Les élections présidentielles françaises de 2002 furent marquées par le thème de « l’insécurité ». En 2005, ce furent les semaines dramatiques des émeutes dans certains quartiers. Depuis, la question de la sécurité et de la criminalité, de son sentiment ou de sa réalité n’a pas quitté les débats médiatiques et politiques. Retour sur les 20 dernières années avec le criminologue Xavier Raufer.
Quels contours a pris la criminalité en France depuis les vingt dernières années ?
Il n’existe pas UNE criminalité, mais plusieurs : l’une dite « de voie publique » – la plus inquiétante pour la population – plus d’autres spécifiques, affectant le monde financier, l’environnement, l’univers numérique, etc.
Pour les infractions de voie publique : effractions, agressions, braquages, vols multiples, pillage par bandes, etc., le phénomène majeur est que désormais des étrangers venus du monde entier et des immigrés (ou descendants directs) en forment l’écrasante majorité. Les récents rapports du SIRASCO (Police judiciaire – Service d’information, de renseignement et d’analyse stratégique sur le crime organisé) présentent en détail (origine, infractions, implantations …) toutes les entités criminelles actives en France. Or dans ce texte de 250 pages, les seuls bandits français émergeant d’une marée d’étrangers ou descendants, sont des Corses de Marseille, évoqués en un maigre paragraphe. Diagnostic confirmé par le rapport annuel du renseignement criminel-gendarmerie.
Enfin, l’Office des stupéfiants a sa liste des caïds de la drogue en France. Sur les dix principaux : neuf Maghrébins et un Caribéen. Pour le dire autrement, si disparaissait soudain cette criminalité allogène, le personnel policier voué à réprimer le crime serait sans dommage remplacé par quelques gardes champêtres…
À lire également
Nouveau hors-série : Armée de terre, le saut vers la haute intensité
A-t-elle significativement augmenté ?
Comme la population française augmente en général, sa part criminelle aussi ; avec, dans ses rangs, l’indéniable « grand remplacement » des bandits, signalé par le ministère de l’Intérieur lui-même : le « milieu » parisien, nordiste, lyonnais, stéphanois, etc. a presque disparu au profit des étrangers ci-dessus évoqués, recrutés et retranchés dans ces zones hors contrôle, ou « territoires perdus de la République », que nos ministres successifs prétendent inexistants en dépit du réalisme le plus élémentaire.
Cela dit, la criminalité financière, les atteintes à l’environnement, le cyber-crime, ont pour nuisibles des individus bien moins « issus de la diversité » que le crime de voie publique.
On lie souvent criminalité et trafics. Qu’en est-il sur la période 2001-2021 ?
Mais le crime organisé ne fait que trafiquer ! Les criminels sont d’abord des prédateurs opportunistes. Par un simple calcul coût/bénéfice (ce que je gagne, ce que je risque), ils arbitrent entre les stupéfiants, les êtres humains, les armes, la contrebande-contrefaçon, etc. selon leur flair, leur implantation, leurs compétences et complicités. C’est différent pour les mafias – les vraies. Leurs règles et codes rigides doivent être respectés sous peine de mort. Cosa nostra par exemple (la mafia de Sicile), proscrit le proxénétisme à ses affiliés. En revanche, ce n’est pas le cas pour la Camorra (Campanie, Naples) ou la Ndrangheta (Calabre).
Depuis les émeutes dans les banlieues en 2005, la droite française fantasme sur « l’explosion des banlieues ». Or cette génération de 2005 a maintenant 15 ans de plus, et on ne constate pas cette explosion. Comment analysez-vous cette peur sur les deux dernières décennies ?
Après 1962, la France a occulté le souvenir de pénibles guerres coloniales – menées sans grand appétit. Les Français sont passés à autre chose. Dans la conscience collective, restait cependant le souvenir d’une entité hostile organisée : la wilaya-France du FLN algérien, ses attentats en métropole, ses homicides communautaires, etc. Quand les émeutes violentes de fin octobre 2005 ont soudain éclaté, des médias pressés et un public inquiet ont « prolongé les courbes ». Or ces émeutes de 2005 étaient aux antipodes des péripéties FLN-MNA de 1955-1960. Elles émanaient de bandes juvéniles agissant chacune dans leur coin ; rivales, voire ennemies des gangs voisins, pour des points de deal de drogue, des rixes passées, des haines de caïds, etc. Fantasmer que ces bandes formeraient une sorte de néo-FLN assaillant la métropole était inepte : rien de tel n’est advenu.
Comment a évolué le phénomène mafieux en France depuis 20 ans ? Est-il toujours important ou est-il dépassé par d’autres mafias d’origine étrangère ?
Comme susmentionné, en France, et de la base au sommet, la délinquance ou la criminalité de voie publique sont massivement le fait d’étrangers, d’immigrés ou de leurs descendants. Votre question interroge plutôt sur l’usage du mot « mafia » par des médias d’information. Alors que ce mot, au sens criminologique précis, désigne une « aristocratie » criminelle très redoutable apparue dans moins de dix pays au monde, ces médias mettent, par sensationnalisme, le mot « mafia » à toutes les sauces. « La mafia des ordures », lisait-on ainsi récemment.
Un tel cafouillis sémantique provoque confusions et erreurs de diagnostic. Que dirait-on d’un médecin nommant cancer un panaris, ou l’inverse ? Or de même, le mésusage du mot mafia est lourd de conséquences négatives ; d’abord pour les populations portant ce gravissime poids criminel.
Qu’est-ce qu’une vraie mafia, alors ? Une entité séculaire où l’on entre par initiation, fondée sur le triptyque intimidation-omerta-soumission. En février 2012, la Revue d’Histoire des Religions définit parfaitement Cosa nostra de Sicile : « Société secrète dépourvue de statuts et de listes d’appartenance, disciplinée par des règles transmises oralement. Au sein de Cosa nostra, seule la parole donnée, la “parole d’honneur” engage à vie ». Et quelle pérennité ! Le deuxième repenti de l’histoire de Cosa nostra se présente ainsi au juge Falcone : « Je suis Salvatore Contorno, Homme d’Honneur de la septième génération, dans la famille de Santa Maria di Gesù » (Palerme). Hors des sept ou huit mafias du monde, qui n’a jamais vu des criminels de père en fils, en ligne directe depuis deux siècles ? Enfin, les vraies mafias sont quasi-indéracinables : Cosa nostra a traversé vingt ans de fascisme ; les grandes Triades chinoises, soixante-dix ans de communisme, dont les dix de la « Révolution culturelle » qui fit des dizaines de millions de victimes. Toutes ont survécu.
Tout le reste, y compris la fictive « mafia russe », ne sont que des bandes ou des gangs, dont aucun n’a jamais dépassé la première génération.
Le terme étant proprement posé, je réponds : il n’y a pas, il n’y a jamais eu et il n’y aura jamais de mafia en France. Des cellules mafieuses italiennes en PACA, albanaises près de la Suisse (où elles sont très présentes), des mafieux turcs dans les milieux nationalistes-pantouraniens (« Loups gris ») : ça oui. Mais une mafia autochtone, nullement.
L’appréhension de la criminalité par les forces de police a-t-elle évolué elle aussi ?
Côté appréhension des phénomènes criminels (ou terroristes), la police française en est hélas restée aux méthodes d’il y a cinquante ans. Elle ne dispose d’aucun dispositif d’alerte sérieux, elle ne voit pour l’essentiel rien venir à temps (c’est à dire, pour pouvoir intervenir précocement). Elle en reste à la bonne vieille police de papa : commission d’une infraction, enquête, interpellation et déferrement. Et on recommence sur l’individu ou la bande suivants.
Or depuis la décennie 1990, pour tout problème de sécurité-souveraineté, la hantise suprême de tout gouvernant est le choc stratégique. Exemple illustre : les attaques du 11 septembre 2001 sur New York et Washington, que nul n’a prévues, voire imaginées ; attaques ayant frappé l’Amérique si fort qu’elle ne s’en est, à ce jour, pas remise.
Dans un autre domaine, la pandémie COVID 19 ne fut pas plus anticipée : le 26 février 2020, une éminence du ministère de l’Intérieur m’avertissait ainsi de ce qu’il venait d’apprendre : « Bientôt débute une pandémie hors contrôle, qu’on ne sait ni arrêter, ni soigner ». En un éclair – le 16 mars, deux semaines après – nous étions confinés.
Cette faible réactivité n’est pas à imputer à la police, mais aux récents ministres de l’Intérieur. Comment ont-ils pu supporter, sans virer des incapables au sommet puis réformer les institutions en cause, qu’après Merah et les attentats du printemps 2012, il ait fallu cinq ans pour que les instances de l’État réalisent le péril des hybrides crime-terrorisme (tous les Abdeslam, les Kouachi, etc. en sont). Comment le phénomène largement criminel des « mineurs non accompagnés », réel proxénétisme du vol exercé sur de jeunes migrants, peut-il déferler sur la France depuis 2016 sans que, depuis lors, on n’y fasse rien, sauf gaspiller des milliards d’euros à nourrir et loger des pillards ?
Telle est le principal problème de police de la France, en 2021. Il lui faut délaisser le réactif pour le proactif. À sa tête, il faut un Clemenceau : les bandits circulaient désormais en auto ? Il crée les brigades motorisées pour les affronter. Le problème crucial de la décennie 2021 n’est plus, comme en 1900, de maîtriser L’ESPACE, mais le TEMPS. Entre deux shows à usage médiatique, le ministère de l’Intérieur devrait le réaliser.