Iran, le conflit ukrainien bouscule la donne. Entretien avec Thomas Flichy de La Neuville

11 avril 2022

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Iran, le conflit ukrainien bouscule la donne. Entretien avec Thomas Flichy de La Neuville

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Comprendre la guerre en Ukraine sans prendre en compte l’Iran serait occulter une partie du problème. Il se pourrait bien que les États-Unis changent en effet de stratégie vis-à-vis de la République islamique dans le but de freiner les exportations gazières russes. Dans cette soudaine recomposition géopolitique, le Professeur Thomas Flichy de La Neuville vient analyser dans quelle mesure le conflit ukrainien pourrait profiter à une nouvelle et inattendue émergence iranienne.

Entretien réalisé par Étienne de Floirac.

Où en sommes-nous dans l’accord sur le nucléaire iranien ? Quel serait l’intérêt pour le camp occidental comme pour la République islamique de s’impliquer davantage dans ce processus ?

Depuis plusieurs décennies, l’accord sur le nucléaire iranien sert d’alibi au confinement géopolitique de l’Iran, dont le régime est jugé subversif par les États-Unis et quelques-uns de ses proches alliés. De fait, la doctrine diffusée par la révolution islamique s’attaque frontalement à la légitimation américaine de sa propre puissance. La posture géopolitique des États-Unis était donc jusqu’à présent hostile à tout à accord permettant à la République islamique de se dégager des marges de manœuvre, celle des Européens, plus modérés afin d’espérer conserver une partie du marché iranien en cas de retournement de régime, celle des Russes à l’inverse favorable à une normalisation des rapports avec l’Iran. Ces postures se sont inversées depuis quelques semaines à la faveur du conflit en Ukraine.

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Dans quelle mesure l’Iran revient-elle au centre du jeu énergétique avec la crise russo-ukrainienne ?

Les sanctions américaines à l’encontre de l’Iran, qui empêchent l’exportation du gaz iranien, sont soudainement devenues le meilleur soutien de l’armée russe qui n’a guère intérêt à ce qu’une puissante concurrente vende son gaz à l’Europe. D’où un renversement diplomatique : les États-Unis poussant soudain à la normalisation des rapports avec l’Iran, tandis que la Russie freine. La possibilité d’une ouverture brusque du marché gazier vénézuélien par les États-Unis, pour des raisons purement opportunistes ont également pesé sur le Moyen-Orient : l’Arabie Saoudite, sous influence chinoise, a proposé de vendre son pétrole en e-yuan ce qui constitue une véritable menace à l’encontre du dollar. Alors que l’Arabie vient de refuser à Joe Biden d’augmenter sa production de pétrole, les réserves de gaz iraniennes peuvent constituer la clef de résolution des tensions énergétiques en cours. Or cette clef reste intouchée.

L’Europe de l’Est fait-il partie intégrante de la stratégie d’influence de Téhéran ?

L’Iran est un allié géopolitique de la Russie. Toutefois sa stratégie d’influence se réduit essentiellement à quelques territoires proches de ses frontières où il expérimente la guerre par procuration. En Europe, le véritable enjeu pour l’Iran consisterait à se connecter à son vieil allié qu’est l’Allemagne. Ce dernier vient de renoncer à la connexion gazière Nordstream II sous invitation américaine obtenant en contrepartie qu’il puisse remilitariser. Les États-Unis songeraient-ils à doter leur nouveau gladiateur européen d’un avantage supplémentaire en lui laissant la possibilité de s’approvisionner en gaz iranien ? L’on peut peut-être imaginer cette hypothèse si les rapports irano-russes se distendaient, mais cela nuirait à la stratégie américaine de vente de centrales nucléaires à la Pologne.

Quelle est la réelle influence de la Chine en Iran ?

Les Iraniens, qui ont une longue mémoire, se souviennent que leur dernier souverain se réfugia en Chine après l’invasion arabe. Depuis que les Européens ont déserté le marché iranien sous pression américaine, les Chinois se sont installés à leur place. 90 % des personnes suivant des cours de persan à Téhéran sont des Chinois. Les PME chinoises ont envahi le marché iranien. Quant à l’e-yuan, il pourrait mettre en échec les sanctions financières américaines dans cette zone. Mais l’Iran, qui tient à son indépendance n’est pas encore une colonie financière de la Chine.

Le nouvel axe Russie-Iran-Chine, si tant est qu’il puisse exister, fera-t-il réémerger l’ancien empire mongol ?

Telle est la thèse de Jérôme Pâris, un officier français très écouté par les autorités américaines. Ce dernier a établi une fascinante cartographie comparative des deux empires. Il faut reconnaître que le nouvel empire mongol réunit le cerveau créatif iranien, l’usine chinoise et ce qui reste de la puissance militaire russe. Mais l’une des faiblesses de ce nouvel empire mongol est qu’il réunit trois civilisations décapitées par une révolution. Le monde turcophone pourrait faire figure d’île fédératrice, mais son extrême occident vient de se détourner de la Russie au nom d’un rêve : celui de la restauration d’une Crimée ottomane.

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À propos de l’auteur
Thomas Flichy

Thomas Flichy

Thomas Flichy de la Neuville, docteur en droit, agrégé d’histoire. Il est titulaire de la chaire de géopolitique de Rennes School of Business.
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