2001-2021. Quel bilan pour les relations entre la France et l’Afrique francophone ? Yves Montenay

30 décembre 2021

Temps de lecture : 8 minutes

Photo : Interview d'un sous-officier de la force Licorne.

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2001-2021. Quel bilan pour les relations entre la France et l’Afrique francophone ? Yves Montenay

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La France conserve des liens importants avec les anciens espaces colonisés d’Afrique, liens économiques et militaires mais aussi linguistiques. Cela contribue à créer une relation spéciale, qui a beaucoup évolué au cours des vingt dernières années. Entretien avec Yves Montenay.

Ingénieur de formation, Yves Montenay a été consultant pour de nombreuses PME en Asie et en Afrique. Il a travaillé auprès de Léopold Sédar Senghor et a réalisé une thèse en démographie politique. Il a enseigné dans plusieurs établissements supérieurs, lui permettant de visiter régulièrement les différents pays africains.

L’arrivée de la Chine et la présence de plus en plus forte de la Russie donnent l’impression que la France est rejetée de son pré carré africain. Les soldats de Wagner sont présents en Centrafrique et l’hostilité à l’égard de la France se manifeste de façon fournie. Ces 20 dernières années n’ont-elles pas marqué la fin de la présence française sur le continent africain ?

Un mot d’abord sur la Centrafrique où l’activité concrète de Wagner devrait être mieux diffusée. D’abord, ils se sont distingués par des brutalités envers la population, ce qui est en train d’être documenté, et ensuite leur service n’est pas gratuit. Ils sont rémunérés par un prélèvement de 25 % sur les activités minières.

Les Maliens, qui sont habitués au « service gratuit » de la force Barkhane, et qui rêvent de voir arriver « nos amis russes » devront leur donner une partie de leur production, d’or notamment, ce qui signifie qu’il faudra employer la force dans les mines informelles.

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Mais attention, ce n’est pas du colonialisme, c’est de l’amitié ! Et puis, ils ne seront que quelques milliers, comme les Français. Il ne faudra donc pas compter sur eux pour occuper le terrain au nord. Alors à quoi serviront-ils ? Probablement de garde prétorienne aux dirigeants actuels, qui, rappelons-le, ont été formés à Moscou.

On s’en apercevra dès que la population demandera un peu de démocratie ou, plus simplement, sera déçue par l’absence de miracles sécuritaires ou économiques.

Afrique de l’Ouest (c) Wikipédia

Faut-il pour autant parler de la fin de la présence française sur le continent africain ?

La situation est extrêmement variable d’un pays à l’autre, et dans certains les difficultés de la France augmentent à toute vitesse.

Je suis plutôt pessimiste, car il s’agit d’une coupure générationnelle nourrie par des puissances, la Chine, la Russie et la Turquie pour se borner aux principales, qui sont parfaitement rodées aux opérations d’influence et y consacrent des moyens importants.

Cela dit la France a très peu d’intérêts économiques dans la région, notamment au Mali, et cela va être accentué par la vente des avoirs de Bolloré à un groupe suisse.

De plus, l’Afrique subsaharienne n’est pas du tout un bloc. Chaque pays est très différent du voisin, et je vais les classer en trois groupes :

Les pays côtiers, auxquels on peut rajouter le Congo Brazza et Madagascar sont à majorité ou à encadrement chrétien (sauf le Sénégal). Ils n’ont pas de problèmes graves avec la France, même si certains comportements peuvent agacer Paris, comme la tentation du Gabon pour le Commonwealth. Cela n’empêche pas ces pays d’avoir des problèmes internes aigus, particulièrement à Madagascar et au Cameroun, où le pouvoir réprime la partie anglophone (dont ils devraient à mon avis donner une autonomie au plus vite !). Et la partie musulmane de leur population n’est pas à l’abri de ce qui se passe au Sahel (Boko Aram compris pour les Cameroun) et de la propagande wahhabite,

La République Démocratique du Congo, qui est un monde à elle seule, avec ses 92 millions d’habitants. La francophonie semble y être bien implantée, notamment grâce à un important secteur scolaire chrétien, mais la politique y est imparfaite et on n’y est pas à l’abri d’une surprise.

Par exemple Kabila père avait décrété l’anglais langue officielle, ce qui n’a eu aucune conséquence pratique, avant que cette décision ne soit effacée (ce fut également le cas à Madagascar). Je ne connais pas de problème particulier entre la RD Congo et la France qui n’était pas la puissance colonisatrice.

Restent les pays du Sahel, et le cas particulièrement difficile du Mali, qui sont incapables de faire face à l’offensive djihadiste et dont la partie la plus bruyante de la population accuse la France de tous les maux. Néanmoins, j’ai des échos différents d’une autre partie de la population qui a des liens intellectuels ou de coopérations ou familiaux avec la France.

Dans les années 1990, l’ONU avait dressé des objectifs du millénaire pour l’Afrique. La France est très investie dans le développement du continent, via l’AFD et ses nombreuses ONG. Pourtant, ces aides semblent être un puits sans fond et aucun grand résultat ne semble être visible. A-t-on fait 20 ans d’aides pour rien ?

Je vais remonter plus en amont. On est passé insensiblement de la période coloniale à une période que l’on appelle néocoloniale.

Le terme est techniquement justifié, par contre sa connotation négative ne l’est pas du tout, puisqu’en général cette période néocoloniale a été la meilleure pour la majorité de ces pays, comme l’illustrent par exemple Madagascar et la Côte d’Ivoire.

J’ai été témoin de cette époque néocoloniale au cours de laquelle beaucoup d’administrateurs français sont passés de la position de cadre à celle de conseil.

Auparavant, et contrairement à ce qui se dit aujourd’hui, la fin de la période coloniale était celle d’un développement peut-être paternaliste, mais non d’un pillage, terme qui d’ailleurs n’a de réalité concrète que dans le domaine militaire et n’a pas de sens économique.

NB : l’étude économique de la colonisation et la critique de la notion de « pillage » sont développés dans mon livre Le mythe du fossé Nord-Sud, et comment on cultive le sous-développement

Et les pays qui ont coupé violemment avec la métropole comme la Guinée se sont écroulés.

Cette période néocoloniale s’est souvent terminée par des révolutions, des coups d’État ou des guerres civiles, laissant une situation très dégradée.

Cela a été particulièrement net à Madagascar, qui ne s’en est jamais relevée, et en Côte d’Ivoire où la prospérité qui était due en partie à la présence des PME françaises brutalement expulsées n’est pas complètement revenue.

Il est exact que cette période néocoloniale s’est également traduite par une influence politique de la France, qui s’est notamment traduite par des votes en sa faveur à l’ONU et par des interférences dans le choix des dirigeants des pays africains. Mais c’est une époque terminée depuis longtemps et les héritiers de l’influence politique française, par exemple au Gabon au Cameroun ou au Tchad sont libres, et d’ailleurs leur comportement autocratique est mal vu à Paris… qui toutefois n’intervient pas.

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Mais la propagande antifrançaise utilise cette période néo coloniale pour proclamer : « certes, nous sommes mal gouvernés, mais c’est parce que la France nous a imposé de mauvais gouvernants ».

On oublie que les indépendances ont maintenant environ 65 ans et que tous les intéressés ont disparu. On oublie également les succès économiques de cette période néo coloniale, surtout comparée à la situation d’aujourd’hui.

Donc l’usage de cet argument dans la propagande antifrançaise aujourd’hui s’appuie sur l’ignorance des jeunes générations.

Cette coupure générationnelle est aggravée par la scolarisation dans l’enseignement supérieur sur place, et non plus en France.

Il y a donc méconnaissance de cette dernière, sans parler du rôle de certains enseignants qui ont cherché à « se poser en s’opposant » ou à des cadres formés dans les pays hostiles évoqués plus haut, auxquels on peut ajouter les universités islamistes, dont celle de Riyad.

Le sentiment antifrançais des étudiants en provenant se colore d’une hostilité à la langue française (la « vraie » langue étant l’arabe) et à l’Occident « décadent » en général.

En Afrique noire, la France regarde surtout vers l’ouest : Côte d’Ivoire, Sahel, Sénégal. L’Afrique de l’Est et celle des Grands Lacs est-elle définitivement perdue pour la France ?

La France n’y a jamais été très présente, malgré la période « mondialiste et anglophone » du MEDEF.

D’ailleurs cette région, contrairement à sa réputation se développe plutôt moins bien que l’Afrique francophone, à l’exception du Ghana et du Kenya. Le poids lourd, l’Afrique du Sud, est certes le pays le plus développé d’Afrique, mais stagne depuis maintenant longtemps.

Le poids lourd démographique est le Nigéria, qui dispose théoriquement d’une manne pétrolière. Mais on sait que cette soi-disant manne est en fait un handicap qui exacerbe les rivalités tribales, nourrit la corruption et pèse sur le développement.

Tandis que la grosse moitié musulmane du pays, au nord, reste particulièrement sous-développée et en partie désorganisée par Boko Aram et ses rivaux.

La francophonie a-t-elle encore aujourd’hui le rôle qui était le sien en 2001 ?

Contrairement au Commonwealth, l’Organisation internationale de la francophonie n’a jamais eu d’objectifs économiques et se borne à une action culturelle.

Ce qui me paraît important, ce n’est pas cette organisation, mais la diffusion de la langue française. Cette dernière s’est beaucoup élargie depuis 2001, pour trois raisons.

La première est le progrès de la scolarisation en français et notamment des écoles privées de la maternelle à l’université. Certes, il n’y a pas d’écoles partout, et certaines ne sont composées que d’une classe unique encadrée par un instituteur mal payé, voire pas du tout et donc nourri par les parents. Mais il ne faut pas oublier le grand nombre d’écoles fonctionnant normalement.

La seconde est que la bourgeoisie locale en est de plus en plus souvent à la troisième génération scolarisée, ce qui fait du français sa langue maternelle. Le français n’est donc plus une langue étrangère pour cette bourgeoisie, mais la langue véritablement nationale.

La troisième raison, mieux connue, est la croissance démographique rapide de l’Afrique. Cette croissance démographique mènera l’ensemble des pays francophones vers 750 millions vers 2050, si les événements politiques ne viennent pas interrompre la scolarisation en français.

Enfin le milieu littéraire parisien et notamment celui des éditeurs auraient longtemps sous-estimé les écrivains francophones. Cette période semble terminée comme l’illustre l’attribution du dernier prix Goncourt à Mohamed Mbougar Sarr.

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Mais bien sûr, qui dit francophonie ne dit pas forcément francophilie. Les opposants à la France les plus virulents s’expriment en français.

Un mot sur l’Afrique du Nord

Le Maghreb approche les 100 millions d’habitants, auxquels on peut ajouter les quelque 100 millions d’Égyptiens. La croissance démographique jugée très rapide vue de France y est en fait plus faible qu’au sud du Sahara, où le seul Nigéria va bientôt dépasser l’ensemble de la région.

C’est par ailleurs la partie de l’Afrique la plus développée, bien que cette comparaison n’ait pas grand sens, vu les disparités régionales au nord comme au sud du continent

Au Maghreb, les trois pays, humainement et historiquement assez semblables, ont continué à diverger, mais les principales données n’ont pas changé depuis 2001 :

Un Maroc partant de plus bas que les autres, mais en progression solide avec une bonne base industrielle et agricole aux critères européens et une liberté politique et religieuse supérieure au reste du monde arabe, Tunisie exceptée. L’enseignement public est déplorable, mais le privé, largement francophone, avec néanmoins un progrès de l’anglais, fournit les cadres moyens. Sauf incident ponctuel, les relations avec la France sont bonnes,

Une Tunisie qui partage beaucoup de caractéristiques avec le Maroc, mais part de plus haut en matière de niveau de vie et de démocratie, malgré les échecs récents,

Une Algérie qui au contraire a du mal à se sortir du socialisme et du non-développement, les recettes pétrolières étant largement confisquées. Ces recettes permettent une économie fondée sur les importations avec peu de production nationale, même si la privatisation de culture et une relative libéralisation industrielle ont permis de petits progrès. Bref, un échec économique et politique flagrant, dont la responsabilité est attribuée contre toute évidence à la France. Ce qui s’est traduit en économie par une éviction des exportations françaises au bénéfice notamment de la Chine et sur le plan culturel par une pression sur la partie francophone de la population.

Quant à l’Égypte, elle a quasiment fait un tour complet dans les 20 dernières années : la dictature militaire de Moubarak a fait place à une démocratisation qui a amené les Frères musulmans au pouvoir. Leur échec a généré une nouvelle contestation, qui s’est terminée par le retour de l’armée au pouvoir. La position de la France, prépondérante jusqu’en 1956, a été détruite par l’affaire de Suez et le socialisme nassérien a ruiné le pays, qui ne s’en est que partiellement remis et dont l’équilibre économique précaire ne tient qu’à une aide américaine, les redevances du canal de Suez, un peu de gaz et de pétrole et les envois des expatriés en Arabie Saoudite. L’image de la France reste bonne, mais nos intérêts économiques ne sont pas très importants et la francophonie s’est réduite à une partie des milieux privilégiés.

Pour conclure, il est frappant de voir resurgir la diabolisation de la colonisation, alors que cette dernière à 60 ans et parfois beaucoup plus, et n’est donc pour rien dans les problèmes africains actuels.

Mais le fait est que cet argument a beaucoup plus de succès qu’au moment des indépendances, peut-être justement parce que les témoins ont disparu. Et qu’ils ne peuvent contredire les proclamations « anti coloniales » des concurrents de la France et de l’Occident en Afrique.

Cela alors que la Russie et la Turquie ont été longtemps des colonisateurs sanglants, et que la Chine n’a pas été tendre depuis avec les Manchous, les Mongols et les Tibétains, et plus récemment avec les Ouïghours.

 

 

 

 

 

 

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