<i class='fa fa-lock' aria-hidden='true'></i> WWF, Greenpeace, TNC… Jusqu’où iront les défenseurs de l’environnement ?

14 novembre 2021

Temps de lecture : 7 minutes

Photo : WWF, Greenpeace, TNC… Jusqu’où iront les défenseurs de l’environnement ? Crédit photo : Unsplash

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WWF, Greenpeace, TNC… Jusqu’où iront les défenseurs de l’environnement ?

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Sous couvert de protection de la faune et de la flore, ces poids lourds associatifs se posent de plus en plus en gestionnaires de patrimoine naturel, prompts à définir des politiques publiques lourdes de conséquences. Une partie de l’administration française de l’environnement n’y voit aucun inconvénient, au contraire.

 

480 000 km2, soit une surface équivalente à celle de l’Espagne : voilà la superficie des terres protégées par l’organisation non gouvernementale américaine The Nature Conservancy (TNC), à travers plus de 70 pays. Son homologue Conservation international (CI), quant à elle, revendique un empire de quelque 607 000km2, ce qui se rapproche des dimensions de la France (633 000 km²). Ces chiffres représentent le total que les ONG ont pris en charge depuis leur création (en 1951 pour TNC et 1987 pour CI). Comme elles en rétrocèdent souvent des parcelles, leur patrimoine à un instant « T » est légèrement inférieur, mais il reste considérable. Il a été constitué au fil du temps, principalement par des donations de riches particuliers ou de fondations de grandes entreprises, sans exclure les plus polluantes, mines, énergie ou géants de la tech comme Exxon, Dow Chemicals, Packard et Intel. TNC a par exemple reçu 2 400 hectares du fabricant de pneumatiques Bridegstone en 2018, au Tennessee, et 4 000 hectares de la major du pétrole Chevron, dans l’État de Washington, en 2014. En France, le conservatoire du littoral est lui aussi soutenu par des partenaires privés (dont Total), mais à une échelle beaucoup plus petite, puisqu’il gère seulement 2 000 km². Trente fois moins que CI.

Le WWF et Greenpeace, de leur côté, n’ont pas constitué de patrimoine foncier, mais n’en ont pas moins de vastes sphères d’influence. Le WWF a l’habitude de soutenir activement d’autres ONG mieux implantées que lui sur le terrain. Greenpeace, de son côté, agit comme un lobby visant à orienter les réglementations environnementales, dans un sens jugé favorable à l’environnement par l’organisation. Indirectement, les deux poids lourds influencent ainsi le devenir de millions d’hectares disséminés sur la planète. Historiquement, ils regardaient surtout vers les pays en voie de développement d’Afrique, d’Asie et d’Amérique latine. À partir des années 1990, l’Amazonie est ainsi devenue la priorité numéro un de Greenpeace à l’échelle mondiale, par le biais d’un programme de sauvegarde des forêts « primaires[1] » mené en partenariat avec le WWF. Au prix de plusieurs millions de dollars de dépenses de communication annuelle, les associations ont imposé l’idée que l’exploitation du bois menaçait le poumon de la planète et qu’il fallait la réguler. Leurs efforts ont débouché sur la mise en place d’une norme écoresponsable, le Forest Stewardship Council (FSC).

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Et maintenant, l’Europe

Depuis une quinzaine d’années, les ONG regardent aussi vers l’Europe, avec un programme fort ambitieux, le réensauvagement, traduction littérale de l’anglais rewilding. Comme le nom l’indique, l’objectif est d’effacer, tant que faire se peut, les traces d’humanité sur des parts significatives de territoire. Combien exactement, les avis divergent. Le chiffre de 17 % revient parfois, car la France a entériné en 2010 un objectif de conservation de la biodiversité sur 17 % de son territoire (ce qu’on appelle « les objectifs d’Aichi », du nom de la ville japonaise où la négociation a eu lieu). On en est pour le moment assez loin. Soutenu par plus de 20 partenaires, dont le WWF, l’Union internationale de conservation de la nature (UICN), Earth Today et la Wild Foundation, le consortium Rewilding Europe annonce agir pour le moment comme partenaire financier et conseiller technique sur une dizaine de sites. C’est à la fois peu et beaucoup, car certains sont immenses : 5 800 km² dans le delta du Danube, 10 000 km² dans les Carpates, 30 000 km² en Laponie, et 1 000 km dans les Apennins.

Ce dernier exemple laisse songeur. « Réensauvager » un bout d’Italie habité sans interruption depuis le néolithique ? Voilà qui demande de l’audace. Les ONG environnementales n’en manquent pas. Sur son site web, le WWF annonce vouloir  combler « les lacunes des politiques des États » en leur administrant des leçons de gestion durable et responsable. La phrase a été écrite à propos d’un programme au Mozambique, mais il semble qu’elle puisse s’appliquer aussi bien à l’Europe. Les élus français, du reste, ne s’offusquent pas de cette prétention. En 2010, la secrétaire d’État à l’écologie Chantal Jouanno, en pleine polémique sur les ours réintroduits en Ariège, exprimait son souhait de voir « les Pyrénées devenir un Yellowstone à la française ». Elle reprenait ainsi à son compte une approche nord-américaine de la gestion des territoires, avec d’un côté des zones relativement peu réglementées, dédiées à l’activité humaine, et de l’autre des sanctuaires naturels à très haut niveau de protection. L’idée n’est pas forcément mauvaise, mais est-elle transposable ? L’État du Wyoming, qui abrite l’essentiel du parc de Yellowstone, compte 2,2 hab/km², contre 51 hab/km² dans les Hautes-Pyrénées. Nonobstant, l’administration française de l’environnement est intéressée. Elle accorde depuis longtemps une oreille attentive aux propositions des grandes associations de défense de l’environnement. Pour elles, ce sont des partenaires qualifiés. En janvier 2021, la France a contractualisé avec CI dans le cadre de programmes de sauvegarde de la forêt guyanaise. L’État finance et délègue à l’ONG américaine des actions sur le terrain en direction des communautés indigènes.

Quelques ratés sur le terrain

Mais que valent exactement ces ONG au pied du mur ? Pointer les déficiences des États n’est pas très difficile. Faire mieux qu’eux se révèle compliqué, même avec des budgets qui se chiffrent en centaines de millions de dollars annuels.

L’ensauvagement de l’Europe est un concept récent, mais il a déjà sa polémique. Réserve de vie sauvage de 60 km², l’Oostvaardersplassen a été créée dans les années 1980, non loin d’Amsterdam. Il y a quelques années seulement, Rewilding Europe le citait comme une success story de réintroduction de grands herbivores dans un pays densément peuplé. Depuis l’hiver 2018, le site est surtout connu pour un épisode déprimant : l’abattage au fusil de chasse de centaines de chevaux et de cerfs crevant de faim, faute de nourriture. The Nature Conservancy a été beaucoup critiqué aux États-Unis par les environnementalistes dans les années 2000 pour sa gestion de la réserve de la Texas city prairie. Cet immense terrain, don d’Exxon, devenait devenir un sanctuaire pour un oiseau menacé, l’Attwater. Non seulement TNC a échoué à maintenir l’espèce sur le site, mais l’ONG a relancé discrètement les puits de pétrole laissés par Exxon, pour son propre compte. Elle a encaissé quelques millions d’euros au passage, mais les dégâts en termes de réputation lui ont sans doute coûté davantage.

Maître de conférence en géographie à l’Université de Paris, Denis Chartier est l’un des rares chercheurs à s’être penché sur le bilan de Greenpeace en Amazonie, en 2005[2]. Ses conclusions étaient rudes : le label écoresponsable FSC ne sauve pas la forêt, la fabrication de meubles destinés aux pays développés n’alimentant que marginalement la déforestation dans ce coin d’Amérique. Plus gênantes, les interventions pleines de bonne volonté de Greenpeace en faveur du développement économique des communautés autochtones ont eu des conséquences indirectes dommageables.

Le WWF a essuyé des reproches plus graves. En 2019, le site américain BuzzFeed a publié une longue enquête accusant l’ONG au panda d’actes de violence envers des indigènes dans plusieurs pays. Ce n’était pas un coup de tonnerre dans un ciel clair. Depuis près de dix ans, l’association britannique Survival accusait le WWF de harcèlement et de mauvais traitements contre les pygmées Baka du Cameroun, où le fonds cogère la réserve naturelle du parc national du Messok Dja. En 2017, un rapport interne du WWF a fuité. Il confirmait le bien-fondé de ces assertions. Des Baka ont bel et bien été déplacés puis interdits d’entrée sur certains territoires, parce qu’ils sont chasseurs et décidés à le rester. Or, la faune est la priorité statutaire du WWF. La cohabitation harmonieuse et pacifique des peuples premiers avec leur environnement étant plus ou moins réelle sur le terrain, le WWF en était venu à recruter des vigiles armés, chargés de tenir les pygmées à distance. Il a fallu attendre 2020 pour que l’Union européenne réduise son soutien financier au WWF, afin de marquer sa désapprobation. Trois années qui en disent long sur l’aura des grandes organisations de défense de l’environnement. En dépit de leurs liens avérés avec des industries polluantes, en dépit de leurs échecs, en dépit de leur gouvernance souvent verrouillée et de leur fort tropisme américain, elles restent nimbées d’un prestige qui impressionne les gouvernants. Jusqu’à quand ?

ONG et administration de l’environnement, une entente si cordiale

Par leur formation et leur vision de la nature, les agents des administrations françaises en charge de l’environnement se sentent souvent plus proches des OGN environnementales que de leurs collègues du ministère de l’Agriculture. Le parcours d’un haut fonctionnaire inconnu du grand public, mais fort influent, montre que cette proximité peut aller loin, au risque de mélanger les genres. Gilbert Simon (1947-2012), énarque, a été directeur de la nature et des paysages au ministère de l’Écologie de 1992 à 1996. À ce titre, il a lancé les plans de lâchage d’ours slovènes dans les Pyrénées, qui défrayent la chronique encore aujourd’hui. Gilbert Simon a gardé ensuite l’oreille de plusieurs ministres de l’Environnement, comme conseiller technique. Pendant toutes ces années, il était également membre du conseil d’administration du WWF France, et surtout administrateur très actif de Ferus, association militant pour la réintroduction des ours, lynx et loups en France. Comme le ministère de l’Écologie subventionnait Ferus, il est arrivé à Gilbert Simon de donner un avis favorable à des demandes qu’il avait lui-même rédigées. Une commission d’enquête parlementaire sur les prédateurs et le pastoralisme[3] a fini par s’en émouvoir, déplorant une « insuffisante étanchéité entre l’administration et les associations », décrivant la Direction de la nature et des paysages comme une « petite technostructure qui ne rend de compte à personne », fonctionnant dans une « anormale promiscuité » avec les associations, pratiquant une « politique du secret », s’apparentant à un « déni de démocratie ».

Depuis lors, la situation a été clarifiée, mais pas dans le sens d’un cloisonnement entre l’administration et l’associatif. L’État, au contraire, a acté ses partenariats avec les acteurs privés. Entre 2005 et 2020, la France a versé près de 30 millions d’euros à l’UICN, où siègent ses représentants. Ancienne cadre du WWF, Diane Simiu est devenue de 2017 à 2019 la conseillère pour l’environnement de l’Élysée et de Matignon. Sans oublier, bien entendu, la présence d’un leader associatif à la tête du ministère de l’Écologie, en la personne de Nicolas Hulot, de juin 2017 à août 2018. S’il s’agissait d’entreprises à la place d’ONG, une telle porosité ferait probablement scandale. Les défenseurs de l’environnement étant présumés parler au nom du bien commun, leurs recrutements passent au contraire pour des gestes d’ouverture. Si la thématique du réensauvagement continue de gagner du terrain en France – et tout porte à croire que ce sera le cas –, une clarification s’imposera, tôt ou tard. Les fonctionnaires de l’écologie et leurs alliés associatifs ont un agenda à long terme, visant à prendre en main de vastes portions de territoire. C’est vrai au niveau français, comme au niveau européen. La coalition d’ONG Rewilding Europe, qui veut résensauvager des dizaines de milliers d’hectares sur le vieux continent, est soutenue par la Commission européenne. Toute structure est portée à étendre son influence. Que ce soit au nom d’une biodiversité vertueuse ne change rien au fait qu’il y a là un enjeu de pouvoir considérable, qui appelle un minimum de débat démocratique.

 

Cet article est la suite de l’enquête débutée avec « À quoi servent vraiment les aires marines protégées ? », Conflitsno 35, septembre 2021.

 

[1] Les guillemets sont de rigueur dans la mesure où les forêts n’ayant jamais été transformées par l’activité humaine n’existent plus, quoi que disent les ONG à ce sujet.

[2] ONG internationales environnementalistes et politiques forestières tropicales : l’exemple de Greenpeace en Amazonie, 2005.

[3] Rapport 825 du 2 mai 2003, Assemblée nationale.

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Erwan Seznec

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