Le quoi qu’il en coûte va coûter cher aux finances publiques. Contrainte de s’endetter, la France émiette son indépendance en s’en remettant à ses prêteurs.
Dans notre chronique de janvier-février, nous pointions les dégâts du coronavirus, en référence non point à son impact sanitaire mais celui sur les finances publiques et sur ces centaines de milliers de petits commerçants indépendants menacés de faillite par la suspension forcée de leur activité. Parant au plus pressé, notre gouvernement dépensa sans compter, accentuant à mesure nos énormes déséquilibres budgétaires. « Quoi qu’il en coûte », dit d’un ton martial le chef de l’État, encouragé en ce sens par la coupable indifférence aux questions économiques d’une opinion dominée par la trouille. La facture s’est depuis concrétisée : 424 milliards d’euros entre 2020 et 2022, somme colossale hypothéquant un avenir déjà fragile.
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L’épidémie de Covid-19 pose, au fond, deux questions fondamentales. Comment se fait-il que les gouvernants aient à ce point sous-évalué les risques épidémiques, la propagation du coronavirus depuis Wuhan à partir de décembre 2019 ne les ayant pas même incités à anticiper les semaines à venir ? Comment se fait-il que l’on ait cédé à « l’hystérie de la survie[1] », en refusant de tenir compte, lors des confinements successifs, des disparités de plus en plus évidentes face à la maladie : début mai, on comptait en France 322 morts de moins de 40 ans ; soit une vingtaine par mois… ? Mais qu’elle ait révélé « en amont » la défaillance de notre gestion publique des risques (qu’illustrèrent le défaut d’anticipation sur les stocks de masques ou le feuilleton des tests) ou, « en aval », l’obsession de l’homme moderne pour la simple existence biologique (la « vie nue »), la Covid-19 risque de faire payer un très lourd tribut aux jeunes générations. L’analyse des coûts de la Covid commande, de fait, d’intégrer une dimension intergénérationnelle.
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C’est vrai sur le plan économique, tout d’abord. On connaît la définition que donnait de l’État, au xixe siècle, le grand économiste français, Frédéric Bastiat : « L’État, c’est la grande fiction à travers laquelle tout le monde s’efforce de vivre aux dépens de tout le monde. » De même pourrions-nous dire aujourd’hui : La dette publique, c’est la grande fiction à travers laquelle la génération actuelle s’efforce de vivre aux dépens des générations futures. Autant que par une crise de la dette publique, les jeunes générations sont menacées par une crise de la monnaie. Certes, la drogue monétaire injectée par la BCE aura permis à l’État de sauvegarder le pouvoir d’achat des Français (seulement – 0,5 % en 2020, malgré une récession historique). Mais ces milliards d’euros créés ex nihilo pour financer les déficits et les dettes publics se sont nichés dans les actifs financiers, favorisant ainsi les détenteurs de capital, c’est-à-dire les personnes plutôt âgées, au détriment de celles qui n’ont pu encore épargner, c’est-à-dire les jeunes. Ce faisant, l’endettement croissant renforce les inégalités intergénérationnelles. Les jeunes ne tarderont pas à s’en apercevoir, du fait en particulier de leur exclusion du marché immobilier.
C’est vrai ensuite sur le plan des libertés publiques où, comme le fit remarquer un professeur de droit public, les stigmates de la crise pourraient s’avérer « durables » et « universelles[2] ». À cet égard, la surenchère sanitaire est aussi lourde de menaces que la surenchère sécuritaire à laquelle nous assistons depuis des années sous couvert de lutte contre le terrorisme. L’expérience chinoise de surveillance des cas positifs prouve – n’en déplaise aux étourdis – que l’introduction d’outils numériques type « pass sanitaire » n’est pas anodine. D’autant moins que l’on peine à en voir la réelle justification prophylactique, à un moment où le vaccin aura été proposé à l’ensemble de la population (personnes âgées et fragiles en tête), et alors que la vaccination ne semble efficacement protéger que la personne vaccinée elle-même. Le sacrifice des libertés est un processus lent – et longtemps imperceptible.
Notes
[1] B.-Ch. Han, « La révolution virale n’aura pas lieu », Libération, 5 avril 2020.
[2] P. Cassia, « Confinement et couvre-feu : ces mesures de type moyenâgeux devraient être totalement bannies de notre ordre juridique », Le Monde, 18 mars 2021.