En 2013, la cyber-défense est inscrite comme « priorité nationale » dans le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale. Si cela concerne la façon dont l’armée anticipe et répond à cette nouvelle forme de menace, l’enjeu consiste aussi à former des personnes aptes à maitriser les nouveaux outils numériques. L’armée de terre a besoin de recruter du personnel qualifié, raison pour laquelle une nouvelle formation a été créée au lycée militaire de Saint-Cyr-l’École (78), commandé désormais par le colonel Tanguy Eon Duval.
Entretien avec le colonel Tanguy Eon Duval, Chef de corps du lycée militaire de Saint-Cyr-l’École. Propos recueillis par Jean-Baptiste Noé.
En 2017, votre prédécesseur, le colonel Assonion, a participé à l’ouverture du BTS « Système Numérique Informatique et réseaux option cyberdéfense ». En quoi cette formation s’insère-t-elle dans les objectifs fixés par le Livre blanc de 2013 et comment répond-elle aux besoins de l’armée en ce domaine ?
La composante cyber s’est invitée naturellement au sein des armées françaises, à l’instar de ce qui s’est produit dans les armées occidentales afin de riposter aux nouvelles menaces. Le ministère des armées s’est doté en 2017 d’un commandement de la cyberdéfense (COMCYBER), responsable de la manœuvre d’ensemble. Le MINARM et l’Armée de terre (ADT) en particulier devaient se doter à leur tour d’une capacité humaine capable d’armer cette nouvelle composante. C’est de là qu’est né le BTS.
Quels sont les principaux axes de formation de ce BTS ?
Le BTS proposé au lycée militaire de Saint-Cyr-l’École est d’abord un BTS classique de l’Éducation nationale de spécialité SNIR[1], c’est-à-dire ayant une forte dominante informatique. Ce BTS a été durci pour répondre aux exigences de nos employeurs. On y trouve notamment 4 heures de sport par semaine, mais aussi une préparation au TOEIC[2]à raison de 2 heures hebdomadaires et enfin, et c’est vraiment notre spécificité, un enseignement complet à la cyberdéfense. Après une connaissance intellectuelle du milieu du renseignement et des textes de référence, cet enseignement aborde une sensibilisation aux attaques cyber pour envisager les différentes ripostes pouvant être déployées. Des travaux pratiques viennent incarner cet enseignement dans le concret de la technique cyber.
Est-il destiné uniquement à des étudiants qui vont ensuite rejoindre l’armée, ou bien a-t-il vocation à former également des étudiants pour le secteur privé ?
Ce BTS a uniquement vocation à répondre aux besoins des armées, et ce, sous deux statuts bien distincts. Les élèves choisissent soit de s’orienter vers une carrière de cyber spécialiste comme sous-officier dans l’armée de terre, soit de servir comme agent contractuel au sein des différents services spécialisés du MINARM (DGSE[3], DRSD[4], DRM[5], DIRISI[6]). Le choix s’opère en fonction du rang de sortie et des aptitudes requises en toute fin de scolarité. Les élèves opèrent ce choix en toute connaissance de cause. En effet, leur stage de fin de 1reannée donne à l’ensemble de la classe une vue assez précise de ce qui leur sera demandé dans les unités qui les recruteront en fin de scolarité.
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Pouvez-vous revenir sur le stage de formation en fin de 1reannée. Quel enjeu revêt-il ?
Ce stage est déterminant dans la scolarité et la mise en perspective de nos élèves. L’armée de terre principalement, mais aussi d’autres organismes acceptent de recevoir nos élèves pour une durée de cinq semaines, moment privilégié pour découvrir à travers un « embarquement », la structure, l’organisation, la culture et les missions de l’organisme. Les élèves partent ainsi dans des unités aussi diverses que celles du CFST[7], du COMRENS[8], du CIAE[9]et de la DIRISI ou de la STAT[10]. Les rapports de stage soutenus dans le cadre de l’obtention du BTS sont remarquables tant par l’originalité du stage à proprement parler que par les conditions dans lesquelles il a été réalisé. Certains organismes proposent d’ailleurs de poursuivre un projet de fin de cursus sur la 2eannée.
Concrètement, comment les élèves issus des premières promotions de ce BTS se sont-ils intégrés dans les armées ? Comment servent-ils aujourd’hui la France ?
Dès les premières promotions, les résultats ont été à la hauteur des espérances des fondateurs. En effet, la répartition entre les différents services du MINARM s’est déroulée harmonieusement. Les premiers retours ont d’emblée été positifs du fait non seulement des compétences techniques acquises au lycée, mais aussi et surtout du fait de l’état d’esprit remarquable développé par les élèves. Ce dernier a été mûri grâce à la préparation militaire supérieure (PMS), au parcours de tradition et à l’ancrage résolument militaire du lycée dans l’armée de terre. Les services ont pu tirer le plus grand bénéfice des élèves recrutés. L’armée de terre a accueilli les élèves comme élèves sous-officiers à l’École nationale des sous-officiers d’active de St Maixent avant de les envoyer poursuivre leur spécialité à l’École des transmissions de Cesson-Sévigné (35051). Les élèves se sont là encore remarquablement positionnés du fait de l’avance prise en lycée militaire.
Ce BTS par son originalité est le seul du genre en France ? Ne suscite-t-il pas trop les convoitises d’entreprises privées qui y recruteraient leurs employés ? Si cela démontre l’utilité et la qualité de la formation, n’y aurait-il pas alors un manque de main-d’œuvre pour les armées ?
Ce sujet constituait en effet un risque initial lors du lancement du BTS en 2017. Rapidement, nous avons constaté que les motivations des jeunes candidats (entre 5 et 600/an pour 34 places seulement) témoignaient d’une volonté sincère de rentrer comme agent au sein du MINARM. Aujourd’hui, 100% de nos élèves rentrent au MINARM pour y dérouler au moins une première partie de carrière. Les services du ministère comme les armées proposent de belles possibilités d’évolution en interne qui constituent un argument intéressant de fidélisation de nos élèves. Le risque initial d’éviction ne s’est toujours pas transformé en menace.
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[1]Systèmes numériques informatique et réseaux
[2]Test of English for International Communication
[3]Direction générale de la sécurité extérieure
[4]Direction du renseignement et de sécurité de la défense
[5]Direction du renseignement militaire
[6]Direction interarmées des réseaux d’infrastructure et des systèmes d’information de la défense
[7]Commandement des forces spéciales terre
[8]Commandement du renseignement
[9]Centre interarmées des actions sur l’environnement
[10]Section technique de l’armée de terre