<i class='fa fa-lock' aria-hidden='true'></i> Les NFTs révolutionnent le marché de l’art

5 juillet 2022

Temps de lecture : 8 minutes

Photo : C: Davide Bonaldo/Sipa USA

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Les NFTs révolutionnent le marché de l’art

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Après l’avènement du web 2.0 des réseaux sociaux dans les années 2000, puis l’essor des cryptomonnaies et de la blockchain, internet serait aujourd’hui au seuil d’une nouvelle révolution : celle des NFTs. Ces « token non fongibles » ont commencé par envahir le marché de l’art à la faveur de la pandémie de coronavirus et des confinements successifs.

Le 12 mars 2021, Mike Winkelmann, artiste numérique plus connu sous le pseudonyme de « Beeple », a vendu son NFT Everydays : the first 5 000 days pour la somme de 69 millions de dollars chez  Sotheby’s. C’est, à l’heure actuelle, le NFT le plus cher de la courte histoire de cette technologie émergente qui a pris par surprise le marché de l’art.

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Non fongible ?

Un NFT, ou « token non fongibles » en français (Non Fungible Tokens), est un certificat de propriété numérique hébergé sur une chaîne de blocs (blockchain) qui garantit qu’un fichier numérique appartient bien à un créateur ou à un propriétaire clairement désigné. Si vous n’avez pas compris grand-chose à la phrase qui précède, c’est que vous n’êtes pas encore prêt pour l’avènement du « web3 », un autre terme abscons, mais de plus en plus utilisé pour désigner les nouvelles évolutions technologiques et la nouvelle génération d’applications qui vont remplacer nos bons vieux réseaux sociaux, si ceux-ci ne parviennent pas rapidement à s’adapter. Revenons donc un peu en arrière pour tenter de rendre cela plus clair.

La première étude sur les chaînes de blocs a été réalisée en 1991 par les chercheurs Stuart Haber et W. Scott Stornetta[1]. L’idée proposée par les chercheurs est, à ce moment, celle d’un protocole permettant de copier simultanément sur plusieurs serveurs distants de multiples itérations d’un même fichier, ou d’un même ensemble de données, copies qui peuvent être simultanément mises à jour et horodatées à chaque modification du fichier source. Cette technique permettait à la fois de faciliter la conservation et la duplication des données et d’empêcher toute tentative de falsification grâce à l’emploi d’algorithme de cryptographie. Dix-huit ans plus tard, un auteur mystérieux, prénommé Satoshi Nakamoto, intègre cette idée à son projet de réseau de transactions, indépendant et décentralisé, reposant sur un registre comptable en ligne infalsifiable prénommé chaîne de blocs ou blockchain. En 2009, avec la naissance de ce protocole, prénommé Bitcoin[2], débute l’ère des cryptomonnaies et aussi celle de la blockchain.

Aujourd’hui, treize ans après que Nakamoto ait lancés Bitcoin, les blockchains sont partout sur internet : derrière les quelque 13 000 cryptomonnaies qui sont nées après le bitcoin, derrière les métavers qui ont le vent en poupe, comme Decentraland ou The Sandbox[3] et peut-être bientôt Metapolis[4], et bien sûr derrière les NFTs qui, depuis l’an dernier, font l’objet d’une incroyable folie spéculative.

PBOY, un artiste qui a misé sur les NFT

Cryptomonnaie et NFT ont en commun d’être des fichiers – on dit des jetons ou des token – numériques qu’il est possible d’acheter, d’échanger et de vendre. Toutefois, la comparaison s’arrête là. Les cryptomonnaies peuvent être comparées à des billets de banque virtuels. Chaque bitcoin dispose d’une signature électronique qui le rend à la fois unique et interchangeable, à la manière d’un filigrane sur un billet de banque, mais il peut toutefois être échangé contre un autre bitcoin. On dira alors que le jeton de cryptomonnaie – token en anglais – est fongible. Le terme « fongible », dérivé savant du verbe latin fungor (« s’acquitter de, accomplir »), apparu au xviiie siècle, désigne un bien ou une chose qui peut être remplacé par une autre de même nature. Les pièces de monnaie, les billets de banque, le sel, l’huile ou l’or brut sont fongibles… tout comme les bitcoins. Le NFT est en revanche un objet « non fongible », car, s’il peut être vendu ou acheté sur une place de marché en ligne et détenu sur un portefeuille électronique, chaque NFT, diffère, de par la nature, l’aspect ou le contenu du fichier numérique qui lui est associé, d’un autre NFT.

Œuvre d’art numérique

Un NFT peut être en effet réalisé à partir de n’importe quel contenu numérique. Les premiers NFTs, et c’est encore le cas d’une bonne partie d’entre eux, sont des œuvres d’art numérique. C’était le cas du tout premier NFT, Quantum, créé par Kevin McCoy et Anil Dash, le 3 mai 2014, lors d’une conférence « Seven on Seven » au New Museum de New York City. C’est la première fois que la technologie blockchain utilisée pour les cryptomonnaies était utilisée afin de marquer une œuvre d’art d’une empreinte électronique indélébile et infalsifiable. L’œuvre numérique de Kevin McCoy et Anil Dash, une sorte d’hexagone irradiant des couleurs psychédéliques, est non fongible, car il s’agit d’une œuvre d’art, on ne peut l’échanger contre un autre objet de même nature, car il n’en existe pas. Mais cette œuvre est en même temps un jeton, un token, que l’on peut, à l’instar d’une cryptomonnaie, vendre ou acheter sur une place de marché. Pourquoi ? Parce qu’une signature numérique a été intégrée à l’œuvre de McCoy et Dash qui leur assure un titre de propriété incontestable sur cette œuvre dont l’image peut certes être dupliquée des milliards de fois, mais dont le titre de propriété est, lui, impossible à dupliquer. En clair, on peut copier l’image associée à un NFT, mais on cherchera en vain à vendre cette copie, car on ne possédera pas le fichier NFT équivalent à un titre de propriété et, à l’inverse, si l’on peut vendre son fichier NFT sur une place de marché, il sera impossible d’en retrouver l’équivalent parce que le fichier auquel est associé le titre de propriété numérique est unique. Un NFT est à la fois un fichier numérique, comme une image, par exemple, mais c’est aussi un programme, un smart contract, qui établit un droit de propriété sur cette image et en fait dans le même temps un actif numérique qu’il est possible de vendre parfois très cher.

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La NFTmania qui s’est emparée d’internet n’a pas commencé en 2014. Le Quantum de Kevin McCoy a suscité peu d’enthousiasme lorsque l’œuvre a été présentée pour la première fois par l’artiste. On ne parlait même pas de NFT à l’époque, puisque le terme n’a été inventé qu’en 2017. Mais comme souvent sur internet, tout commence avec des chats. Dans ce cas c’est, en novembre 2017, avec le jeu Cryptokitties, qui permet de collecter, élever et échanger des chatons numériques, que la folie NFT a commencé.  Chaque chat est unique en son genre et possède des caractéristiques qui lui sont propres. Les utilisateurs se sont précipités pour acheter les cryptokitties devenus très vite des objets de collection. Le 4 septembre 2018, un cryptokitty, prénommé Dragon, est acheté pour la somme de 600 ETH, soit 140 000 €. La première caractéristique propre au NFT apparaissait comme un argument commercial : la rareté.

Mais c’est avec le lancement des Cryptopunks, toujours sur la blockchain Ethereum, que l’histoire des NFT a vraiment démarré. Avant même que ne démarre la folie des cryptokitties, la société new-yorkaise Larvalabs, fondée par Matt Hall et John Watkinson, décidait de créer 10 000 images de pixel art, représentant chacune un petit personnage reproduisant l’esthétique des premiers jeux vidéo 8-bit et représentant un cryptopunk, hommage au célèbre no future de la scène punk londonienne et à la sombre, mais prophétique, dystopie de l’univers cyberpunk, inventée par l’écrivain William Gibson dans les années 1980. Dans l’esprit de leurs créateurs, les cryptopunks devaient refléter le caractère anticonformiste, disruptif et anarchiste des pionniers de la technologie blockchain et des cryptomonnaies. Chacune des images de punk était générée par une intelligence artificielle. Les cryptopunks furent lancés le 23 juin 2017 par Larvalabs et offerts gratuitement aux utilisateurs de la blockchain Ethereum. À l’époque, il n’existe encore aucune place de marché pour vendre et échanger des NFT. Les 10 000 cryptopunks furent distribués en quelques heures. Ils patienteront près de trois ans dans les portefeuilles électroniques de leurs acquéreurs avant que la folie des NFTs ne s’empare d’internet.

Crypto et NFT

À partir de la fin de l’année 2020, le marché des cryptomonnaies se réveille. Le bitcoin entame un nouveau décollage qui va le porter jusqu’à un cours historique de 63 821,67 $ le 15 avril 2021. Un nouveau crash attend la reine des cryptomonnaies le mois suivant, mais, parallèlement, les cryptopunks s’échangent sur les marchés à des prix de plus en plus exorbitants, le record absolu appartenant à ce jour au cryptopunk #7523, vendu 11,7 millions de dollars à New York chez Sotheby’s le 17 juin 2021, ce qui en fait le deuxième NFT le plus cher de l’histoire. L’année 2021 voit l’explosion du marché des NFTs. Le montant des ventes s’élevait à 250 millions de dollars en 2020 et il représente en 2021 la bagatelle de deux milliards de dollars, soit dix fois plus en un an. Les NFTs envahissent soudain les salles de vente virtuelles, des institutions comme Sotheby’s ou Christie’s se laissent gagner par cet engouement et, dans un marché de l’art traumatisé par la pandémie mondiale de Covid-19, le marché des NFTs prends le relais des circuits traditionnels mis à mal par les confinements successifs. En l’espace de deux ans, de multiples marchés en ligne sont apparus, comme Opensea, le plus important, Rarible ou encore Solanart. On y trouve en vente des milliers de NFT, aux qualités esthétiques très diverses. Assurément, dans le monde du pixel art, ou du cryptoart, comme on nomme désormais l’art lié aux NFT, le talent côtoie bien souvent l’imposture et l’indigence. Les promesses illusoires de gains rapides attirent vers les NFTs toutes sortes de créateurs autoproclamés qui pensent avoir l’idée du siècle pour devenir riches sans avoir une once de talent.

L’effervescence qui s’est emparée des marchés de l’art et la folie spéculative qui entoure actuellement les NFTs pourraient faire passer au second plan la rupture technologique et culturelle représentée par cette nouvelle manière d’éditer du contenu artistique ou intellectuel, qu’il soit pictural, audiovisuel, musical ou même écrit. Le problème de l’art numérique est qu’un fichier image (de type .jpeg, .png, .bmp, .gif, etc.) est aisément reproductible. Dès l’instant où elle est mise en ligne, il est très simple de copier une œuvre avec un simple clic droit et « enregistrer sous ». La technologie liée au NFT offre la possibilité de protéger son travail. Elle offre également la possibilité de plagier puisque l’on voit encore des créateurs sans scrupules s’adjuger le travail qui ne leur appartient pas pour le transformer en NFT. Actuellement, les plates-formes de NFTs les plus importantes comme Opensea doivent faire le ménage pour éviter que des petits malins récupèrent sur internet qui est une mine d’images, des œuvres numériques, des photographies ou des visuels transformés en NFT sans l’accord de leur créateur d’origine.

Toutefois, les NFTs donnent aujourd’hui naissance à de nouveaux courants artistiques qui s’inscrivent dans une généalogie déjà longue. L’art numérique a déjà une longue histoire derrière lui, dont les NFT écrivent aujourd’hui le plus récent chapitre. Les premières expérimentations en  matière d’« art informatique » remontent à la fin des années 1960, avec Vasarely, Julio Le Parc et le  CRAV (Centre de recherches d’art visuel), qui mettent en œuvre les prémices de l’art optique et cinétique, ou encore Vera Molnár ou Manfred Mohr dans les années 1960. Le boom actuel des NFT épouse une tendance de fond : la montée en puissance du commerce d’art en ligne. Les NFT et le cryptoart profitent de cette tendance tout en apportant un nouveau souffle à un marché de l’art éprouvé par le contexte difficile des deux dernières années. À l’œuvre d’art numérique, caractérisée par sa reproductibilité technique, comme aurait dit Walter Benjamin, le NFT ajoute des caractéristiques qui en font des objets virtuels à part : infalsifiables et traçables, monétisables, uniques et indivisibles. Reste l’aspect artistique, qui reste le plus dur à démontrer, car, quelle que soit la technologie employée, l’art ne se résume pas simplement à du contenu.

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[1]     Stuart Haber et W.Scott Stornetta, « How to time-stamp a digital document », Journal of Cryptology, vol. 3, no 2, 1991.

[2]     Bitcoin avec une majuscule désigne le protocole et le réseau de transaction. Avec une minuscule, c’est la cryptomonnaie utilisée sur ce réseau.

[3]     Fondés tous deux sur la blockchain Ethereum.

[4]     Fondé sur la blockchain Zilliqa.

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À propos de l’auteur
Laurent Gayard

Laurent Gayard

Docteur en études politiques du centre Raymond Aron de l’EHESS. Professeur à l’Institut Catholique de Paris.
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