Créé pour la navigation maritime, le gin est devenu une boisson mondiale que des distillateurs tentent aujourd’hui de rattacher à un terroir. C’est le cas de QVT dans le Var, qui produit un gin de Provence aux accès de garrigue.
C’est un alcool de marin, fait pour supporter les longues traversées, les variations de température, le tangage de la houle. Inventé par les Hollandais au XVIIe siècle, le gin est fait pour supporter les voyages au long cours et pour purifier l’eau afin de protéger les navigants. Apprécié pour ses qualités fébrifuges, le gin est la boisson de l’ailleurs. Fabriqué à base de baies de genièvre et d’alcool fermenté, titrant à près de 50°C grâce aux qualités de l’alambic, il a rapidement quitté les troquets d’Amsterdam pour se retrouver à l’est d’Eden et aux Indes orientales. La montée sur le trône d’Angleterre d’un Orange de Hollande en la personne de Guillaume III (1689) fait traverser la Manche au gin. Les Anglais découvrent cet alcool et l’approuvent pour leur propre marine. C’est ainsi que s’impose le nom de London dry gin qui est une méthode de production du gin qui peut être pratiquée pour des marques qui ne sont pas anglaises.
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L’aventure du gin, de la mer et de l’ailleurs se poursuit jusqu’au XXe siècle. Dans leurs terres d’Afrique, les colons anglais l’associent au tonic, riche en quinine et donc bon contre le paludisme et les fièvres des marécages. Ainsi nait ce cocktail encore consommé aujourd’hui, le gin-tonic, qui évoque les moiteurs tropicales et la sécheresse de la savane. Le gin poursuit ses voyages en figurant sur les cartes de tous les bars et en se mêlant à de nombreux cocktails, gin fizz, white lady, negroni, etc. Désormais loin des troquets portuaires, il se consomme dans les hôtels et les restaurants du monde.
L’aventure de ces alcools est faite de mythes, d’histoire, d’aller et retour. Boisson anglaise, parfois trop sèche, le gin n’a jamais vraiment percé en France. Mais depuis quelques années une nouvelle génération de distillateur est en train d’éclore, proposant des alcools originaux qui, sur la base du classique London dry gin opèrent des distillations marquées par leurs terroirs. Aux indispensables baies de genièvre sont ajoutées d’autres plantes et épices qui confèrent des goûts bien typés, loin des parfums standardisés et internationaux.
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C’est ce qu’opère notamment Justin Matterson et son épouse dans leur distillerie de Cotignac dans le Var. Lui est Anglais, elle Suédoise, issue de la « ceinture de la vodka » que l’on trouve en mer Baltique où l’on a l’habitude de distiller des alcools parfumés. Après une première carrière professionnelle en Afrique, ils se sont installés en Provence en 2019 pour passer à la distillation. Nom de marque QVT (quatre-vingt-trois, en référence au numéro du Var) dont le premier produit est un gin, avant de se lancer dans la vodka et d’autres alcools.
L’art du gin réside dans la maitrise de l’alambic. C’est là qu’est chauffé un alcool pur, ici à base de blé, dont les vapeurs montent dans la colonne de distillation et entre en contact avec les baies de genièvre. Puis, par refroidissement et transport d’une colonne à l’autre, le liquide s’infuse dans les autres plantes proposées : ici bleuet, thym, lavande, coriandre, rose, etc. C’est ainsi que l’alcool prend son goût et que, refroidi et donc passé de l’état gazeux à l’état liquide, il s’écoule dans la cuve où il pourra être mis en bouteille. Une distillation complète dure près de 10 heures, nécessitant de surveiller sans cesse la température et la pression.
L’intérêt du travail du gin QVT est d’acclimater une boisson internationale et mondialement connue dans un terroir particulier. Les plantes infusées sont toutes issues du panel provençal. Au nez, ce sont les arômes de garrigue qui surgissent, rappelant des balades dans la Sainte Baume ou la Sainte Victoire. Ils réussissent à faire un spiritueux provençal, inscrit dans un lieu et une géographie précise. Ce phénomène de localisation des alcools est de plus en plus marqué ces dernières années, comme le démontre le succès des bières artisanales, inexistantes il y a quinze ans, en train de grignoter des parts de marché aux géants internationaux de la bière. Le poids économique de ces boissons territorialisées est encore négligeable, mais il est intéressant de constater ce phénomène, qui découle d’une volonté d’une partie des consommateurs de tracer les produits consommés et d’en connaitre les lieux et l’histoire. Ce n’est plus seulement une bouteille qui est bue, mais l’environnement qui l’accompagne. Ce qui était autrefois propre au vin est en train de s’étendre aux autres alcools.
Dans sa fabrication d’identité provençale, QVT a particulièrement soigné la forme de sa bouteille, fumée, dorée et sérigraphiée. Ils ont opté pour une bouteille moderne, qui rappelle certaines marques de nouvelles vodkas. La forme de celle-ci lui permet d’être aisément prise en main par les barmans lorsque ceux-ci doivent réaliser leurs cocktails. Un soin précieux étant donné que le gin est essentiellement consommé dans les bars. D’autres distillateurs provençaux se sont lancés dans le gin ainsi que des marques japonaises qui, elles aussi, mettent en avant leur géographie et leur histoire, ce qui forme un terroir. Dans un monde qui se globalise de plus en plus on voit apparaitre ces appels du territoire et ces localisations auxquelles de plus en plus de clients sont sensibles.
Si le cocktail de gin le plus fameux est le gin-tonic, reste à trouver le tonic adéquat pour chaque gin. Moins ils sont sucrés mieux ils sont, plus les arômes sont naturels, plus l’alcool de base est respecté. Fever-Tree s’est imposé depuis quelques années comme les sodas de référence pour les cocktails. Fondée en 2004 par Charles Rolls et Tim Warrillow, l’entreprise s’est spécialisée dans les boissons de base des cocktails. Ils recherchent les meilleures plantes possibles pour proposer des tonics de qualité. Quinine du Congo, orange amère et citron vert du Mexique, romarin de Provence, citron jaune de Sicile, etc. Le meilleur des plantes mit en bouteille pour accompagner les meilleurs des alcools. Et à chaque fois des promesses de voyage, entre Afrique et Asie, à partir de la Provence et sans sortir de chez soi.