Élu en juin, le nouveau président iranien Ebrahim Raïssi, 60 ans, était le candidat le plus intransigeant de tous. Le paradoxe fera sans doute de ce religieux austère l’artisan de la reprise du dialogue avec l’Occident, selon la volonté de l’ayatollah Ali Khamenei, le guide suprême, la seule véritable autorité politique en Iran. Dans cette présidentielle, tout était joué d’avance : l’opposition n’existe plus, massacrée, emprisonnée, exilée. La personnalité des différents candidats n’avait aucune importance. Du plus conservateur au plus modéré, ils n’incarnaient que des options différentes, utilisables selon les circonstances.
Ultraconservateur, proche d’Ali Khamenei, 82 ans, dont il serait le poulain, Ebrahim Raïssi est un solide apparatchik de la théocratie iranienne. Toujours coiffé du turban noir qui signale un descendant de Mahomet, ce juriste est né dans la ville sainte de Machhad (nord-est), place forte des intégristes. Procureur général de Téhéran à 29 ans à peine, puis procureur général du pays en 2014, il incarne la fidélité et la rigueur aux yeux des Iraniens favorables au régime. Pour les autres, fatigués et résignés, ceux qui font le dos rond et ne votent plus (environ 70 % de l’électorat), il est le visage de la terreur. Son nom est associé à la brutale répression des soulèvements populaires de 1988 et 2009.
Raïssi a été personnellement choisi par le guide suprême, car il saura faire appliquer sa politique : continuer à traquer l’opposition et, surtout, reprendre le dialogue sur le nucléaire avec la communauté internationale même si cela déplaît aux Gardiens de la révolution. Les discussions engagées à Vienne progressent de chaque côté, à pas très prudents. L’objectif de l’Iran est d’alléger les sanctions internationales qui l’asphyxient. Avec un PIB en baisse de 8 % en 2020, le pays se dégrade, régresse. Les pénuries s’aggravent pour les 85 millions d’Iraniens. Pragmatique, le fidèle et rugueux Raïssi fera ce que veut Ali Khamenei : renouer le dialogue sur le nucléaire, même avec « le Grand Satan » – l’Amérique. Il s’appuie sur le plan d’action conjoint (en anglais : Joint Comprehensive Plan of Action) signé en juillet 2015 avec Barack Obama et l’Europe, mais rejeté par Donald Trump en mai 2018. « Nous respecterons cet accord voulu par le guide suprême », dit Raïssi. Ce texte prévoyait la levée des sanctions et le retour de l’Iran dans le commerce mondial, en échange d’un quasi-gel de son programme nucléaire, placé sous la surveillance de l’AEIA (Agence internationale pour l’énergie atomique). Imparfait, cet accord donnait toutefois dix ans de répit à la communauté internationale.
A lire aussi : Iran : La fin des « réformateurs » sonne-t-elle aussi le glas de la théocratie ?
L’Iran chiite devrait aussi renouer avec l’Arabie saoudite sunnite, éternels rivaux en terre d’islam. Cette relation sensible avait été mise à mal par la répression saoudienne antichiite et par les conflits en Syrie et au Yémen. Tous veulent aujourd’hui en finir avec les tensions régionales, néfastes pour la stabilité dans le Golfe persique, où transitent 20 % de la consommation mondiale d’hydrocarbures. La Russie et surtout la Chine, clients et fournisseurs de l’Iran, font pression sur les autorités iraniennes. Cette reprise du dialogue est même une condition de l’accord stratégique signé entre Téhéran et Pékin qui prévoit 400 milliards de dollars d’investissements chinois en Iran, une manne essentielle pour l’économie iranienne.
Déjà étudié et validé par le guide suprême, le nouvel accord sur le nucléaire pouvait être conclu plus vite que les deux autres dossiers ouverts après 2015 par l’Amérique et les Européens : l’un concerne l’activisme militaire et politique de Téhéran au Moyen-Orient (Syrie, Yémen, Liban, Irak) ; l’autre porte sur la limitation de l’arsenal de missiles balistiques iraniens, dont la portée menace les États du Golfe et Israël. L’Iran a fait de ce sujet une ligne rouge, au nom de sa souveraineté. Mais le guide suprême et le président Raïssi gardent aussi en tête deux impératifs majeurs : faire revenir dès que possible leur pays dans le système financier international et reprendre sans attendre les exportations de pétrole (300 000 barils-jour à peine, contre 2,5 millions avant les sanctions). Ces deux priorités étaient urgentes et vitales pour la survie de la République islamique autant que pour la stabilité du pays.