Le sujet de la compétitivité est l’un des grands oubliés du débat public. La compétitivité ne se limite pas à la question salariale, mais regroupe aussi la formation des salariés, cadres et techniciens, la qualité des infrastructures, l’abondance et l’accessibilité de l’énergie, la paix sociale, la qualité de vie. C’est l’ensemble de ces facteurs additionnés qui contribuent à faire d’une nation un pays puissant, disposant d’entreprises innovantes et capables de s’adapter à la concurrence internationale. Or le paradoxe français est de disposer à la fois d’entreprises pleinement insérées dans la mondialisation, multinationales et TPE, et de limitations sociales et juridiques qui détruisent et sa compétitivité et son tissu industriel. La France est l’un des pays d’Europe qui a à la fois tiré un grand profit de la mondialisation et qui en même temps en a beaucoup souffert, à cause de décisions politiques qui ont détruit la compétitivité française. Le virage manqué. 1974-1984 : ces dix années où la France a décroché (Les Belles Lettres, 2020) écrit par les deux historiens de l’économie Michel Hau et Félix Torrès revient sur ces décisions mauvaises qui ont fait décrocher la France, notamment à l’égard de ses voisins allemands et britanniques. Jacques Chirac et Pierre Mauroy ont mené peu ou prou la même politique : augmentation des charges pesant sur les entreprises et accroissement des contraintes juridiques. Le budget de la Sécurité sociale représentait moins de 1 % de la production intérieure brute dans les années 1930, il atteignit 7 % de celle-ci vers 1950, 14 % vers 1970. Cet effort financier considérable reposa principalement sur les entreprises. Cela rogna leurs marges et leurs bénéfices et empêcha les investissements nécessaires dans la modernisation technologique.
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Quand survint le choc pétrolier de 1973, le chômage était déjà une réalité et la perte de compétitivité de l’industrie française un fait marquant. Comme le constatent les deux auteurs : « De 1945 à nos jours, l’excédent brut d’exploitation des entreprises françaises sera constamment inférieur à la moyenne européenne. Leur taux de marge dépassera rarement les 30 % pendant toutes ces décennies, alors qu’il oscille autour de 40 % en Allemagne et aux Pays-Bas, entre 30 et 40 % dans l’ensemble des pays de l’Europe occidentale. En 1967, les profits nets de la totalité de l’industrie française et de ses 8 millions de salariés sont inférieurs à ceux du premier groupe américain, General Motors, qui emploie outre-Atlantique 745 000 salariés. Dans chaque branche, la rentabilité nette des capitaux propres des entreprises françaises s’avère inférieure à celle de leurs homologues allemandes ou américaines. » (p. 56-57) Les prélèvements obligatoires continuent leur course folle, passant de 38,5 % du PIB en 1973 à 46,2 % en 1980. Avec de tels freins aux pieds, l’économie française ne peut soutenir la concurrence de ses voisins européens. La mondialisation n’y est pour rien, ce sont les décisions nationales qui ont ruiné une partie des entreprises. La France subit beaucoup plus de faillites que ses homologues : en 1975, la Grande-Bretagne enregistre 6 700 faillites, la RFA 9 000 et la France 17 224. Plus que les autres, elle connaît un chômage de masse, et surtout un chômage qui dure. Pour éviter une chute du franc, la France est contrainte de s’aligner sur le mark et de monnayer le cours de sa monnaie auprès des chanceliers allemands. Bien avant la mise en place de l’euro, c’est déjà le mark qui domine le continent. Le tournant de la rigueur en 1983 n’a rien changé. L’industrie française s’est retrouvée dépassée par les entreprises asiatiques des dragons en pleine émergence : Japon, Corée, Taïwan, capables de fournir magnétoscopes, consoles de jeux et appareils informatiques à une population française avide de nouveauté. Rien n’a fondamentalement changé aujourd’hui. Étant l’un des pays d’Europe où les prélèvements obligatoires sont les plus importants, la France continue de faire subir un fardeau fiscal lourd, qui obère toujours plus sa compétitivité, et donc son indépendance et sa grandeur. Après l’augmentation des impôts, c’est celle de la dette qui fut massive, elle aussi restriction majeure de la souveraineté nationale.
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