Un record de déficit peut en cacher un autre. Après avoir enregistré en 2020 un niveau de déficit des finances publiques historique, la France a comptabilisé en 2021 le pire solde commercial de son histoire : près de 90 milliards d’euros de déficit.
La concomitance de ces sombres records n’a rien de surprenant : le déficit public entraîne toujours le déficit de la balance commerciale (différence des exportations et des importations), les économistes employant l’expression de « déficits jumeaux » pour décrire ce phénomène. De fait, tout excès dans une « relance » de l’économie domestique gonfle mécaniquement les achats à l’étranger, c’est-à-dire les importations, aujourd’hui renchéries par la flambée des prix de l’énergie. Ici, la politique erratique du président Macron sur le nucléaire nous coûte cher : habituellement exportatrice d’électricité, la France s’est ainsi retrouvée au mois de novembre dernier en position d’importatrice nette, tandis que plusieurs réacteurs étaient à l’arrêt forcé et que les cours s’envolaient…
Par le passé, une dégradation du commerce extérieur conduisait à des dévaluations ou des dépréciations monétaires. Cette option nous est, sans qu’il faille le déplorer, désormais fermée en raison de notre appartenance à l’Union monétaire européenne. Pour être à l’équilibre, la France devrait avoir la capacité d’exporter des produits nationaux pour une valeur équivalente à celle de ses importations. Or, faute d’une offre productive suffisamment robuste et performante, elle n’y parvient pas. Disposant de surcroît d’une épargne nationale insuffisante pour couvrir ses déficits intérieurs, le pays n’a plus qu’à miser sur des capitaux extérieurs. Un état de dépendance vis-à-vis de l’étranger qui n’est pas sans poser un défi redoutable pour la souveraineté même de notre appareil productif.
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Le dernier solde positif de la balance commerciale en biens remonte à 2002, et il faut remonter au milieu des années 1990 pour trouver trace de plusieurs excédents commerciaux consécutifs. Ces mauvaises performances itératives reflètent la lente désindustrialisation du pays et l’inadaptation de son appareil productif à la demande, aussi bien interne que mondiale. En bref, nous ne produisons pas assez, et les biens que nous produisons ne correspondent pas aux attentes des consommateurs. Bien sûr, nous continuons à exporter grands vins, bijoux de luxe et – tout du moins jusqu’à ce que survienne le Covid-19 – avions et automobiles. Mais cela n’est pas suffisant.
Que faire ? Réduire le « coin fiscal », c’est-à-dire l’écart entre le coût du travail facturé par l’entreprise et la rémunération nette que reçoit le travail, devrait constituer la réforme fiscale la plus urgente. L’imposition du travail est le premier des impôts « de production », et la très forte taxation du travail qualifié le principal obstacle au franchissement d’un saut qualitatif dans les compétences de la population française. Une réforme intelligente de la fiscalité tournée vers le rétablissement de la souveraineté commerciale doit viser en priorité, non pas à redistribuer coûte que coûte un supplément de pouvoir d’achat qui ne serait pas fondé sur une création de richesse, mais à rendre l’effort, le travail, l’épargne, la création et l’innovation plus attractifs qu’ils ne le sont aujourd’hui du fait d’un système d’imposition excessivement progressif et dépourvu de contrepartie à mesure que l’on grimpe l’échelle des revenus. En l’espèce, le plafonnement des contributions sociales pour les travailleurs les plus qualifiés, qu’elles soient réputées à la charge des employeurs ou des salariés, constitue une piste à explorer tout aussi pertinente que ne l’est la diminution des impôts de production (assis tantôt sur les salaires et la main-d’œuvre, tantôt sur le chiffre d’affaires, le foncier ou encore la valeur ajoutée des entreprises), amorcée en 2021 et qui devra être amplifiée après 2022.
Toute baisse des impôts appelle cependant une baisse de la dépense publique en regard, c’est-à-dire une rupture avec cette illusion si singulièrement française de « l’argent magique[1] », selon laquelle on pourrait systématiquement et sans dommage substituer de la dépense publique au travail et à la production privée. Lorsque l’on vit au-dessus de ses moyens, il y a toujours un moment où il faut réduire les dépenses. Des restrictions budgétaires s’imposent. Les marges de la France dans ce domaine ne manquent pas.
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[1] J.-M. Daniel, Il était une fois… L’Argent Magique, Cherche midi, 2021.