<i class='fa fa-lock' aria-hidden='true'></i> Général Lloyd Austin, le serviteur discret du Pentagone

7 novembre 2022

Temps de lecture : 5 minutes

Photo : US Secretary of Defense Lloyd J. Austin III speaks during a media conference after a meeting of NATO defense ministers at NATO headquarters in Brussels, Wednesday, Oct. 12, 2022. (AP Photo/Olivier Matthys)/OM157/22285577307714//2210121805

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Général Lloyd Austin, le serviteur discret du Pentagone

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Vétéran d’Irak et d’Afghanistan, le secrétaire à la défense de Joe Biden donne du muscle à la diplomatie américaine, pour le plus grand bonheur du complexe militaro-industriel des États-Unis.

Quand Beau Biden, le fils aîné du futur président américain, s’éteint le 30 mai 2015 d’un cancer du cerveau à l’âge de 46 ans, un colosse afro-américain de près de deux mètres se joint à la famille. De multiples rangées de médailles couvrent sa poitrine rehaussée d’étoiles. À Bagdad, en 2008, le général Lloyd Austin occupait le même banc d’église catholique que le défunt, capitaine de réserve, futur procureur général du Delaware et fils de candidat à la présidence des États-Unis d’Amérique. Devenus amis, les deux hommes ont continué à se voir aux États-Unis. Coïncidence ? Le général Austin passe adjoint au chef d’état-major des armées, un poste qui va véritablement lancer sa carrière d’officier général et le faire connaître à Washington. L’Irak est alors à feu et à sang. En 2010, le général Austin est choisi pour prendre le commandement de l’opération.

De l’Irak à la Maison-Blanche

Élu président, mais toujours meurtri par la perte de son fils préféré, Joseph Biden savait pouvoir compter sur le général Austin à son retour à la Maison-Blanche. Sa nomination au département de la défense a cependant été une petite surprise à Washington où Michèle Flournoy, vieille connaissance d’Antony Blinken et de Hillary Clinton, partait favorite au début de la période de transition. Le Parti démocrate s’était opposé à la militarisation de cette fonction éminemment politique avant le passage du général Jim Mattis de 2017 à 2019, car une période de sept ans est théoriquement nécessaire entre la fin d’un commandement opérationnel et des fonctions gouvernementales. Sans expérience politique, les chances du général Austin semblaient réduites. Mais le premier secrétaire à la défense afro-américain de l’histoire des États-Unis a pu obtenir une dérogation du Congrès.

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Selon de nombreux médias américains, le général Austin aurait également été préféré pour son caractère docile et très peu politique, susceptible de rassurer les équipes de la Maison-Blanche tandis que la santé du président est toujours plus fragile. Aux États-Unis, il n’y a pas de ministres ni de gouvernement, mais simplement des secrétaires, c’est-à-dire des chefs d’administration au service de la présidence. La politique se fait au Congrès qui doit confirmer les nominations de la Maison-Blanche. Par ailleurs, le Black Caucus, traditionnellement influent au sein du Parti démocrate, a fait pression pour qu’une personnalité noire puisse accéder à un poste en vue au sein de l’administration Biden. Ce choix s’est fait au détriment de Flournoy et de la représentation des femmes dans l’appareil de sécurité.

Au sein de cette administration, déjà arrivée à mi-mandat, Austin côtoie Antony Blinken, qu’il avait pu jauger entre 2016 et 2020 dans les méandres du complexe militaro-industriel américain, en tant qu’associé de Pine Island Capital, un lucratif fonds d’investissement. L’imbrication public-privé est inscrite dans la culture américaine depuis ses origines. Après quarante et un ans de bons et loyaux services dans l’armée américaine, Lloyd Austin rejoint naturellement le conseil d’administration du géant de la défense Raytheon Technologies. À compter d’avril 2016, il peut engranger près de 3 millions de dollars en quatre ans. Ancien patron du CENTCOM de 2013 à 2016, l’état-major opérationnel d’une zone regroupant l’ensemble du Moyen-Orient, après avoir été vice-chef d’état-major de l’armée américaine, il attire également les convoitises du conseil d’administration d’une major de la sidérurgie américaine, Nucor. Mais ce n’est pas tout, Austin a également siégé à partir de 2018 au conseil d’administration de Tenet Healthcare, propriétaire d’une soixantaine d’hôpitaux aux États-Unis. Lloyd Austin a fait fructifier ses réseaux et ses talents au Pentagone et à la fondation Carnegie de New York où il a aussi un rond de serviette. Sa fortune serait estimée aujourd’hui à plus de 6 millions de dollars.

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Un parcours exemplaire ?

Au cours de sa carrière, en apparence exemplaire, seul le fiasco américain en Syrie aurait pu être un frein à l’ascension politique du général Austin. À la tête du CENTCOM, il avait alors lancé train and equip, un coûteux programme de 500 millions de dollars visant à recycler les restes de l’armée syrienne libre. L’objectif était de poursuivre la lutte contre le régime de Bachar Al-Assad et contre Daech avec l’aide de la Turquie, de la Jordanie, du Qatar et de l’Arabie saoudite. 5 000 soldats devaient y participer, ils n’étaient plus que « quatre ou cinq » en 2015 selon le bilan communiqué par le général Austin en personne, une bonne partie des recrues étant parties se recycler dans les différentes nébuleuses djihadistes de la guerre civile syrienne.

En août 2021, second désastre. Le retrait américain de Kaboul se termine en cauchemar à l’aéroport. Les civils s’accrochent aux roues des avions, un attentat frappe le terminal après que Kaboul est tombé aux mains des talibans. En quelques jours, l’armée et la police afghane, formées à grands frais pendant des années par les forces américaines et otaniennes, s’effondrent comme un château de cartes. Ces images ternissent les premiers mois opérationnels du général Austin à la tête du Pentagone. Mais le secrétaire à la défense passe à travers les gouttes. Sans doute, son passé militaire en Afghanistan a pu rendre crédible sa défense face aux sénateurs et autres représentants. Austin, en bon militaire, communique peu et ses rares interventions sont bien préparées. On ne sait presque rien de sa vie privée. Tout juste sait-on qu’il est né le 8 août 1953 dans l’Alabama, qu’il a grandi dans le vieux sud, en Géorgie, enfant unique, où il a toujours sa résidence principale. Il est entré à West Point en 1973 et s’est marié à Charlene Banner en 1980, une fonctionnaire de la défense d’origine afro-américaine qui a eu deux enfants d’une première union. Discrétion et discipline sont les deux principales raisons qui font que Lloyd Austin devrait être reconduit à ce poste après les élections de mi-mandat. À l’unisson du Parti démocrate, il a annoncé une chasse interne aux militaires racistes et a réintégré les personnels transgenres sous l’uniforme. « J’ai passé un nombre incalculable d’heures avec lui, sur le terrain et dans la salle de crise de la Maison-Blanche. J’ai vu comment il commande, ses conseils sont avisés. J’admire son calme » disait Joe Biden au moment de sa nomination. Le président des États-Unis n’est plus tout jeune, mais il peut compter sur son secrétaire à la défense qui tient sa boutique sans fanfares ni trompettes, sans plan de réorganisation stratégique mirobolant.

Toutefois, les retraits d’Afghanistan et d’Irak ont éclipsé une réarticulation des forces en direction des principaux fronts stratégiques américains en Europe et en Extrême-Orient, particulièrement lucratifs pour l’industrie de défense d’outre-Atlantique. Les programmes d’armement nécessaires à la contre-insurrection au Moyen-Orient sont intéressants pour l’infanterie et l’aviation légère, mais ils peuvent détourner l’attention des grands programmes stratégiques où missiliers, chantiers navals et autres ingénieurs aéronautiques font saliver les cabinets de conseils du Pentagone. Les programmes de missiles hypersoniques AGM-183A et HAWC de Lockeed Martin ou le programme de défense antibalistique GWS (Ground-based Midcourse Defense Weapon System) développé par Northrop Grumman pour plus de 3 milliards de dollars nécessitent un soutien politique dans la durée. La guerre en Ukraine et les menaces chinoises sur Taïwan ont deux avantages : faire oublier les défaites américaines au Moyen-Orient et relancer le réarmement massif du complexe militaro-industriel américain dont les déboires ont refroidi les ardeurs des membres du Congrès. Qui de mieux que le général Lloyd Austin pouvait remplir ce rôle ? Auréolé par ses combats passés en Irak et en Afghanistan, d’une discrétion politique à toute épreuve, et familier des arcanes financiers de l’industrie de défense, le général Austin a incontestablement le profil du fidèle exécutant du complexe militaro-industriel américain.

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À propos de l’auteur
Hadrien Desuin

Hadrien Desuin

Ancien élève de l’École spéciale militaire de Saint-Cyr, Hadrien Desuin est membre du comité de rédaction de Conflits.
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