C’est avec une pointe d’envie qu’un historien français rend compte d’un tel ouvrage. Toutes les archives de l’État ont été ouvertes à l’auteur et l’accès lui a été facilité aux principaux acteurs de cette guerre improbable. Certes, elle a duré peu de temps, mobilisé des effectifs modestes. N’empêche. Il aura fallu plus de 1 000 pages pour la décrire et l’expliquer.
Parce qu’il était considéré comme l’universitaire le mieux à même d’éclairer l’histoire récente de la Grande-Bretagne, sir Lawrence Freedman a été chargé en 1997 d’écrire l’histoire officielle de la campagne. Cette désignation qui lui donnait « the ability to make full use of the archives » n’entraînait d’autre contrainte que ne rien révéler qui puisse mettre en danger la sécurité des institutions et des personnes. Sept ans plus tard, il livrait le résultat de ses recherches, en deux volumes, précédé d’une réflexion sur les limites que l’histoire militaire lui imposait : après deux décennies, les témoignages ne valent plus grand-chose, bien des interventions ne laissent pas de traces ; les perceptions diffèrent d’un individu à l’autre, et les contradictions sont nombreuses – il est même normal qu’elles existent. Ce qui s’est « réellement passé » pendant la bataille, est-il possible d’en rendre compte ? L’historien a-t-il les mots pour « recréer les sons, les images, les odeurs et la douleur de la bataille » ?
Le premier volume rappelle les antécédents du conflit : quels ont été, depuis le XVIe siècle, les droits respectifs des belligérants sur ces îles déshéritées ? Et quel sort a-t-il été fait à leurs habitants (moins de 2 000 au recensement de 1981) par les différents occupants[1] ? Le second traite du conflit dans ses aspects militaires, diplomatiques et politiques. « Le succès final ne pouvait en aucun cas être tenu pour acquis. »
Ce fut d’abord un imprévu, un accident, « exactement le genre de guerre que les forces britanniques ne s’attendaient pas à mener ». Une campagne qui se déroulerait loin du théâtre européen qui focalisait l’attention de la défense. Et un ennemi inattendu, l’Argentine… Cet affrontement ne serait ni une péripétie de la guerre froide ni une lutte anticoloniale. Fallait-il aussitôt réagir par les armes à l’occupation des îles ou temporiser en cherchant une issue diplomatique ? Le First Sea Lord trancha : il fallait agir et gagner pour rester Britannia.
La réplique militaire était pleine de difficultés. Le pays n’allait pas bien et vivotait dans l’ombre des États-Unis. Les chaînes logistiques, de la Grande-Bretagne aux îles, s’annonçaient longues et complexes. Et comment se comporteraient des forces armées qui n’avaient pas connu de guerre conventionnelle depuis l’expédition de Suez, en 1956 ? Enfin, l’adversaire n’était pas négligeable.
L’ennemi n’était ni incompétent ni effrayé. Il n’était pas non plus mal équipé et affamé. Son utilisation de l’air était audacieuse. Ses positions défensives étaient bien situées et bien construites. Il s’est battu avec habileté et bravoure. Certaines unités ont résisté presque jusqu’au dernier homme.
Dix semaines plus tard, le bilan était lourd, mais les Argentins avaient perdu. La guerre menée sans les Américains (avec leur soutien logistique, cependant) avait redonné confiance en elle et crédibilité aux forces britanniques. Après avoir analysé les erreurs et les dysfonctionnements qui furent pourtant commis, sir Lawrence Freedman mettait en relief le facteur humain : des combats décisifs avaient été gagnés d’abord grâce à l’initiative et l’audace de soldats de 20 ans. Si la junte argentine, en jouant son va-tout, s’était condamnée, Margaret Thatcher pouvait célébrer sa victoire : « We have ceased to be a nation in retreat. »
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Sir Lawrence Freedman, The Official History of the Falklands Campaign. Vol. 1 : The Origins of the Falklands War, Londres, Routledge, 2004, 250 p., et vol. 2 : War and Diplomacy, Londres, Routledge, 2004, 812 p[2].
[1] La France n’a jamais revendiqué ce territoire, mais ce sont des Malouins qui l’ont occupé les premiers.
[2] On pourra aussi consulter les mémoires de quelques-uns des principaux acteurs britanniques du conflit, sir Henry Leach (Endure no makeshifts, Leo Cooper, 1993), amiral Sandy Woodward (One hundred days – The memoirs of the Falklands Battle Group Commander, HarperCollins, 2012), Julian Thompson (No picnic – 3 Commando Brigade in the Falklands, Pen & Sword, 2020), sir Cedric Delves (Across an angry sea. The SAS in the Falklands War, Hurst, 2020), Nicholas van der Bijl (My friends the enemy – Life in military intelligence during the Falklands War, Amberley, 2020), D. J. Thorp (The Silent listener – British electronic surveillance, Spellmount, 2011).