Après l’ultime vague massive de bombardements sur le Vietnam du Nord à partir du 18 décembre, les accords de Paris sont finalement signés avenue Kléber au Centre des Conférences internationales. Ils décident le 27 janvier 1973 du retrait militaire américain, de la libération des prisonniers de guerre américains et sud-vietnamiens, le maintien du régime du Sud, Hanoï ayant consenti à une dernière concession en abandonnant son exigence de remplacement de Thieu par un gouvernement composé de toutes les tendances vietnamiennes.
Un seul article, le 12, prévoit que « les deux parties sud-vietnamiennes (c’est-à-dire le GRP et le gouvernement de Saigon) entrent en consultation « en vue de former un Conseil de réconciliation et de concorde nationale, ayant trois composantes égales », c’est-à-dire de représentants du gouvernement de Saigon, du Viêt-Cong (GRP) et de personnalités neutres.
Ce Conseil était chargé de superviser les élections, dont les Américains s’efforcèrent de couper les ailes. Seul le retrait des troupes nord-vietnamiennes du sud Vietnam n’a pas été retenu, étant entendu qu’elles ne pourraient théoriquement être ni relevées ni renforcées. Cette ultime concession de Kissinger, pressé d’en finir mais qui lui sera amèrement reproché, scellait en fait le sort du régime de Saigon, resté sans défense par rapport au Nord. En fait, les Américains regardaient comme une fiction toute tendance politique vietnamienne qui n’était ni communiste ni loyale au régime de Saigon. Que Thieu fut maintenu ou non, ce qui comptait aux yeux des communistes, c’était le départ des Américains. À la fin mars 1973, le dernier soldat américain quitte le Vietnam avec les prisonniers de guerre américains, ce que cherchaient à obtenir les États-Unis. Du fait de sa position particulière, la France, qui avait une représentation diplomatique tant au Nord qu’au Sud Vietnam, et disposait d’une délégation du GRP à Paris élevée au rang d’ambassade, s’est efforcée de faire vivre ce qu’on a appelé la « troisième force » au sein du Conseil national de réconciliation. Mais ses efforts ne furent pas couronnés de succès. Aurait-on pu prévoir pour le Vietnam du Sud, une autre évolution que son absorption pure et simple par le régime communiste du Nord ?
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L’auteur, qui a servi six années et demie au Vietnam, comme numéro deux à Hanoi de 1991 à 1994 et consul général à Hô Chi Minh–Ville de 2008 à 2011, s’est livré à une étude fouillée des archives et décrypte avec subtilité l’évolution de la position française sur cette question qui n’a pas été linéaire et a dû s’adapter aux circonstances. En fait, les offensives militaires vietnamiennes de fin 1974 -début 1975, démontrèrent que le but de la direction de la RDVN fût bien la main-mise sur le Sud et la réunification sous son égide du Vietnam. En conséquence, « la France s’est peu à peu départie de sa volonté d’encourager la troisième force » et de « pousser les neutres ». En avril 1975, l’heure du réalisme était venue. Tout s’est joué très vite. Le général sud-vietnamien Duong Van Minh, le « Big Minh » soutenu par Jean-Marie Mérillon, l’ambassadeur de France, chef de l’État depuis l’avant-veille, représenta quelques heures cet avatar de troisième force. Pourtant, rien dans les archives n’indiquait que le choix de Minh ait été dicté par le Quai d’Orsay. Cet ultime paravent s’effondra vite. Au Palais de l’indépendance, entouré de son état-major pour lui remettre le pouvoir, le colonel nord-vietnamien répondra au général Minh : « Il n’en est pas question. Vous ne pouvez pas donner ce que vous n’avez pas ». De fait, le Sud Vietnam s’était vite écroulé depuis la cinglante défaite qu’il avait subi le 10 mars 1975 à Ban Me Thuot, capitale des montagnards. Le 24 mars, Hué était tombé aux mains du GRP, le 29 ce fut le tour de Da Nang. Le 21 avril, le président Thieu démissionnait, Tran Van Huong prit sa succession, et demanda le 26 avril au Parlement, l’autorisation à désigner le général Minh a sa place afin de négocier avec « l’autre côté ». Saigon est conquise, rebaptisée Hô Chi Minh-Ville, le « Big Minh » est emporté dans une destination inconnue, et avec lui le fantôme de la troisième force.
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