Les Français ont découvert la Frecciarossa de Trenitalia à l’occasion de la fin du monopole de la SNCF. Rénovant ses infrastructures nationales et partant à la conquête des marchés européens, le ferroviaire italien a de grandes ambitions.
Daisy Boscolo Marchi
Les fractures dans les infrastructures ont entraîné des retards importants dans le potentiel de croissance et la compétitivité du pays. Les forts écarts territoriaux et le retard désormais historique de développement social, économique et industriel du sud par rapport au nord représentent un obstacle à la convergence économique et sociale de l’Italie. La question n’est ni méridionale ni septentrionale, mais nationale. Pour ce faire, le gouvernement italien prévoit un plan d’investissement de 25 Mds€ afin de rénover un réseau ferré national inadapté, lent et parfois dangereux. Cette rénovation doit aussi permettre l’unification territoriale du pays. Il s’agit à la fois de développer l’axe nord-sud, mais aussi est-ouest, rendu compliqué par la géographie montagneuse du pays. Le réseau ferroviaire à grande vitesse joue un rôle fondamental, car 90 % du trafic de voyageurs en Italie se fait par route (860 milliards de voyageurs/km par an), alors que seulement 6 % des voyageurs voyagent sur les chemins de fer (contre 7,9 % en Europe). Ce déséquilibre est aussi présent pour le transport de marchandises dont 54,5 % se font par la route contre seulement 11 % par le rail (contre environ 18,7 % en Europe).
Les objectifs de Ferrovie dello Stato dans le territoire national : combler la distance nord-sud et relier le sud à l’Europe
Ferrovie dello Stato est engagé dans une modernisation accélérée du réseau qui se poursuit sur plusieurs axes : réseau, trains, gares, systèmes fixes et routes intelligentes. Le point de départ est connu : plus de 12 000 km de réseau déjà électrifié sur près de 17 000 au total, soit 72 % du réseau avec un objectif de 83 % fin 2026. De cette façon, l’Italie deviendra le pays d’Europe avec le pourcentage le plus élevé de trains qui circuleront sans générer d’émissions de CO2. Le groupe vise également à devenir neutre en carbone en 2050.
Combler la distance entre nord et sud ainsi que relier le sud à l’Europe pour en faire un centre névralgique des personnes et des marchandises, intégrant les territoires du sud aux grands corridors européens pour favoriser la compétitivité et la modernisation du pays. Il s’agit ici d’une des priorités nationales et les chemins de fer italiens vont en être l’acteur majeur pour la mise en place de cette stratégie.
Concernant les interventions sur le réseau à grande vitesse prévues dans le sud, elles permettront de réduire les temps de parcours et d’augmenter le nombre de passagers. Les exemples sont Naples-Bari et Palerme-Catane-Messine, lignes fondamentales du corridor scandinave méditerranéen qui représente un axe nord-sud crucial pour l’économie européenne. Concernant le trajet entre Naples et Bari, une fois le projet terminé, le tronçon sera parcouru en deux heures au lieu des trois heures trente actuelles. Il y aura une augmentation de la capacité de quatre à dix trains/heure sur les tronçons à double voie et un ajustement des performances pour permettre le transit de trains de fret jusqu’à 750 mètres de long et sans limitations de poids axial.
Concernant le trajet entre Palerme et Catane, le renouvellement de la ligne devrait permettre la réduction du temps de trajet de soixante minutes sur la liaison par rapport aux trois heures actuelles, et une augmentation de la capacité de quatre à dix trains/heure sur les liaisons doublées. Sur le trajet Rome-Pescara, une fois l’ensemble du projet terminé, il y aura un gain de quatre-vingt minutes sur la ligne et une augmentation de la capacité de quatre à dix trains/heure sur les lignes doublées. Sur le trajet Naples-Taranto (via Battipaglia) par rapport aux quatre heures actuelles, la capacité passera de quatre à dix trains par heure et la ligne sera renforcée pour permettre le passage des trains de marchandises.
Trenitalia investira 4 Mds€ d’ici 2026 pour mettre en service les nouveaux trains régionaux à la pointe de la technologie. Ce sont des trains verts et écodurables, composés à 97 % de matériaux recyclables et capables d’assurer une réduction de 30 % de la consommation d’énergie par rapport aux trains qu’ils remplaceront. Sans parler de la nouvelle injection garantie par le PNRR : le ministère des Infrastructures et de la Mobilité durable a approuvé un décret qui attribue à Trenitalia 200 millions d’euros pour l’achat de nouveaux trains électriques ou hydrogènes : 60 millions pour sept trains bimodaux pour les liaisons interurbaines Reggio Calabria-Taranto (qui entreront en service au 31 décembre 2024) et 140 millions pour 70 autocars de nuit interurbains à destination et en provenance de la Sicile (entièrement opérationnels au 30 juin 2026).
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Les investissements en Europe
Le Frecciarossa 1000, symbole de l’excellence Made in Italy, devient un train de plus en plus européen. Pour la première fois, le 18 décembre 2021, il a traversé les Alpes apportant des trains à grande vitesse italiens sur le marché français. Il s’agit d’une date historique pour la France et l’Italie, car Trenitalia (société détenue à 100 % par Ferrovie dello Stato Italiane) est en effet le premier opérateur étranger à entrer sur le marché ferroviaire français à la suite de la libéralisation du marché en décembre 2020. Frecciarossa permet ainsi de relier les deux capitales économiques que sont Paris et Milan et offre aux passagers français des trains réguliers sur la ligne Paris/Lyon, la plus fréquentée de France, en complément des trains de la SNCF.
La France n’est que la première étape. Ferrovie dello Stato s’engage aussi en Espagne par l’intermédiaire de la société Ilsa, proposant jusqu’à 74 liaisons quotidiennes, dont 32 sur la liaison Madrid-Barcelone. En Espagne, Trenitalia aura deux concurrents : Renfe, l’entreprise publique de transport ferroviaire espagnole et la SNCF[1]. Ferrovie dello Stato est également présente en Grèce, en Allemagne, aux Pays-Bas et a renforcé sa présence en Grande-Bretagne, grâce à l’attribution de la concession pour gérer l’une des lignes ferroviaires les plus importantes du Royaume-Uni : Londres-Glasgow. À ces services seront ajoutés ceux de la nouvelle ligne à grande vitesse (High Speed 2) qui reliera Londres à Birmingham et Manchester.
L’avancement des travaux sur la ligne à grande vitesse Turin-Lyon
Le 17 septembre 1871, le tunnel ferroviaire du Fréjus est inauguré. Il est alors le plus long du monde et demeure toujours le seul passage à haute altitude entre l’Italie et la France, malgré les difficiles rampes d’accès du Val di Susa et de la Maurienne. Le 17 septembre 2021, le tunnel fête ses cent cinquante ans, mais commence à savourer la date de sa « retraite », car la liaison Turin-Lyon n’est plus un projet stricto sensu mais un vrai chantier en cours de réalisation.
C’est en 1994 que les chefs d’État européens déclarent le projet ferroviaire Lyon-Turin comme projet prioritaire pour le continent. Un premier communiqué qui anticipait la conception de l’ouvrage et l’accord entre la France et l’Italie pour sa construction. Le projet ferroviaire Lyon-Turin faisait déjà partie du plus grand rêve du « chemin de fer européen », un corridor méditerranéen pour relier la péninsule ibérique à l’Europe de l’Est (d’Algésiras à Budapest), et desservir 18 % de la population européenne. Un vaste territoire de 350 millions de citoyens, reliés entre eux par les autres lignes à grande vitesse déjà existantes et en construction en France, en Italie, en Espagne et dans de nombreux autres pays européens et qui font partie du projet RTE-T, la grande vitesse ferroviaire de l’Union européenne. Quant au tronçon spécifique entre Lyon et Turin, le chemin de fer couvrira une longueur de 270 kilomètres, assurera le passage de 1 million de poids lourds par an et la réduction annuelle conséquente de 3 millions de tonnes de dioxyde de carbone dispersées dans l’environnement. Sur le seul tronçon Lyon-Turin, 40 millions de tonnes de marchandises et 5 millions de voyageurs transiteront chaque année à pleine capacité. À l’intérieur du tunnel, qui reliera la Susa italienne à la française Saint-Jean-de-Maurienne, les trains de voyageurs rouleront à une vitesse de 220 km/h, tandis que les trains de marchandises atteindront 110 km/h.
Une fois achevés, les travaux auront un impact significatif pour l’Italie et le Piémont. Le projet prévoit que la grande vitesse alimentera les échanges entre l’Italie et la France, améliorera les échanges ferroviaires de marchandises autour de la ville de Turin et contribuera au développement du transport métropolitain dans la capitale piémontaise.
Le projet de la ligne Turin-Lyon est inclus dans le programme de travail, annexé au traité du Quirinal, en complément de l’article 10, relatif à la coopération transfrontalière. Dans le texte, on retrouve également la volonté de procéder à la révision de la Convention de Lucques, au plus tard en 2022, dans le but d’améliorer la gouvernance du tunnel du Mont-Blanc. Grâce aux trains, l’Italie ne sera plus tout à fait de l’autre côté des Alpes.
[1] La SNCF rechigne à ouvrir le marché français, mais se déploie à l’international sur les marchés européens.
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