<i class='fa fa-lock' aria-hidden='true'></i> Après les sanctions, quelles relations économiques entre la France et la Russie ? Entretien avec Nicolas Dolo

3 décembre 2021

Temps de lecture : 5 minutes

Photo : Saint-Pétersbourg, pont de la Trinité, sur le modèle du pont Alexandre III de Paris. Symbole de l'amitié franco-russe. Crédits : CC by SA

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Après les sanctions, quelles relations économiques entre la France et la Russie ? Entretien avec Nicolas Dolo

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Les échanges commerciaux franco-russes sont actuellement freinés, voire interdits, en raison de la méfiance européenne vis-à-vis du gouvernement russe. Comment ont évolué ces échanges dans l’histoire ? La Russie a-t-elle déjà été un partenaire économique privilégié pour la France ?

Entretien avec Nicolas Dolo, chef d’entreprise à Moscou

Les échanges commerciaux entre la France et la Russie, malgré des relations diplomatiques tendues entre les deux pays, n’ont historiquement jamais été aussi importants. La France est le 6e plus gros fournisseur de la Russie, même si elle n’est que son 18e client. Les entreprises françaises en Russie sont le plus gros employeur privé du pays (près de 160 000 emplois), et la France le second plus gros investisseur direct en 2020 (c’était le premier en 2016). Le niveau absolu d’investissement direct n’a du reste cessé d’augmenter depuis 2016, Covid ou pas, ce qui s’est par exemple traduit par la poursuite des financements massifs de Total dans le projet de gaz naturel liquéfié de l’Arctique Yamal, ou encore le rachat par Danone du leader russe de la collecte laitière Milko.

Bien qu’ils soient encore modestes (environ 3 milliards d’euros annuels), les investissements russes directs en France concernent pour leur part des domaines où les Russes sont soit hyper compétents, par exemple le « Google russe » Yandex qui vient récemment de lancer son service de livraison de courses en quinze minutes à Paris (Yango Deli), soit en recherche de compétences ou de savoir-faire, comme le montre le rachat de Gefco par les chemins de fer russes (logistique des voies ferrées « larges » et développement de locomotives électriques).

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Quelles sont les principales barrières aux échanges commerciaux franco-russes aujourd’hui ? Viennent-elles plutôt de la France ou de la Fédération de Russie ?

Depuis 2014 et le début de la politique de sanctions économiques contre la Russie, les barrières viennent principalement de la France, et sont plus encore le résultat du comportement viscéralement antirusse de certains de ses partenaires européens. Lors du dernier sommet économique de Saint-Pétersbourg, Vladimir Poutine s’est plutôt désolé de la taille des investissements directs français en Russie (15 milliards d’euros), les comparant aux 6 milliards d’euros investis par une seule société finlandaise. Il va donc sans dire que la Russie est très demandeuse de nouveaux investissements français, surtout industriels, même si elle est consciente du fait que certains secteurs économiques en seront désormais nécessairement exclus. C’est notamment le cas de toutes les collaborations dans l’armement au sens large, qui étaient pourtant prometteuses jusqu’au fâcheux incident de l’annulation de la vente des frégates Mistral en août 2015 sous l’administration Hollande.

Les sanctions russes qui visent les produits français, et qui ne sont quant à elles que la conséquence indirecte des sanctions de l’Union européenne, concernent presque exclusivement des produits des filières agricoles et piscicoles français pas ou peu transformés. Mais au-delà des amateurs de turbot et de sole de l’Atlantique, ou de fromages affinés français, ce sont justement ces filières en France plutôt que les consommateurs en Russie qui ont le plus souffert et continueront à souffrir. Parallèlement, la politique de subventions massives au secteur agricole du gouvernement fédéral russe a permis en l’espace de quelques années des gains de production de l’ordre de 16 fois chez les céréaliers et certains producteurs de fruits et légumes, sans parler de l’émergence de nouveaux segments agricoles et piscicoles.

Comment sont perçues les entreprises françaises dans le monde économique russe ?

Comme souvent à travers le monde, les entreprises françaises sont plutôt perçues comme prestigieuses, sérieuses, disposant d’un vrai savoir-faire et d’une grande qualité dans le management, surtout à l’international. Il y a nombre de success stories françaises en Russie, en particulier celles de groupes familiaux ayant eu le courage de s’y implanter dans les années postsoviétiques. On peut citer les exemples du groupe Auchan, ou encore celui d’Yves Rocher, tous deux implantés partout et durablement sur le territoire russe, parmi ces grandes réussites.

Les filiales des entreprises françaises en Russie se russifient de plus en plus, ce qui leur permet d’être en phase avec le marché local, ainsi que de limiter les surcoûts engendrés par des expatriations trop nombreuses et désormais peu nécessaires en raison de la qualité de la main-d’œuvre locale. Le management à la française demeure cependant très valorisé, tant par les groupes français (Auchan a rappelé un dirigeant français en 2020), que par certaines entités russes. Fort de son expérience de pilotage du projet du Grand Paris, Maurice Leroy a par exemple été embauché par la ville de Moscou pour l’aider à mener à bien celui du Grand Moscou. Le rachat et la réorganisation de la manufacture horlogère de Petrodvorets (montres Raketa et Pobeda) par un management français sont une autre vraie réussite hexagonale qui a su s’appuyer sur des savoir-faire locaux. La manufacture est désormais d’un tel niveau qu’elle s’est manifestée pour remplacer l’horloge détruite de Notre-Dame.

Y a-t-il des secteurs dans lesquels les entreprises françaises sont significativement présentes en Russie ? Et inversement ?

Les entreprises françaises sont très présentes en Russie dans le domaine de l’extraction, avec Total en tête de pont sous l’influence de feu Christophe de Margerie. Elles sont également très actives dans le domaine de la grande distribution (surtout Auchan et ses filiales), de l’agro-alimentaire (marques distributeur Auchan, Danone, Président, etc.), des matériaux de construction (Legrand ouvre usine après usine pour essayer d’absorber la très forte demande), et de la construction automobile (fusion du constructeur russe Avtovaz au sein du groupe Renault-Nissan, etc.).

Par contraste, les entreprises russes sont très peu présentes en France (environ 35), et c’est le secteur des hydrocarbures qui domine très largement. Certaines expériences d’investissement direct russe ont même, fort malheureusement, plutôt tourné court – la tentative de la banque VTB de pénétrer le marché français de l’épargne en ligne s’est achevée en 2017, tandis que le rachat du prestigieux Hédiard par l’oligarque Alexeï Pougatchev s’est avéré catastrophique (cessation des paiements en 2014). Ces échecs ne semblent pourtant pas affecter de nouveaux acteurs de l’économie russe, comme Yandex cité plus haut, de choisir la France comme terrain d’expérimentation.

La Russie est surtout une économie de rente, notamment par sa dépendance au gaz. Contrairement à l’Allemagne, la France est autonome du point de vue énergétique grâce à sa maîtrise du nucléaire civil. Y a-t-il néanmoins des secteurs d’avenir qui pourraient porter les affaires entre les entreprises françaises et russes ?

La Russie est de moins en moins une économie de rente, et elle est de plus en plus diversifiée. Actuellement, les hydrocarbures ne pèsent plus qu’environ 18 % des recettes de la Russie, même si elles représentent près de la moitié de ses exportations.

Certes, les PME sont encore trop peu présentes dans le PIB russe, mais c’est là un chantier auquel le gouvernement fédéral s’est attelé en priorité. De nos jours, entreprendre en Russie est devenu extrêmement simple. Le marché est prometteur, la fiscalité très favorable, et les investisseurs, y compris étrangers, peuvent bénéficier d’incitations fiscales et d’aides directes du gouvernement fédéral – sans parler de la multiplication des zones franches, à Kaliningrad, dans l’Extrême-Orient et bientôt ailleurs. La Russie, autrement dit, est un pays où la liberté d’entreprendre est presque totale, même si la libre entreprise, surtout dans les secteurs stratégiques, est sous relative tutelle gouvernementale – c’est un principe affiché et assumé de souveraineté nationale. La libre flottation du rouble est de plus l’occasion d’une compétitivité particulière en matière de prix et de coûts à l’international.

Tous les secteurs que j’ai évoqués représentent bien entendu des opportunités d’investissement et d’implantation pour les entreprises françaises en Russie. Certains, comme Air Liquide, l’ont bien compris, et considèrent déjà la Russie comme le centre d’investissement et d’innovation de toute la région Eurasie au sens large, capitalisant sur la qualité de l’enseignement supérieur russe. D’autres comme Schneider Electric sont très impliqués dans la digitalisation des réseaux électriques russes, y compris en province. Il faut encore citer les initiatives de dialogue entre les deux pays dans de nombreux domaines, comme l’informel Dialogue de Trianon ou encore le French Innovation Hub installé dans le très high-tech institut de Skolkovo, en banlieue de Moscou, pour comprendre que les possibilités de collaboration sont presque infinies. Il s’agira de les saisir et d’éviter de mettre trop de bâtons politiques dans les roues des entrepreneurs.

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À propos de l’auteur
Nicolas Dolo

Nicolas Dolo

Entrepreneur, spécialiste du Brésil et de la Russie. Il est l’auteur, avec Bruno Racouchot, d’un ouvrage sur le Brésil publié aux éditions ESKA en juin 2019 : « Brésil : Corruption - Trafic - Violence – Criminalité ».
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