Dans le cadre de son numéro spécial « Comment dominer le ciel de demain ? », Conflits avait apporté une étude approfondie sur l’aviation militaire. Pour autant, l’aviation militaire n’a pas que pour unique but le combat ou le soutien aérien. En complément du renseignement spatial, et sans compter le recours progressif aux drones, les aéronefs militaires peuvent aussi avoir pour mission le renseignement dit d’intérêt militaire.
En décembre 2020, un avion de renseignement français Transall C-160G Gabrielde l’Escadron électronique aéroporté 1/54 Dunkerque a été intercepté par un chasseur Su-30 russe au-dessus de la mer Noire, espace stratégique notamment en raison du conflit en Crimée. Pour rappel, le renseignement est obtenu par deux méthodes différentes. D’une part le renseignement humain (ROHUM), et d’autre part, le renseignement technique. Au sein de ce dernier, il faut encore distinguer entre le renseignement image (ROIM), et le renseignement d’origine électromagnétique (ROEM). Ce sont ces deux derniers versants qui nous intéressent plus particulièrement. L’aviation militaire est une composante indispensable du dispositif de renseignement dans le cadre des opérations militaires. Plus encore, ce renseignement est de première importance, car irremplaçable. En effet « la vision humaine a été et restera toujours le premier procédé naturel de recueil du renseignement par voie aérienne[1]. » Cette composante essentielle d’acquisition avait par exemple été utilisée grandement dans le cadre du conflit au Kosovo, avec près de 1 700 missions de reconnaissance.
Techniques de renseignement
En matière de renseignement image, la France dispose du Rafale Marine (qui a totalement succédé au dernier Super-Etendard). Cet appareil a en outre été équipé de matériel photo embarqué numérique, dans une exigence de plus grande résolution, ainsi que de nouvelles nacelles Reco-NG qui permettent des transmissions de données pour exploitation en temps réel des images jusqu’à 350 km. La qualité du renseignement aérien a d’ailleurs été améliorée grâce à l’optronique, une technique mêlant optique et électronique. Mieux encore, nos appareils peuvent renseigner dans ce qui paraît au premier abord invisible, grâce à l’infrarouge pour dépasser le simple cadre d’une reconnaissance aérienne, dans l’idée de pouvoir désigner de façon efficace des objectifs, mais aussi d’élaborer en toute situation des systèmes d’attaque.
Toujours dans ce domaine, la Direction générale de l’armement (DGA), maître d’ouvrage et, l’Office national d’études et de recherches aérospatiales (Onera) ont mis au point le système aéroporté Sisyphe pour ce qui concerne les domaines du visible et de l’invisible, où chaque image fournie donne une résolution de 50 cm, et d’enregistrer 500 longueurs d’onde différentes (500 bandes de couleurs), jusqu’à 2 000 mètres d’altitude, sur une surface de 3 kilomètres de long pour 500 mètres de large. Ce système permet donc de détecter des cibles invisibles à l’œil humain, comme par exemple un blindé caché par des feuillages.
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Des missions nombreuses
Tant en matière de renseignement image que de renseignement électronique aérien, l’armée de l’Air et de l’Espace dispose du Transall C-160 Gabriel, servant à l’Escadron électronique aéroporté 1/54 Dunkerque (EE 1/54). Fondamental dans l’acquisition du renseignement, cet appareil peut analyser « à grande distance et sur une large bande les émissions électromagnétiques utilisées pour les communications, la surveillance aérienne et maritime et l’emploi des armes de défense surface air[2]. »Grâce aux matériels dont est équipé le C-160 Transall Gabriel, ces avions peuvent tout intercepter, car cette escadrille EEA 1/54 est la seule unité à recueillir du renseignement d’origine électromagnétique en vol, mais également du renseignement image. Depuis le début des années 1990, cet appareil a effectué des missions en Irak en octobre 1990, pour l’opération Daguet ; en 2001, pour l’opération Enduring Freedomen Afghanistan ; en 2011, pendant 4 semaines en Méditerranée pour l’opération Harmattan ; ou encore, au Mali en 2013, pendant 16 semaines dans le cadre de l’opération Serval.
Prochainement, les systèmes Archange viendront remplacer les C-160 Transall Gabriel, afin de compléter la flotte de Vador. À la demande de la Direction générale de l’armement, ces avions – plus précisément trois Falcon 8X de Dassault Aviation – seront équipés d’une Capacité universelle de guerre électronique (CUGE) développée par Thales, qui « permettra pour la première fois de détecter et d’analyser simultanément les émissions radio et les signaux radar[3]. »
Outre les différents appareils cités, l’Armée de l’Air et de l’Espace dispose depuis décembre 2020 de deux avions légers de surveillance et de reconnaissance (ou ALSR), pour arriver à une dotation de huit appareils d’ici 2030. Ces avions sont dénommés Vador. Si la référence est connue de tous dans un autre domaine, l’acronyme signifie ici vecteur aéroporté de désignation, d’observation et de reconnaissance. Complétant les moyens de renseignement d’autres dispositifs comme les drones Reaper, ces avions bimoteurs sont équipés de capteurs pour collecter aussi bien du renseignement d’origine électromagnétique [ROEM] que du renseignement d’origine image [ROIM], à l’instar des C-160 Transall Gabriel. Ces avions Vador devraient être pleinement opérationnels d’ici l’été 2021, notamment dans le cadre de l’opération Barkhane et de la lutte contre le terrorisme dans la bande sahélo-saharienne
En tout état de cause, et comme l’a relevé le ministère des Armées, ces dernières acquisitions complétant les autres appareils déjà en activité dans le renseignement aérien doivent permettre d’atteindre un objectif, celui de « réaliser des missions collaboratives en croisant les renseignements obtenus avec d’autres aéronefs, tels que le Transall C160 Gabriel, les drones, les Rafale, ou encore d’autres vecteurs des armées ».
La priorité du renseignement avait déjà été annoncée dans le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationalede 2013, avec la fameuse fonction « connaissance et anticipation », une priorité stratégique. Cet élément ne peut qu’être souligné ici, au regard du budget accordé aux Armées, puisqu’en 2021, celui-ci a été porté à 39,2 milliards d’euros, soit 1,7 milliard d’euros de plus qu’en 2020.
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Mais il ne faut pas s’y méprendre. La priorité donnée au renseignement technique ne doit pas avoir pour but de remplacer à terme le renseignement humain. La priorisation du renseignement électronique notamment, rentre en droite ligne avec le dogme américain, suivi par les autres services de renseignement occidentaux, selon lequel une prévalence devrait être conservée sur le renseignement de source humaine.
Pour autant, c’est grâce à un informateur qu’un appel téléphonique a pu être intercepté pour localiser Oussama Ben Laden, et mener les Américains à s’intéresser à la résidence d’Abottabad (Pakistan). En d’autres termes, le renseignement technique est bien évidemment d’une importance capitale, tant qu’il n’est pas porté comme une croyance selon laquelle il serait nécessairement accoucheur d’informations. De l’aveu même de Robert Baer, ancien agent de la CIA, l’agence américaine de renseignement « s’est tellement entichée de technologie qu’elle ne fait plus confiance qu’aux photos satellites. Ce qu’il nous faut maintenant plus que jamais, c’est une agence dotée d’oreilles et d’yeux humains, capables d’épier et de détecter les sinistres projets de ceux qui cherchent à nous nuire[4]. »
[1]EHRHARDT (P.), « Voir, entendre et… toucher », p. 66-71, in Enjeux atlantiques, n°11, avril 1995, p. 66-67.
[2]GIRIER (G.), « La composante pilotée », p. 67-77, inPASCALLON (P.) (dir.), Quelles perspectives pour le renseignement spatial et aérien français après le Kosovo ?, L’Harmattan, Paris, 2001, p. 75.
[3]https://www.latribune.fr/entreprises-finance/industrie/aeronautique-defense/defense-archange-decolle-les-armees-espionneront-mieux-les-theatres-d-operations-837115.html
[4]BAER (R.), La chute de la CIA. Les mémoires d’un guerrier de l’ombre sur les fronts de l’islamisme, 2001, J-C Lattès, 2002, p. 389.