De l’Italie on connaît les pâtes, le cinéma et les beaux paysages. Vu de France, on rêve de Rome, de Naples, de Venise, de grands acteurs, de littérature. On se souvient de notre histoire commune, de Charles VIII et des guerres d’Italie, de Richelieu et de la Valteline, de Napoléon III et de Solférino. Nous conservons la mémoire des Italiens qui ont contribué à la grandeur de la France : Léonard de Vinci, Mazarin, Albert Uderzo et une kyrielle d’anonymes fuyant la pauvreté en s’installant de l’autre côté des Alpes. En France, si nous aimons l’Italie, nous ne prenons pas trop les Italiens au sérieux, sauf peut-être pour l’opéra et pour le football. Nous imaginons volontiers un pays ensoleillé, mais qui manque de rigueur, un pays doué pour l’artisanat, mais qui n’a pas notre puissance. Voilà pour l’imaginaire. Et nous avons tort, car cela n’est pas l’Italie.
L’Italie est une puissance méconnue, économique, industrielle, culturelle, commerciale ; et pas seulement dans le nord du pays. L’industrie italienne est l’une des plus puissantes d’Europe : construction, agroalimentaire, armement, train, automobile, mode, etc. Ses marques ont pris le monde d’assaut, ses restaurants se retrouvent en Asie centrale et en Amérique latine, la fiabilité de ses technologies n’a rien à envier à l’Allemagne. Voilà pour la réalité. Les entrepreneurs ne s’y sont pas trompés : les entreprises françaises font davantage de commerce avec l’Italie qu’avec l’ensemble du continent africain qui ne représente qu’à peine 2 % du commerce français, contre 6 % pour le Royaume-Uni. En 2021, les exportations vers l’Afrique (Maghreb et Afrique noire) représentaient 23,5 Mds€ quand les exportations vers la Belgique sont montées à 37,2 Mds€. Dans nos échanges commerciaux, la Belgique pèse davantage que l’Afrique. Les imaginaires finissent par nuire à la réalité quand ils conduisent à suivre des choix erronés.
Bien que proche à bien des égards, l’Italie est très éloignée de la France. Ce n’est pas la même culture politique, la même appréhension de l’État et de la nation, le même rapport à la géographie et à l’histoire. La France semble fascinée par l’Allemagne, oubliant de renforcer le couple franco-italien qui devrait être l’un des moteurs de l’Europe. Alors que Londres est parti de l’UE, c’est vers Rome que Paris devrait se tourner, non vers Berlin. Le récent traité du Quirinal conclu entre les deux pays est un premier pas pour rapprocher les deux pays, comme le sera la mise en service du tunnel Lyon/Turin.
L’Italie interroge la puissance. Elle n’a pas la puissance militaire de la France, elle n’a pas non plus ses prétentions mondiales. Mais elle a la puissance économique et culturelle et sait mettre en valeur sa situation géographique pour peser en Méditerranée, dans les Balkans et en Afrique du Nord. Après la guerre en Ukraine, les enjeux du sud reviendront. N’est-ce pas l’Italie qui reçoit les flots de migrants, qui voit sur son sol se développer les collusions entre les mafias et les trafics d’êtres humains, qui est aux premières loges des flux illicites en provenance des Balkans ? Outre les intérêts économiques, nous partageons des enjeux sécuritaires et culturels vitaux pour les décennies à venir.
De la Rome antique à la Florence des Médicis, les Italiens ont inventé la science politique. Nicolas Machiavel constatait que « le monde fut toujours habité par des hommes qui ont eu les mêmes passions ». Là réside l’intérêt de lire les classiques : ils donnent la profondeur et la hauteur nécessaire pour ne pas céder aux vents et aux modes et pour comprendre les enjeux réels du moment, c’est-à-dire pour distinguer les réalités derrière les imaginaires. L’Italie a vu passer sur son sol bien des civilisations, des occupants et des princes étrangers. Du Capodimonte des Bourbons au Monreale des Normands en passant par le Trieste de D’Annunzio, c’est tout un imaginaire de lettres et d’idées qui s’est construit au long des siècles, contribuant à mieux éclairer les réalités.
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