système puisqu’il est rendu obligatoire sur les véhicules commercialisés dans le pays, et sa couverture a vocation à devenir globale, à l’instar de ses homologues américain, russe, chinois et européen.
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Une cible de choix pour les cyber-conflits à venir
Les GNSS sont des technologies duales par excellence, comme l’atteste l’origine militaire du GPS. Cet aspect reste d’ailleurs plus que jamais d’actualité, et les pouvoirs du département de la défense (DoD) américain sur le GPS restent considérables, par exemple en matière de brouillage du signal. Pour les mêmes motifs, le secrétaire d’État à la défense des États-Unis a désigné en 2020 les systèmes européen, indien et japonais comme « alliés », tandis que ceux opérés par les Russes et les Chinois se voyaient qualifiés de « non-alliés ». Avec à la clef des implications directes sur le partage d’informations et l’interopérabilité.
D’ailleurs, en temps de guerre, ils sont susceptibles de faire l’objet d’attaques. Deux modes opératoires majeurs sont recensés. Le premier consiste à brouiller les signaux, ce qui peut affecter la précision de ces systèmes, voire les rendre inopérants. Le second consiste à les leurrer, en émettant de faux signaux qui imitent ceux des satellites. De telles attaques n’ont rien d’anodin car elles peuvent conduire à des accidents graves avec des aéronefs ou des navires, ou amener des missiles et des bombes à frapper un autre objectif que celui programmé.
Du reste, les systèmes civils et militaires sont touchés indifféremment en cas d’attaque, et dès la fin des années 2010, des pilotes d’avion et des marins ont rapporté avoir vu leur GPS indiquer des positions fantaisistes dans des régions conflictuelles telles que la mer Noire. Les signalements ont évidemment connu une recrudescence depuis le début du conflit en Ukraine, y compris dans des régions éloignées du théâtre d’opérations comme la Finlande. Cependant, ces attaques, majoritairement imputées aux Russes, semblent avoir plutôt un caractère de dissuasion, car l’armée ukrainienne utilise dans l’ensemble peu de systèmes guidés par GNSS.
Face à cette montée des risques, les appels venant des milieux politiques ou industriels pour disposer de systèmes plus robustes et plus résilients se multiplient. L’une des solutions consiste à utiliser également des systèmes de navigation reposant sur des émetteurs terrestres, tels que le Loran-C ou son homologue russe Chayka. Mais là où les Occidentaux ont largement démantelé ce type d’installation, la Russie a au contraire amélioré son réseau avant le déclenchement de la guerre en Ukraine. Cela lui permet d’avoir un système alternatif aux GNSS, plus difficile à brouiller ou à leurrer, car les puissances d’émission sont beaucoup plus élevées.
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Les activités illégales, source de perturbation méconnue, mais bien réelle
Si le territoire national français reste pour l’instant exempt de brouillages liés à des conflits, on constate le recours à de telles pratiques pour des activités illicites. Par exemple, à trois ans d’intervalle, en 2019 et en 2022, l’aéroport de Marseille-Provence s’est retrouvé victime de perturbations du GPS qui gênaient les avions au décollage et à l’atterrissage. À chaque fois, les coupables étaient des chauffeurs routiers qui utilisaient un brouilleur pour pouvoir revendre du carburant à la sauvette. Si le délit commis était plutôt mineur, les conséquences auraient pu être colossales puisque la sécurité des avions était directement impactée.
L’utilisation de ce mode opératoire par les réseaux criminels semble également attestée, notamment pour rendre inopérantes les balises de suivi installées par la police sur les véhicules. Par ailleurs, même si aucun cas n’a été documenté à ce jour, de tels appareils pourraient être utilisés pour des actes de sabotage liés à l’écologie radicale, du même type que ceux visant les raccordements internet ou les antennes 5G. En effet, en tant qu’équipement vital au fonctionnement du monde moderne, ils constituent une cible de choix pour ceux qui souhaiteraient attaquer celui-ci.
Mais d’une façon plus générale, les GNSS sont un excellent marqueur de l’évolution géopolitique dudit monde moderne. Nés pour des usages militaires à l’époque de la guerre froide, ils s’ouvrent aux usages pacifiques dans les années 1990 où le monde semblait promis à vivre sous les auspices de la Pax Americana, pour être rattrapé dans les années 2010 par le multilatéralisme et la conflictualité du monde.
A lire également :
[1] Global Positioning System, « Système de positionnement global ».
[2] Global Navigation Satellite System, « Géolocalisation et navigation par un système de satellites ».
[3] GLObalnaïa Navigatsionnaïa Spoutnikovaïa Sistéma, « Système global de navigation par satellite ».
[4] Nom de la Grande Ourse en chinois.
[5] Quasi-Zenith Satellite System, « Système satellitaire quasi-zénithal ».
[6] Indian Regional Navigation Satellite System, « Système indien régional de navigation par satellite ».
[7] Navigation with Indian Constellation, « Navigation avec la constellation indienne ».