Livres de la semaine – 20 mai

20 mai 2022

Temps de lecture : 5 minutes

Photo : Librairie Lello et Irmão à Porto, Portugal (c) Unsplash

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Livres de la semaine – 20 mai

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Voyage dans les outre-mer, dans l’histoire et dans le Caucase pour cette sélection des livres de la semaine.

Perestroïka

Taline Ter Minassian, Gorbatchev, Puf, 2022, 14€.

Figure contrastée et étrange que celle de Gorbatchev. En Russie, il n’a pas laissé un grand souvenir, son gouvernement étant vu comme celui de la dissolution de l’URSS. En Occident en revanche, on lui sait gré d’avoir engendré le desserrement  de l’Union soviétique et d’avoir mis un terme au système communiste. Ne l’a-t-on pas vu ensuite poser dans des publicités pour des pizzas et des sac Louis Vuitton ? Pourtant lui s’est toujours défendu d’avoir voulu la fin de l’URSS, qui s’est opérée contre sa volonté. Il a suivi la carrière d’un apparatchik communiste, gravissant tous les échelons, jusqu’au dernier. Il a symbolisé les espoirs et les peurs des années 1980, les poignées de main avec Reagan, le refus de tirer sur la foule en Pologne. Avec lui, l’URSS ne rééditerait pas le coup de Prague et de Bucarest. Gorbatchev a construit sa propre légende, avant et après sa chute. Il a soigné son image, contribuant à produire une « Gorbimania » très loin de l’image figée de Brejnev et des années troubles d’Eltsine. Mais était-il aimé pour ce qu’il était ou pour l’image que l’on se faisait de lui ? C’est ce qu’essaye de comprendre et de dévoiler Taline Ter Minassian, professeur d’histoire de la Russie et du Caucase, dans cette biographie claire et précise qui permet de mieux cerner cette énigme Gorbatchev.

Des bombes en Polynésie

Renaud Meltz et Alexis Vignon (dir.), Des bombes en Polynésie. Les essais nucléaires français dans le Pacifique, Paris, Vendémiaire, 2022, 707 p. 28€.

Cet ouvrage rend compte de recherches menées à la demande du gouvernement de la Polynésie française. Ce dernier souhaitait une histoire des essais nucléaires menés dans l’atoll de Moruroa, entre 1966 et 1996, ainsi qu’un bilan de leurs effets (mémoriels autant que matériels) pour les îles du Pacifique et leurs habitants.

En peu de temps s’est joué le choix de la Polynésie. L’indépendance de l’Algérie, qui s’accompagnait d’une tolérance de quelques années des essais nucléaires à Reggane, incitait à s’orienter rapidement vers d’autres lieux. Des sites métropolitains étaient envisagés (la Corse, le Massif central, les Landes, le Dauphiné), ainsi que d’autres îles outre-mer, avant qu’on se prononce pour l’atoll de Moruroa. Les premiers travaux entamés dès 1963, l’expérimentation commençait trois ans plus tard. C’en était fini des îles hors du temps.

Une équipe universitaire a été constituée pour mener cette enquête. En insistant beaucoup, elle a pu accéder à une partie des fonds du Commissariat à l’Énergie Atomique conservés au Service historique de la Défense, jusqu’alors inédits.

L’entreprise, que l’un des chefs d’orchestre décrit bizarrement comme une « vibration de chaque voix [qui] se fond dans un chœur de 15 auteurs », cherche à répondre à ces questions : pourquoi avoir fait le choix de la Polynésie ? Comment s’est effectuée l’installation puis l’activité du Centre d’expérimentation du Pacifique ? Et qu’en reste-t-il vingt-cinq ans après la fin des essais ?

En dépit de leurs efforts, les directeurs de l’ouvrage ne parviennent pas toujours à réduire les disparités entre les voix des auteurs, et si l’on salue l’œuvre du pionnier qu’a été Dominique Mongin, certaines collaborations relèvent du journalisme plus que de la recherche. Quant à la dernière partie, elle ne justifie pas toujours ses prétentions scientifiques ; la conclusion le concède dans un jargon pratiqué couramment : « Les travaux académiques n’ont pas à étouffer la pluralité des mémoires ni des ressentis. »

Le lecteur apprendra cependant beaucoup en consultant les deux premières parties de ce rapport et ses annexes dans lesquelles figurent de bonnes cartes, la liste des essais aériens et souterrains menés pendant trente ans, ainsi que l’inventaire des archives, aussi bien celles auxquelles on peut accéder que celles restant sous le boisseau.

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La difficile préservation d’un ordre nucléaire

 

Lu à l’étranger

Georgia’s foreign policy in the 21st Century, challenges for a small state, edited by Tracey German, Stephen F. Jones & Kornely Kakachia. Londres, I. B. Tauris, 2022.

Avec la Moldavie, la Géorgie fait partie des deux anciennes républiques soviétiques à avoir déposé une demande d’adhésion à l’Union européenne dans la foulée de l’invasion de l’Ukraine par les troupes russes. Cet ouvrage collectif livre quelques clés de compréhension des relations économiques et politiques de la Géorgie avec le monde extérieur. On notera avec intérêt le décalage entre les élites géorgiennes occidentalisées et le conservatisme de l’Église orthodoxe géorgienne hostile à l’ouverture vers l’Occident.

Vieille civilisation chrétienne du Caucase, ce pays lutte depuis l’aurore du XIXe siècle pour contenir l’avancée de son grand voisin nordique qui occupe indirectement près de 20% de son territoire internationalement reconnu. Les auteurs ont à cœur de vanter les valeurs démocratiques de ce pays qui voit dans l’UE et l’OTAN et des bonnes relations avec la Turquie et l’Azerbaïdjan sa planche de survie. Tbilissi peut aussi compter sur le soutien indéfectible de la Pologne et des pays baltes favorables à son adhésion à la famille euro-atlantique. Contrairement à l’Arménie enclavée, la Géorgie peut compter sur les atouts de sa géographie : que ce soit son accès à la mer Noire et sa position de voie de passage des hydrocarbures de la mer Caspienne qui transitent par son territoire.

État modeste et arrimé à l’axe euro atlantique depuis la révolution des roses de novembre 2003, la diplomatie géorgienne s’inscrit aussi dans le sillage de l’éphémère République démocratique de Géorgie (1918-1921) qui avait misé sur l’Allemagne afin de se procurer un parrain occidental en mesure de garantir sa sécurité en échange d’une voie d’accès aux marchés du Moyen-Orient. Outre ses défis internes causés par l’amputation de l’Abkhazie et de l’Ossétie du Sud, mais aussi la présence d’une importante communauté musulmane implantée en Adjarie, la Géorgie doit composer avec le voisinage de la Russie et la difficulté de construire une intégration économique caucasienne du fait du conflit arméno-azéri au sujet du statut du haut Karabagh.

Tigrane Yégavian

Radioscopie de l’autre France

Jean Christophe Gay, La France d’outre-mer. Terres éparses, sociétés vivantes, Armand Colin, 2021, 27€.

Si la France est double, force est de constater que rares sont ceux qui gardent en tête ces terres lointaines où flotte le drapeau tricolore. Absente du récit national, la France d’outre-mer n’a rien d’une quantité négligeable. Elle confère à la France son rang de puissance internationale en la positionnant sur tous les océans du globe et la dote du second domaine maritime au monde. Elle constitue un apport significatif en termes de superficie (120 000 km²) et démographique (2,8 millions d’habitants). Mais les défis sont légion.

C’est voulant tordre le cou aux stéréotypes et aux images d’Épinal que l’auteur – géographe, co-auteur d’un atlas de la Nouvelle-Calédonie et membre de l’équipe scientifique de l’atlas de la Polynésie française – propose un état des lieux aussi exhaustif que possible sur ce qui fait la diversité, la richesse, mais aussi les profondes vulnérabilités de la France d’outre-mer. Celle-ci est loin de constituer un tout homogène et connaît depuis le début des années 2000 des évolutions démographiques très rapides auquel s’ajoutent des modifications importantes au niveau des statuts des collectivités.

L’occasion pour l’auteur d’analyser les inégalités profondes, les disparités, les déséquilibres sociaux et spatiaux, ainsi que les différents modèles de développement de ces territoires encore très dépendants de la métropole et aux économies trop peu compétitives. Si l’idée de décolonisation a fait son chemin, il n’empêche que l’assistanat, une démographie forte à Mayotte et en Guyane, préoccupante à la Guadeloupe et en Martinique et la sujétion économique demeurent des sujets de préoccupation majeure.

Tigrane Yégavian

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