La structure et les modes opératoires des groupes criminels nigérians sont connus depuis plusieurs années des services de police européens. Cependant, rien ne semble arrêter leur progression fulgurante. Les profits considérables générés par le trafic de drogue et par la traite des êtres humains leur ont permis de s’enraciner en Europe dans des zones de non-droit de plus en plus vastes au point de menacer aujourd’hui l’équilibre des pays d’accueil où ils ont pris pied.
Parmi les gangs nigérians identifiés sur le continent européen, le plus puissant d’entre eux, la Black Axe Confraternity(« la Confrérie de la hache noire »), s’est imposé en s’érigeant en véritable mafia. Comme le rappelait déjà, en 2017, Michel Gandilhon, chercheur à l’Observatoire français des drogues et des toxicomanies (OFDT), « les organisations criminelles nigérianes sont si structurées dans l’espace et dans le temps qu’elles constituent de véritables mafias[1] ».Spécialisée dans le trafic de stupéfiants et dans la traite des êtres humains, la Black Axe a tout d’abord conquis le sud de la péninsule italienne pour remonter vers le nord de l’Europe. Ses chefs, ses hommes de main et leurs innombrables victimes vouées à l’exploitation sexuelle se sont fondus dans les flux de migrants en provenance d’Afrique subsaharienne, qui débarquent année après année sur les côtes italiennes, empruntant des routes migratoires clairement identifiées, notamment via le Niger et la Libye.
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L’alliance avec la mafia italienne
Depuis l’indépendance du pays en 1960, la mafia nigériane s’est progressivement implantée dans le trafic de stupéfiants à l’échelle planétaire. Selon le criminologue Xavier Raufer, au début des années 1980, les trafiquants nigérians se sont lancés dans le trafic d’héroïne. À partir des années 1990, ils ont prospéré grâce au trafic de cocaïne acheminée depuis le Brésil. Débarqués sur les côtes siciliennes dès les années 2000, les gangs nigérians se sont mis à travailler en cheville avec la mafia sicilienne – Cosa Nostra – qui leur a délégué, dans un premier temps, la gestion du trafic de crack et d’héroïne. Cette collaboration s’explique notamment par le fait qu’aucune organisation criminelle étrangère ne peut prétendre exister en Italie sans la permission des clans historiques locaux, comme l’a souvent rappelé Roberto Saviano, auteur de Gomorra et spécialiste de la mafia. D’ailleurs, en tant que sous-traitant de la mafia, la Black Axe a longtemps versé le pizzo (une somme d’argent contre une protection) à Cosa Nostra. Dès 2016, des journalistes ont tenté en vain d’alerter l’opinion publique sur l’implantation inquiétante de ces groupes criminels en Sicile.
Une fois enracinée dans les bas-fonds de Palerme (quartier de Ballaro), la Black Axe s’est considérablement développée dans le secteur de la traite des êtres humains en exploitant des milliers d’Africaines arrivées dans les embarcations de fortune des migrants. L’Organisation internationale pour les migrations (OIM) soulignait en 2019 qu’entre 2014 et 2016, le nombre de femmes nigérianes arrivant en Italie était passé de 1 454 à plus de 11 000. Elle estimait que 80 % d’entre elles – dont un nombre croissant de mineures – étaient susceptibles de finir dans des réseaux de prostitution.
On a assisté, par la suite, à la progression fulgurante de la Black Axe du sud vers le nord de l’Italie par le biais de multiples alliances formées, comme en Sicile, avec des groupes mafieux italiens, qu’il s’agisse de la ‘Ndrangheta en Calabre ou de la Camorra à Naples. Les autorités italiennes se sont senties bientôt dépassées au vu du pourrissement systématique des territoires sur lesquels la Black Axe jetait son dévolu, comme en témoigne le cas de l’ancienne station balnéaire florissante qu’était autrefois la ville de Castel Volturno, le « Cannes de la Campanie ». Celle-ci est devenue un véritable coupe-gorge sous la domination conjointe de la Camorra (clan des Casalesi) et de la pègre nigériane. Aujourd’hui, la Black Axe sévit partout en Italie : à Palerme, Catane, Naples, Rome, Milan, Turin… Elle aurait récemment élargi son champ d’activité en se lançant dans le trafic d’organes prélevés dans des « cliniques de l’horreur » sur des migrants incapables de rembourser leur dette aux passeurs.
Désormais, ses activités ne se cantonnent plus à la botte italienne. Elle a franchi les frontières intra-européennes, étendant son emprise d’abord en Suisse, puis notamment en Allemagne et en Suède, et évidemment au Royaume-Uni, pays qui abritait déjà une importante communauté nigériane avant la crise migratoire. En Suède, la police a constaté que la Black Axe s’était implantée non seulement à Stockholm, mais également à Göteborg, Malmö et Uppsala. Au stade actuel, ce sont des dizaines de milliers de femmes nigérianes – dont beaucoup de mineures – qui sont exploitées par la Black Axe dans l’ensemble de l’UE.
Une structure pyramidale d’une redoutable efficacité
Des opérations de la police antimafia italienne, telles que l’opération Golden Eggs dès 2011, aboutissant à des témoignages de repentis nigérians, ont permis de mettre en lumière, au fil des années, la structure de cette organisation tentaculaire. Il y aurait ainsi un responsable de la Black Axe secondé par un adjoint pour chaque pays d’implantation en Europe. Ceux-ci se réuniraient une fois par an hors de l’UE, la plupart du temps aux États-Unis. Plus bas dans la hiérarchie, des chefs locaux gèrent les activités de l’Organisation au sein des régions et des grandes villes européennes. Ils exercent leur férule par le biais de tueurs à gages (les bucha ou killers), qui torturent et exécutent les individus censés représenter une menace pour l’Organisation, le plus souvent à l’arme blanche (machettes et haches). En raison de l’ampleur de la crise migratoire, la Black Axe disposerait désormais de membres affiliés dans chaque grande ville de l’UE.
La Black Axe en France
Au début de la crise des migrants, il paraissait peu probable que ces groupes criminels anglophones jettent un jour leur dévolu sur la France. L’erreur a notamment consisté à croire que, parce qu’ils constituaient la première communauté de demandeurs d’asile en Italie avec près de 84 000 demandes en 2015, les Nigérians y demeureraient en vertu du règlement de Dublin. Selon cette procédure, un seul État européen est responsable de la demande d’asile d’une personne ressortissante d’un État tiers. L’État responsable est en général le pays d’entrée du demandeur d’asile, que cette entrée soit régulière ou clandestine. Il s’agissait, en l’occurrence, de l’Italie, pour les ressortissants nigérians enregistrés dès leur arrivée sur les côtes du pays par les autorités italiennes.
La France compte désormais des cohortes de femmes nigérianes réduites en esclavage par leurs compatriotes. Elles arpentent les rues de Nice, Toulon, Marseille, Lyon, Poitiers ou Lille, et hantent les bois parisiens. Fin novembre 2019, à Paris, au palais de justice de l’île de la Cité, un procès inédit a révélé que des protagonistes d’un réseau de prostitution nigériane n’hésitaient pas à forcer des mineures très jeunes à se prostituer dans les bois de Vincennes et de Boulogne et dans le quartier de Strasbourg Saint-Denis, dans des conditions particulièrement effroyables. On découvrit que ce réseau de proxénétisme était géré d’une main de fer par des femmes nigérianes. Elles étaient épaulées par des hommes de main issus de gangs nigérians, en étroite collaboration avec des acteurs de la traite des êtres humains restés au pays et une myriade de passeurs présents à tous les points cruciaux des routes migratoires en provenance du continent africain. Les enquêteurs constatèrent alors que, tout en consolidant jour après jour leur joug criminel sur l’Hexagone,ces gangs réinvestissaient leurs juteux profits au Nigeria, notamment dans la construction de quartiers résidentiels entiers tels que celui de Small London à Uromi dans l’État d’Edo. En effet, la majorité des femmes nigérianes qui se prostituent sur le sol européen sont originaires de l’État nigérian d’Edo. Peuplé de 3,5 millions d’habitants, cet État est le plus pauvre du pays, constituant ainsi un véritable réservoir de victimes de la traite des êtres humains sur le continent africain.
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L’asservissement des victimes par le vaudou
À l’exception des africanistes, peu de gens savaient que l’étrange état de soumission des prostituées nigérianes était lié à la pratique institutionnalisée du vaudou s’appuyant sur des rituels sanglants de magie noire – le juju – toujours massivement en vigueur dans la société nigériane du xxie siècle. Les tueurs de la Black Axe sont également partie prenante dans des rituels vaudous d’intronisation, qui consistent à accepter de subir des sévices et à boire leur propre sang.
Lorsqu’ils ont pris connaissance de ces particularismes sidérants, certains décideurs politiques européens ont consenti, il y a quelques années, à aborder ce sujet sensible lors de négociations avec le gouvernement nigérian sur la question migratoire. Comme geste de bonne volonté, le roi de l’État d’Edo, Oba Roi Ewuare II, en tant que chef suprême du Conseil des chefs coutumiers, a accepté en 2018 de condamner publiquement l’exploitation sexuelle des mineures par des réseaux criminels et de révoquer les serments de magie noire faits sous la contrainte par des milliers de filles nigérianes à des prêtres vaudous ! Cette stupéfiante cérémonie de révocation a été filmée par la télévision suisse.
Le Nigeria, réservoir intarissable de victimes de la traite des êtres humains
Le Nigeria est actuellement le premier pays d’émigration illégale en Afrique de l’Ouest. Le continent africain, qui ne comptait que 100 millions d’âmes en 1900, a atteint le milliard d’habitants en 2009 et devrait en compter deux milliards en 2050. Avec plus de 200 millions d’habitants en 2020, le Nigeria est le pays le plus peuplé d’Afrique et devrait dépasser les 400 millions d’habitants en 2050. Mosaïque ethnique, culturelle et géographique, le pays connaît une véritable intrication de problèmes. La corruption y règne depuis des décennies (le pays est tombé au 148e rang sur 180 selon Transparency International). Les trafics en tous genres y prolifèrent pour s’étendre à toute l’Afrique de l’Ouest, qui est devenue une plaque tournante du narcotrafic international. La cocaïne en provenance d’Amérique du Sud passe par le port de la capitale économique, Lagos, avant d’être acheminée vers le marché européen. On constate que ce phénomène s’est considérablement aggravé avec la mondialisation des flux de marchandises depuis deux décennies.
En outre, la prégnance de la menace djihadiste dans cette confédération de 36 États – dont 10 au nord vivent sous le régime de la charia – va vraisemblablement accroître les flux migratoires. Théâtre d’innombrables exactions et atrocités, le Nigeria est menacé d’éclatement par des groupes fondamentalistes musulmans qui réclament la création d’un État islamiste dans le nord. De plus, le pays vient également de dépasser l’Inde avec le triste record de 87 millions de personnes vivant dans l’extrême pauvreté, c’est-à-dire vivant avec moins d’un euro par jour. À noter également que 3,2 millions de Nigérians sont infectés par le virus VIH.
Enfin, force est de constater que les mafias nigérianes ont largement profité du chaos qui a suivi l’intervention militaire occidentale de 2011 en Libye et la chute de Kadhafi. L’espace saharo-sahélien a été précipité dans une vertigineuse descente aux enfers. C’est ainsi que, selon l’expression du spécialiste de l’Afrique, Bernard Lugan, « l’entonnoir libyen » est devenu le point de convergence des migrants africains. Les ports de Tripolitaine, d’où partent chaque jour des milliers de clandestins en Méditerranée, sont tous sous la coupe des trafiquants.
Dans ces conditions, force est de constater que le manque d’anticipation des responsables européens et l’absence d’une stratégie adaptée face à l’implantation de groupes criminels tels que la Black Axe au sein de l’UE, auront indubitablement des conséquences tragiques – et sans doute irréversibles – sur le tissu social et économique des nations européennes.
Le fléau de la corruption
En dépit des statistiques alarmantes concernant la pauvreté au Nigeria, un rapport de l’ONG Oxfam International a estimé la richesse combinée des cinq Nigérians les plus riches à près de 30 milliards de dollars (une somme qui pourrait théoriquement sortir une large partie de la population de son état d’extrême dénuement). La plupart des millionnaires nigérians ont fait fortune grâce au pétrole, au gaz, à l’exploitation des ressources minières, mais également grâce au secteur bancaire et à celui des téléphones portables. Le Nigeria est largement doté en réserves d’hydrocarbures avec quelque 30 milliards de barils de brut et plusieurs trillions de mètres cubes de gaz naturel, mais aussi en réserves aurifères et diamantifères. Soucieux d’échapper à tout contrôle, les millionnaires nigérians ont jeté leur dévolu sur Londres pour y investir massivement leurs immenses fortunes, souvent après avoir utilisé des circuits de blanchiment de l’argent. Dans le secteur de l’immobilier de luxe, ils sont à la recherche de biens valant plusieurs dizaines de millions de livres sterling. Depuis son arrivée au pouvoir en 2015, le président nigérian Muhammadu Buhari a lancé des appels au gouvernement britannique et à la communauté internationale afin de récupérer l’argent de la corruption réinvesti à l’étranger. En mai 2021, le Royaume-Uni a restitué 4,8 millions € saisis sur les comptes d’un ancien gouverneur nigérian. Mais au même moment, le gendre du président a été soupçonné d’avoir participé à une fraude immobilière colossale.
La Black Mafia Family renaît de ses cendres
Des organisations criminelles afro-américaines étendent leur emprise psychologique sur les sociétés occidentales par le biais de productions audiovisuelles. Ce faisant, elles favorisent la pénétration du tissu économique et social par des entités mafieuses.
En témoigne la nouvelle superproduction américaine intitulée : Black Mafia Family et produite par le rappeur multimillionnaire Curtis Jackson alias « 50 cent », un ancien trafiquant de drogue reconverti dans l’industrie musicale. Il est considéré comme l’une des figures du gangsta rap, un sous-genre musical du hip-hop, apparu à la fin des années 1980, faisant l’apologie de la violence, de la drogue, de la haine de la police, du proxénétisme et de l’argent facile.
Cette série inédite retrace l’histoire de la Black Mafia Family (BMF), une puissante organisation criminelle noire fondée dans les années 1980 par les frères Flenory – Demetrius (alias Big Meech) et Terry (alias Southwest T) – considérés comme les plus grands narco-trafiquants de l’histoire des États-Unis. Pendant quinze ans, la BMF a sévi sur tout le territoire américain et brassé des centaines de millions de dollars. Les frères Flenory ont entamé leur carrière criminelle dans les années 1980 au sein du quartier Southwest de Detroit, l’ancienne « Motor City » florissante des États-Unis. Ils étaient alors surnommés les « 50 Rock Boys » en référence aux sachets de crack vendus 50 dollars aux toxicomanes dans les quartiers ravagés par la criminalité de cette métropole.
Dans les années 1990, selon Mara Shalhoup, auteure de BMF-The Rise and Fall of Big Meech and the Black Mafia Family, les frères Flenory mettent sur pied deux centres de trafic à Los Angeles et à Atlanta avec l’aide d’un puissant cartel mexicain. C’est le début de leur expansion inédite. Afin de blanchir les millions de dollars de la cocaïne, ils créent un label musical de hip-hop servant de façade à leurs activités criminelles. C’est de cette époque que date l’étroite imbrication entre l’industrie musicale et la pègre afro-américaine. Impliqués dans des fusillades à Atlanta et dans des assassinats sordides, ils sont arrêtés en 2005 par la Drug Enforcement Agency (DEA), l’agence fédérale chargée de lutter contre le trafic de drogue. Ils écopent tous deux de trente ans de prison en 2008. Cependant, en mai 2020, à la surprise générale, Southwest T est libéré pour bonne conduite, tandis que la peine de Big Meech est réduite de plusieurs années.
Dans la série TV, le fils de Big Meech – Lil Meech – a obtenu le rôle principal. Il joue aux côtés du célèbre rappeur Snoop Dog, un ancien repris de justice. Le producteur « 50 cent », anticipant les critiques à l’échelle mondiale, soutient dans les médias que la série ne contribue nullement à glorifier le trafic de drogue et la culture criminelle des gangs afro-américains, tout en sachant pertinemment que ce blockbuster va toucher partout sur la planète un immense public déjà gagné à sa cause.
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[1] Pour alléger la lecture de l’article, les liens internet renvoyant vers les références et articles sont indiqués sur la version en ligne, à retrouver sur le site de Conflits.