<i class='fa fa-lock' aria-hidden='true'></i> L’écueil technologique

9 août 2022

Temps de lecture : 3 minutes

Photo : AUCKLAND, NZL - 30 JAN 2016 : Des visiteurs à bord du HMNZS Wellington (P55) dans les ports d'Auckland lors de la journée anniversaire. Crédits : Rafael Ben-Ari/SIPA

Abonnement Conflits

L’écueil technologique

par

Les marines militaires occidentales sont tiraillées entre deux impératifs : d’une part, soutenir le rythme d’une course technologique aussi foisonnante que vertigineuse (vecteurs hypersoniques, armes à énergie dirigée, systèmes spatiaux, sous-marins abyssaux…) ; d’autre part, disposer d’un format suffisant pour couvrir tous les points chauds du globe et y tenir tête à un éventuel compétiteur stratégique tenté par le combat naval conventionnel.

Répondre à ce dilemme à un coût raisonnable requiert d’avoir conscience des écueils à éviter.

Tout d’abord, la fuite en avant technologique est un mirage aussi trompeur que coûteux. Rappelons que l’US Navy a interrompu la construction des croiseurs futuristes de la classe Zumwalt, refroidie par leur coût unitaire (7 milliards de dollars, le PIB du Malawi) ; qu’elle abandonne prématurément ses Littoral Combat Ships, soi-disant révolutionnaires mais sous-armés et peu fiables ; et qu’elle a mis en sommeil ses recherches sur le canon électromagnétique après l’avoir longtemps considéré comme un game changer. Les armes trop avancées, trop compliquées ou trop fragiles s’adaptent mal aux réalités du combat naval. Il est possible de se noyer dans les dollars aussi sûrement que dans les flots.

Ensuite, il est illusoire de croire que les armes anciennes seront toutes remplacées par des technologies miraculeuses dites « de rupture ». Au-delà des annonces grandiloquentes, l’IA forte n’en est qu’à ses balbutiements, le virus Stuxnet n’a vraisemblablement pas été bricolé par un geek isolé et l’extension de la guerre dans les champs immatériels n’est pas une substitution prometteuse à l’affrontement physique. Une frégate, même numérique et connectée, aura encore besoin d’armes létales pour se mesurer à un croiseur doté de 122 silos de missiles hypersoniques. Il est aussi possible de se noyer dans les octets.

Le snobisme technique, qui pourrait inciter à privilégier les armes à la mode aux armes plus anciennes, méconnaît le sage principe selon lequel « l’efficacité des armes est multipliée par leur action solidaire[1] ». Les conflits récents démontrent que c’est assorti à des équipements robustes et éprouvés que la haute technologie rend les meilleurs services, comme en témoigne l’emploi de pièces d’artillerie ou de missiles relativement simples[2], guidés par des drones ou accompagnés de munitions rôdeuses. De même, l’avion n’a pas rendu obsolètes les navires de surface, et c’est en conjuguant ces technologies qu’est né le porte-avions. L’innovation navale préfère souvent les évolutions aux révolutions.

L’octet et l’acier ne doivent donc pas s’opposer, mais s’allier pour démultiplier leurs atouts, tout comme l’amiral Arleigh Burke[3] conseillait d’ajouter aux frégates qui portent son nom « une brassée de sabres d’abordage ». L’US Navy a d’ailleurs décidé de prolonger cette série très réussie des années 1990 en modernisant leurs radars et leurs missiles. Dans une même logique, l’US Air Force a commandé une version Advanced Eagle du vieux chasseur F15 pour compléter ses commandes ruineuses de F22 et de F35 et atteindre l’indispensable compromis entre expensive et expandable.

Quarante ans après la guerre des Malouines, souvenons-nous que le combat naval reste encore une « rixe de matelot » qui fait naître trop d’imprévu pour se plier à la rigidité d’un cadre technologique trop strict ou trop parfait. Quand les idéalistes des années 2000 promettaient la disparition du brouillard de la guerre et l’avènement de conflits fulgurants grâce à des armes furtives de haute précision, la réalité apparaît aujourd’hui beaucoup plus nuancée : le prochain combat naval débutera peut-être sur Twitter, mais rien ne prouve qu’il ne se terminera pas par un choc de chair et d’acier. Rappelons aussi avec l’amiral Mahan que « de bons marins sur de mauvais bateaux sont meilleurs que de mauvais marins sur de bons bateaux ». Loin des sirènes de la mode et des rêves de certains industriels, la guerre navale du xxie siècle impose de préférer le solide au brillant, l’expérience à la théorie et la réalité à l’idée.

[1] Amiral Raoul Castex, La liaison des armes sur mer (1926).

[2] Comme les missiles antichars NLAW ou les missiles antinavires NEPTUN rendus célèbres par le conflit en Ukraine.

[3] Héros de la Seconde Guerre mondiale et de la guerre de Corée, puis chef d’état-major de l’US Navy de 1955 à 1961.

À lire également

Tensions maritimes et développement naval : le retour de la guerre en mer ?

Mots-clefs :

Temps de lecture : 3 minutes

Photo : AUCKLAND, NZL - 30 JAN 2016 : Des visiteurs à bord du HMNZS Wellington (P55) dans les ports d'Auckland lors de la journée anniversaire. Crédits : Rafael Ben-Ari/SIPA

À propos de l’auteur
François-Olivier Corman

François-Olivier Corman

La Lettre Conflits
3 fois par semaine

La newsletter de Conflits

Voir aussi

Pin It on Pinterest