<i class='fa fa-lock' aria-hidden='true'></i> L’État pakistanais et les groupes terroristes

5 mai 2021

Temps de lecture : 7 minutes

Photo : Malam Jabba, Pakistan. Crédit photo : Unsplash

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L’État pakistanais et les groupes terroristes

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Le Pakistan est confronté à deux types de groupes terroristes. L’un, religieux, oppose les sunnites aux chiites, à des membres de sectes et d’autres religions. L’autre, nationaliste, se manifeste surtout au Baloutchistan. À l’égard de ces groupes déstabilisants qui ne sont pas tous hostiles au régime, le Pakistan mène une politique ambiguë, pour des raisons internes et internationales.

Les mouvements extrémistes connaissent peu de succès lorsqu’ils présentent des candidats aux élections législatives, mais ils possèdent un pouvoir de nuisance considérable, car ils savent mobiliser et embrigader les foules, tout en exerçant des pressions sur les juges, les parlementaires et les journalistes. Et souvent, pour éviter tout embrasement, le pouvoir exécutif obtempère aux exigences des radicaux. Imran Khan, Premier ministre depuis 2018, suit plus souvent le peuple qu’il ne le guide.

Des groupes utiles à Islamabad, tolérés et parfois soutenus par les autorités

Les Hazaras chiites, aisément reconnaissables, regroupés à Quetta, la capitale du Baloutchistan, sont particulièrement ciblés par l’État islamique (Daesh) mais aussi par les mouvements sectaires sunnites nationaux Lashkar-i-Jhangvi et Ahle Sunnat Wal Jamaat. Le gouvernement les protège peu, car les attentats dont ils sont victimes font relativement passer à l’arrière-plan les activités des mouvements séparatistes baloutches. Pour se disculper, il accuse l’État islamique d’être à l’origine des actes terroristes commis contre cette minorité. Excuse assez crédible du fait de l’implantation croissante de l’EI au Pakistan, notamment par le biais de combattants de retour du théâtre syrien. Les attentats, plus rares, commis par des sunnites contre des ahmadis, considérés par eux comme non musulmans, contre des hindous, des sikhs et des chrétiens, ne retiennent guère l’attention des autorités.

Le soutien apporté à certains groupes terroristes constitue une continuation de la politique étrangère par d’autres moyens. Le gouvernement pakistanais les instrumentalise grâce notamment à son principal service de renseignement, l’Inter-Services Intelligence, connu sous le sigle ISI. Il accepte la présence de la shura des talibans afghans à Quetta, et continue à les soutenir dans la perspective de leur retour au pouvoir en Afghanistan. Ainsi, tranquille sur sa frontière occidentale, il pourrait consacrer tous ses efforts sur sa frontière orientale, face à l’Inde. Le contact maintenu en toutes circonstances par le Pakistan avec les talibans afghans lui a permis de jouer le rôle d’intermédiaire entre eux et les États-Unis, facilitant ainsi l’ouverture de négociations. Il n’hésite pas à mettre en valeur son action qu’il qualifie de bénéfique et irremplaçable. Islamabad entretient par ailleurs des relations étroites avec le réseau Haqqani créé dans la partie orientale pachtoune d’Afghanistan, très actif, hostile comme les talibans au régime actuel de Kaboul. Certains de ses membres avaient trouvé refuge dans le district tribal du Nord-Waziristan, au Khyber-Pakhtunkhwa. Ce n’est qu’après avoir laissé partir en Afghanistan ces militants que l’armée pakistanaise avait lancé l’opération Zarb-e-Azb (Épée du Prophète) contre le Tehreek-e-Taliban Pakistan (TTP) dans ce district le 15 juin 2014. Depuis, les militants du mouvement Haqqani utiliseraient de nouveau le Nord-Waziristan comme zone de repli.

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Les Américains dénoncent la complicité pakistanaise avec les extrémistes afghans, mais Islamabad poursuit la même politique. La construction par le Pakistan d’une clôture le long des frontières afghane et iranienne, terminée en 2021, empêche l’entrée sur son territoire d’éléments hostiles, tout en assurant un libre passage aux mouvements militants qu’il soutient. Le Pakistan mène aussi une politique ambiguë à l’égard du Jundallah, mouvement séparatiste du Séistan iranien (peuplé de Baloutches sunnites), proche d’al-Qaïda et des talibans. Il ne soutient pas vraiment ce groupe créé en 2003, mais ne consacre pas beaucoup d’efforts pour anéantir ceux de ses membres qui trouvent refuge au Baloutchistan. L’hostilité permanente du Pakistan à l’égard de l’Inde explique partiellement l’omniprésence sur son sol de mouvements islamistes radicaux qui servent ses desseins politiques. Tout naturellement, il suit avec une attention soutenue tous lesgroupes idéologiques et séparatistes qui agitent l’Inde. Il n’en est pas l’instigateur, mais apporte son aide quand il le peut, sur le plan politique et parfois aussi en fournissant armes et munitions. C’est le cas dans la partie du Cachemire administrée par l’Inde, où divers mouvements comme le Jaish-e-Mohammad et le Hizb-ul-Moudjahidin, bénéficient de bases de repli et d’entraînement sur le sol pakistanais. Le soutien apporté aux mouvements séparatistes de la partie du Cachemire administrée par l’Inde subsistera, car ils immobilisent de nombreuses unités paramilitaires et militaires indiennes, pénalisant fortement l’Inde dans la défense de ses frontières. De même, l’aide apportée aux partisans du Khalistan, un État pendjabi indépendant que réclament certains extrémistes sikhs, est sans faille. Elle s’étend à la diaspora sikhe, notamment au Royaume-Uni, aux États-Unis et au Canada. Par ailleurs, le Lashkar-e-Taiba, basé au Pakistan, a fomenté les attentats de Mumbai en novembre 2008.

Groupes jugés dangereux, combattus, mais parfois de manière sélective

Les mouvements autonomistes, voire indépendantistes, agissant dans plusieurs provinces, ainsi que certains groupes religieux constituent des cibles prioritaires pour le gouvernement pakistanais.

Troisième province par sa population avec 36 millions d’habitants majoritairement pachtouns, le Khyber-Pakhtunkhwa (appelée jusqu’en 2010 province frontière du nord-ouest et ayant intégré en 2018 les zones naguère dénommées Zones tribales administrées par le pouvoir fédéral) avait manifesté son désir d’indépendance dès la création du Pakistan en 1947. Le sentiment nationaliste dominait, soutenu par l’Afghanistan qui n’a jamais reconnu l’artificielle ligne Durand datant de l’époque coloniale comme frontière. Mais il est aujourd’hui en berne. Certes, le Pashtun Tahafuz Movement (PTM – Mouvement de protection des Pachtouns) défend les droits des Pachtouns, qu’il estime bafoués, mais ne formule aucune revendication nationaliste. Comme d’autres partis politiques, il demande au gouvernement des éclaircissements sur les personnes disparues. Les services de renseignement surveillent de très près ses activités, car il bénéficie de sympathies, tout particulièrement dans les districts tribaux (ex-Zones tribales administrées par le pouvoir fédéral). Certains de ses dirigeants dont des membres du Parlement, ont été arrêtés et emprisonnés pour avoir tenu des propos jugés offensants pour les forces armées et commis des actes agressifs contre des postes militaires[1].

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Seconde province par la population après le Pendjab (115 millions d’habitants), le Sind peuplé de 55 millions d’habitants, majoritairement sindhis, connaît plusieurs mouvements autonomistes, voire indépendantistes. La violence des actions qu’ils conduisent contre des Pendjabis, des Chinois et les forces de sécurité, a conduit le gouvernement fédéral à en interdire certains. À vrai dire, les revendications nationalistes sindhis ne présentent pas de menaces sérieuses pour l’unité du Pakistan. De même, les quelques manifestations séparatistes au Gilgit-Baltistan, essentiellement chiite et administré par le pouvoir fédéral, mais qui pourrait prochainement obtenir le statut de province, ne provoquent aucune inquiétude à Islamabad. De rares actes terroristes ont été commis dans le passé, mais ont cessé, peut-être parce que les forces de sécurité sont massivement déployées dans cette région stratégique.

La situation est tout autre au Baloutchistan, la province la moins peuplée du pays avec seulement 15 millions d’habitants, où les sentiments nationalistes remontent à l’indépendance du Pakistan et perdurent. Les Baloutches affirment leur identité, inquiets de l’implantation ancienne et de l’arrivée nouvelle de Pachtouns. De fait, ils restent à peine majoritaires dans leur province. Plusieurs groupes clandestins, de tendance gauchisante, revendiquent l’indépendance. Ils se concertent pour commettre des actes terroristes contre les forces gouvernementales, mais aussi contre les Chinois impliqués dans la création du corridor économique Chine-Pakistan. Les forces de sécurité utilisent certains islamistes de la province pour lutter contre les nationalistes laïcs. Le Pakistan est par ailleurs accusé d’avoir commandité le meurtre de nationalistes baloutches vivant à l’étranger, notamment dans les Émirats arabes unis, en Suède et au Canada. Alors que les séparatistes baloutches agissent dans le sud du Baloutchistan, les talibans demeurent actifs au nord de la province, dans les zones contiguës au Khyber-Pakthunkhwa. En fait, le TTP, mouvement sunnite voulant imposer un régime islamiste, a perpétré des attaques dans toutes les provinces. Les effectifs combattants de ce mouvement sunnite naguère fragmentés’élèveraient au minimum à 2 500 et au maximum à 6 000. Les forces de sécurité s’efforcent d’en réduire le nombre par des actions ponctuelles. Plusieurs dirigeants de mouvements sunnites ont été arrêtés et condamnés. Pour atténuer les critiques internationales, le Pakistan a interdit deux groupes sunnites anti-indiens, le Lashkar-e-Taiba et le Jaish-e-Mohammad. Le Pakistan durcit aussi sa position à l’égard des chiites. En août 2020, il a banni un mouvement chiite peu connu, le Khatam-Ul-Ambia (KuA), issu du groupe interdit, Ansarul Hussain, et impliqué dans le recrutement de volontaires dans le Khyber-Pakhtunkhwa rejoignant la Syrie en transitant par l’Iran. Plusieurs de ses membres ont été arrêtés.

Toutes ces mesures contre les mouvements extrémistes sunnites et chiites sont intervenues peu avant la réunion fin février 2021 du Groupe d’action financière (GAFI), un groupe intergouvernemental basé à Paris de lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme. Les mesures prises par le Pakistan ayant été jugées insuffisantes, le pays reste sur la liste grise sur laquelle il figure depuis juin 2018, ce qui est fort préjudiciable pour son économie[2].

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En réalité, certains mouvements terroristes comme le Lashkar-e-Taiba et le Jaish-e-Mohammad poursuivraient clandestinement leurs activités. Leurs chefs ne sont guère inquiétés. Tous les gouvernements, civils ou militaires, qui se sont succédé à Islamabad ont été incapables de réformer les quelque 30 000 madrassas du pays qui continuent de dispenser un enseignement religieux, parfois sectaire, en dédaignant les matières civiles. En fait, l’ont-ils vraiment voulu ? Seulement 300 madrassas se seraient fait enregistrer. Certes, les madrassas ne constituent pas l’unique vivier des militants islamistes, les universités en pourvoyant aussi. Mais certaines d’entre elles ont acquis une mauvaise réputation. Ainsi la madrassa Darul Uloom Haqqania à Akora Khattak au Khyber-Pakthtunkhwa a reçu le sobriquet d’université du djihad. Comme d’autres madrassas, elle reçoit des financements gouvernementaux. En réalité, l’État n’exerce aucun contrôle sur les madrassas. Il les accepte, leur accordant en fait une large autonomie.

Pour masquer son manque de détermination dans sa lutte contre l’extrémisme et le terrorisme, le Pakistan accuse les pays voisins d’ingérence. En tout premier lieu, l’Inde qui soutiendrait non seulement les mouvements séparatistes baloutche et pachtoun mais aussi sindhi et baltistanais. Le Pakistan le fait savoir à la communauté internationale, tout particulièrement à l’ONU. Il accuse aussi l’Afghanistan d’héberger des groupes terroristes.

Conclusion

Pour satisfaire la communauté internationale, le Pakistan affirme lutter contre toutes les formes de terrorisme. En réalité, il mène une double politique. D’une part, il soutient des mouvements islamistes en Afghanistan et en Inde, tout particulièrement au Cachemire. D’autre part, il lutte contre des groupes qui agissent contre ses intérêts sur le sol pakistanais même. Les mesures politiques et militaires prises par le Pakistan pour endiguer le terrorisme demeurent inefficaces. Leur ambiguïté constitue la cause principale de cet échec.

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[1] Alain Lamballe, « Pakistan, agitation chez les Pachtouns », in Asie21, no 136, février 2020.

[2] Alain Lamballe, « Le Pakistan reste sur la liste grise du Groupe d’action financière », in Asie21, no 144, novembre 2020.

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Photo : Malam Jabba, Pakistan. Crédit photo : Unsplash

À propos de l’auteur
Alain Lamballe

Alain Lamballe

Général de brigade (cadre de réserve), docteur en sociologie politique. Diplômé de l’Inalco en hindi, ourdou et hongrois. Diplômé de l’université de Delhi en hindi. Il a occupé plusieurs postes diplomatiques en Asie du Sud.

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