Dans notre chronique de janvier-février dernier, nous soulignions les vertus morales et économiques du constitutionnalisme budgétaire, un mécanisme type « règle d’or » protégeant les générations futures des coûts fiscaux que voudraient leur infliger les générations précédentes, après avoir capté, seules, les gains offerts par la puissance publique et ses largesses.
Le constitutionnalisme fiscal préconise lui aussi des règles juridiques protectrices, afin notamment de garantir de larges bases taxables et d’empêcher toute coalition électorale (ou « tyrannie de la majorité »). Parmi ces règles, arrêtons-nous sur le plafonnement du taux individuel des prélèvements directs, via la constitutionnalisation de mécanismes type « bouclier fiscal ». La mise en œuvre du principe de solidarité n’implique pas que « la loi fasse peser sur les épaules de quelques-uns ce qui devrait peser sur les épaules de tous », selon le mot du doyen Vedel. Et c’est le rôle de la constitution d’un État de droit qui se veut démocratique et libéral que de répartir les charges publiques sur les épaules du plus grand nombre, en prohibant l’utilisation de l’impôt comme un instrument de stigmatisation contre une minorité d’entre eux, fût-elle de « riches ».
De ce point de vue, la règle du bouclier fiscal, première version française d’un dispositif de plafonnement global (d’abord fixé à 60 %, avant d’être rapidement abaissé à 50 %) appliqué à un ensemble d’impôts directs (impôt sur la fortune, impôt sur le revenu, impôts locaux sur la résidence principale, contributions et prélèvements sociaux) constitua, à partir de 2006, un progrès important en matière de protection des contribuables contre l’imposition confiscatoire. C’est d’ailleurs à cette occasion que le Conseil constitutionnel se référa, pour la première fois dans sa jurisprudence, à l’exigence du caractère non confiscatoire de l’impôt. Saisis par des députés issus de l’opposition de gauche sur le fondement du principe d’égalité devant les charges publiques posé par l’article 13 de la Déclaration de 1789, les juges de la rue Montpensier déclarèrent que l’exigence d’égalité « ne serait pas respectée si l’impôt revêtait un caractère confiscatoire ou faisait peser sur une catégorie de contribuables une charge excessive au regard de leurs facultés contributives ». Hélas, en sens inverse, la déclaration de conformité à la Constitution, en 2011, de la suppression du bouclier fiscal montra (outre l’opportunisme fiscal de la droite parlementaire, erratique faute de s’être dotée, sur ce sujet aussi, de paradigmes un tant soit peu structurants…) que « constitutionnalité » ne valait pas « constitutionnalisation ». Qu’en somme, la limite arithmétique établie par un texte de loi ordinaire pouvait facilement être supprimée par un autre, au gré des aléas conjoncturels et des rapports de force, mais toujours au détriment de la sécurité juridique des contribuables.
Inscrire dans le marbre de la Constitution une limite à l’impôt légalement exigible, c’est-à-dire à ce qu’il est raisonnable de prendre aux uns pour donner aux autres, ce ne serait pas condamner l’État social à l’impuissance. Ce serait, sous l’angle fertile du constitutionnalisme fiscal, affermir l’État de droit et fortifier les droits subjectifs des contribuables, ceux-ci jouant un rôle social en ce que leur libre exercice concoure au bien commun. Ainsi pérennisé, le bouclier fiscal constituerait non seulement une réponse à la crainte des impôts futurs, particulièrement utile dans un contexte post-Covid-19, mais renforcerait le consentement à l’impôt. En assurant aux contribuables et agents économiques de conserver à longue échéance au moins la moitié de leurs revenus, il inciterait puissamment à l’effort, à la prise de risque, à l’accumulation de capital et à la réalisation d’investissements au long cours, autant de comportements utiles à la productivité de l’économie et, par voie de conséquence, à la réduction de la pauvreté. Relativement haut (50 %), ce plafond quantitatif posé au pouvoir fiscal du législateur laisserait de surcroît un champ important aux politiques de redistribution.
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