Au programme de cette semaine : exploration, Russie, Turquie, Iran et Portugal.
Portugal
Yves Léonard, Histoire de la nation portugaise, Tallandier, 2022, 24,90€.
Spécialiste du Portugal contemporain, l’historien Yves Léonard publie une magistrale étude sur ce pays euro-atlantique si proche de la France et encore grandement méconnu du grand public. L’occasion de déconstruire quelques mythes fondateurs liés à l’histoire de ce pays dont les frontières terrestres ont été fixées au XIIIe siècle et n’ont quasiment pas bougé depuis. Pays situé à l’extrême occident, traditionnellement périphérique à l’identité euro-atlantique mais dont la frontière avec l’Espagne a conditionné l’extension maritime, l’alliance (asymétrique) avec l’Angleterre qui a duré du XIIIe siècle jusqu’à l’adhésion à l’OTAN en 1949.
L’auteur démontre les facteurs qui ont fait que le Portugal a su se doter d’une personnalité propre. C’est notamment le cas de son encombrant voisinage avec la Castille d’où viennent « ni bons vents ni bons mariages » et qui l’a poussé vers l’expansion maritime, épopée qui commence en 1415 avec la conquête de la place forte de Ceuta en Afrique du Nord.
Mais l’histoire du Portugal c’est surtout celle d’une oscillation pendulaire entre grandeur et décadence, entre quête d’absolu et messianisme entretenu par le sébastianisme, et retour brutal au réel. Le mérite de ce livre érudit et accessible au grand public est qu’il s’appuie sur la riche historiographie portugaise laquelle prend racine au mitan du XIXe siècle, époque qui correspond à l’affirmation relativement tardive de l’idée de nation portugaise, bien après l’affirmation de l’État.
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Le Portugal : le pays du consensus
Reprenant la fameuse citation de l’historien Marc Bloch tirée de L’Etrange défaite (« il y a deux catégories de Français qui ne comprendront jamais l’histoire de France et ceux qui refusent de vibrer au souvenir du sacre de Reims ; ceux qui lisent sans émotion le récit de la fête de la Fédération » -1940), l’historien retient dans le cas portugais deux moments fondateurs : l’acclamation par les Cortes de Coimbra du roi D Joao du Portugal en 1385, la révolution des œillets du 25 avril 1974. On pourrait y ajouter l’incontournable arrivée en Inde de Vasco de Gama en 1498, la publication des Lusiades de Camoes en 1572, ce monument indépassable de la littérature portugaise et la révolution libérale de 1820. Mais ce peuple qualifié par le grand historien du XIXe Oliveira Martins de « résigné, somnambule et fataliste » a su se relever malgré l’ampleur de la perte du Brésil en 1822, le traumatisme de l’ultimatum britannique de 1890 qui mit un terme au projet d’un empire colonial en Afrique comparable à celui du Brésil. La décolonisation tardive intervenue en 1975 a mis un terme au mirage de la grandeur entretenu par la propagande de Salazar. Redevenu un petit rectangle atlantique puis un membre enthousiaste de la communauté européenne, le Portugal n’a pas renoncé au grand large.
Aujourd’hui, le portugais est parlé par 250 millions de personnes dans le monde. C’est la septième langue parlée dans le monde, la 5e du net. Des trois F (fado, football et Fatima) entretenus par le régime de Salazar se greffent désormais le tourisme, la lusophonie et la poésie, domaine où les Portugais excellent. Yves Léonard s’intéresse à ce qui fait les atouts de cette nation qui parie sur l’économie de la mer par sa ZEE, la troisième d’Europe, mais aussi une économie à forte valeur ajoutée.
Iran
Eve Cuenca, L’Iran et Le Pakistan, défis régionaux et initiatives de coopération (1979-2022), L’Harmattan, 2022, 25,50€.
Cet ouvrage de facture académique explique combien les deux voisins que tout pourrait opposer entretiennent une relation riche et complexe. L’Iran a été le premier État à reconnaître le Pakistan indépendant en 1947. Ces deux républiques islamiques sont bien souvent engagées dans une logique de compétition depuis l’avènement de la révolution iranienne de 1979, laquelle a repensé en profondeur la politique étrangère de Téhéran et mis un terme à l’alliance avec les États-Unis. À l’inverse, le Pakistan naguère allié et protégé des Américains se voit en partenaire stratégique de l’Iran avec lequel il a su faire preuve de pragmatisme en mettant de côté les divergences au nom des intérêts nationaux. Partageant des traits culturels et linguistiques (le farsi étant considéré comme mère de l’ourdou, langue officielle du Pakistan), Iraniens et Pakistanais ont noué un partenariat qui se décline dans les aires culturelles, religieuses et surtout commerciales et économiques. On songe notamment au projet de construction de ports jumeaux de part et d’autre de la frontière, conçus comme des débouchés des nouvelles routes de la soie. Ce livre propose un examen critique de cette relation et s’intéresse aux voies de coopération bilatérale ainsi que de leurs répercussions pour l’Asie de l’Ouest et l’Asie centrale. Il revient notamment sur la volonté du régime des Mollahs d’accroître son emprise dans une périphérie (le Balouchistan) où essaiment des mouvements d’opposition armés comme le Jund Allah présent à cheval entre les deux pays. C’est donc le pragmatisme qui dicte la relation irano-pakistanaise dans le soucier de pacifier une marge turbulente, mais aussi de contenir la déstabilisation de l’Afghanistan et l’entrisme chinois dans la région. Téhéran et Islamabad partagent de surcroit une commune inquiétude face à plusieurs défis sécuritaires (contrebande frontalière, trafic de drogue, et oppositions locales). Un ouvrage bienvenu qui met en lumière un angle mort géopolitique et tord le cou au préjugé hâtif qui fait de l’Iran une puissance exclusivement chiite, préoccupée avant tout par sa capacité d’influence sur son flanc l’ouest le long de l’axe Téhéran Bagdad Damas Hezbollah libanais.
Entente cordiale
Isabelle Facon (dir.), Russie-Turquie, un défi à l’Occident ?, Passés Composés, 18€.
La relation russo-turque est aléatoire, volatile, souvent tendue dans laquelle les deux chefs d’État, dont la bonne entente est avérée, s’appellent ou se rencontrent quand la confrontation sur tel ou tel terrain menace de passer le point de non-retour. Telle est en substance l’idée maîtresse de cet ouvrage collectif qui propose une lecture historique, géopolitique et géoéconomique pertinente sur la complexité du partenariat entre les deux anciens Empires. Aux yeux de l’Occident, la Turquie demeure un pays tampon d’une importance géostratégique majeure, pour la Russie, un cheval de Troie au sein de l’OTAN.
Afin de mieux comprendre la complexité de ce tandem baroque, plusieurs experts, historiens, politistes, spécialiste des questions de défense, interpellent le passé et le présent du partenariat russo-turc. Analysant les aspects économiques, énergétiques, sécurité & défense… suffisamment de cette relation le livre décrypte les interactions entre les deux États sur différents théâtres régionaux (Libye, Syrie, Karabagh) et face à des acteurs clés du jeu international.
Les deux anciennes puissances impériales se sont combattues à plus de treize reprises au cours des quatre derniers siècles. Aujourd’hui l’interdépendance et une profonde défiance à l’égard de l’Occident structurent leur partenariat qui a fait ses preuves depuis que Russes et Turcs se sont accordés pour cogérer le conflit syrien dans le cadre du processus d’Astana. Mais aussi le conflit libyen et celui du Karabagh où les deux partenaires ont tout intérêt à marginaliser l’ONU, les États-Unis et l’Union européenne.
L’intérêt de ce livre est qu’il relativise certaines idées reçues, à commencer par l’importance de la relation militaire, qui malgré la livraison des S400, demeure résiduelle.
En somme, Russes et Turcs se comportent comme un vieux couple. Si la confiance n’est pas de mise, la solidité du traité d’amitié et de fraternité signé à Moscou le 16 mars 1921 entre bolchéviques et kémalistes souligne la convergence des intérêts des deux puissances néo-impériales qui, au-delà des changements de régime, s’entendent sur certains fondamentaux. Un siècle plus tard, on observe une certaine constance que même la diplomatie turque de la bascule n’a jamais vraiment remise en cause.
Explorateur
Patrik Straumann, Oyapock, Chandeigne, 21€.
Ce bel ouvrage à la riche iconographie (cartes, photos, plans et croquis) revient sur les traces de Henri Coudreau (1859-1899). Géographe et explorateur français né en Charente, Guyanais d’adoption, celui-ci figure au rang des pionniers de l’exploration de ce territoire limitrophe du Brésil. L’auteur, journaliste suisse, fin connaisseur du monde lusophone, retrace ici le parcours de celui qui a cartographié l’intérieur de la Guyane, ses savanes et la zone frontalière entre la France et le Brésil, plus longue frontière terrestre, trop souvent méconnue. Il en sort un essai kaléidoscope qui répertorie fidèlement les aventures d’Henri Coudreau et de son épouse Octavie qui, tels des missionnaires, ont entrepris de cartographier un territoire aussi grandiose qu’inhospitalier, mais aussi la collecte d’essences amazoniennes.
En 1883, Henri Coudreau entreprend une importante mission en Guyane commandée par Paris soucieuse de mettre un terme au litige frontalier avec le Brésil. Au cours de ce voyage, il observe les élans indépendantistes des populations indigènes avec curiosité le long du fleuve Oyapock. Mais l’explorateur prend ses distances avec son administration de tutelle et offre ses services au gouvernement brésilien. Il meurt en 1899 en pleine expédition, son épouse continuera seule sa mission, puis rapatriera ses restes et ses travaux en France. Édité par les éditions Chandeigne, cet ouvrage rend compte de l’univers fascinant des explorateurs et des aventuriers du XIXe siècle, assoiffés d’or ou d’utopies, dans un contexte où le boom du caoutchouc suscitait toutes les convoitises.
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