[colored_box bgColor= »#f7c101″ textColor= »#222222″]Cette recension a été publiée dans le numéro 10 de Conflits. Si vous souhaitez acheter ce numéro, rendez-vous sur la e-boutique de Conflits en cliquant ici.[/colored_box]
Dans le Panthéon des pères fondateurs de la géopolitique, aux côtés des Mackinder, Ratzel et autres Haushofer, Nicholas John Spykman (1893-1943) demeurait le seul auquel aucune enquête historiographique approfondie n’avait été consacrée. C’est donc peu dire que la thèse d’Olivier Zajec arrive à point nommée et vient utilement combler un angle mort de l’histoire des idées géopolitiques. Elle renouvelle profondément notre connaissance d’un auteur capital dont on s’aperçoit rétrospectivement à quel point il nous était jusqu’alors quasiment inconnu. C’est en effet à une convaincante démolition en règle de l’image d’Epinal de Spykman que se livre ici le biographe, faisant découvrir à son lecteur des pans entiers restés jusqu’alors ignorés de son parcours, et remettant en question bien des idées reçues jusqu’alors véhiculées à son propos.
Il n’est pas jusqu’à la notion de « Rimland », par laquelle Spykman est passé à la postérité qui ne se trouve remise en question. D’emblée, O. Zajec souligne en effet ce point capital mais jamais réellement pris en considération : « La théorie du Rimland n’a été formulée qu’en 1944, soit un an après la mort de son auteur ». C’est en effet à partir de diverses notes laissées par le professeur de Relations internationales que ses collègues de Yale ont rédigé, fort librement démontre O. Zajec, son dernier ouvrage, The Geography of Peace, qui lui a valu de passer à la postérité comme le cynique adepte d’une géopolitique matérialiste amorale voire crypto-nazie, à l’origine de la théorie du containment mise en œuvre par Truman au début de la guerre froide.
Pour déconstruire cette image peu flatteuse mais surtout fallacieuse, Olivier Zajec qui cumule un réel talent d’historien à une plume élégante, retrace avec précision le parcours du savant américain d’origine hollandaise au fil d’un récit d’autant plus captivant qu’il prend fréquemment le tour d’un véritable « polar ». On y découvre le jeune Spykman en agent secret sillonnant le Moyen-Orient et l’Asie, puis en ambitieux doctorant en sociologie introduisant la pensée de Georg Simmel en Amérique avant de devenir un docte professeur de Relations internationales, une discipline qu’il contribue à institutionnaliser, à Yale.
En apparence décousu, ce parcours est en fait marqué par une forte cohérence intellectuelle qu’O. Zajec fait bien ressortir. À rebours de la tendance dominante, plutôt que d’expliquer Spykman par – voire de le résumer à – son livre posthume de 1944 pour partie apocryphe, O. Zajec propose de l’aborder depuis sa thèse de 1923. En partant ainsi de l’amont plutôt que de l’aval de l’itinéraire intellectuel spykmanien, il montre que pa- delà l’évolution de ses sujets d’études, le Hollandais devenu Américain est toujours demeuré fidèle à une même méthode sociologique et que sa prétendue « géopolitique » relève avant tout d’une transposition aux relations internationales de la sociologie relationnelle simmelienne.
F.L.
[colored_box bgColor= »#DCEDC8″ textColor= »#222222″]Olivier Zajec, Nicholas Spykman, L’invention de la géopolitique américaine, 2016, PU Paris Sorbonne, 603 pages 29 euros.[/colored_box]
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