L’ancien Président des États-Unis Donald Trump a soutenu l’été dernier un accord pétrolier avec une entreprise américaine et l’Administration autonome du Nord-est syrien. Cette décision a pour objectif d’étouffer économiquement le régime de Damas quitte à forcer la main à son principal allié sur le terrain.
Malgré plusieurs annonces sur le retrait définitif de l’armée américaine en Syrie, celle-ci est toujours présente notamment autour des champs d’hydrocarbure. Les effectifs sur place sont estimés à environ 900 soldats. Durant le mois d’août 2020, une société américaine, The Delta Crescent Energy basée dans l’État du Delaware aurait signé un accord avec les Forces Démocratique Syriennes (FDS). La Delta Crescent Energy est une compagnie pétrolière opaque. Cette jeune entreprise a été créée en 2019 par trois hommes, James Cain, ancien ambassadeur des États-Unis au Danemark sous l’administration George W. Bush ainsi que par John Dorrier et James Reese. John Dorrier est le fondateur et ancien directeur général de la compagnie pétrolière Gulf Sands petroleum. Cette société avait notamment obtenu des droits de prospection et d’exploitation dans le nord-est de la Syrie avant le début du conflit en 2011. Le dernier, James Reese est un ancien lieutenant-colonel de la Delta Force et le fondateur de la société de sécurité privée TigerSwan. Cette entreprise s’est fait notamment connaître de l’opinion publique en participant à la répression des manifestants de Standing Rock. Ces trois hommes ont obtenu les droits de prospection et d’exploitation alors que le pays est toujours en guerre et que l’avenir de zone reste incertain. Interviewé par le Financial Times, James Cain a déclaré que « des compagnies comme Exxon et Chevron ne font pas ce genre de chose. Cela est trop novateur, trop aventureux… certains pourraient dire trop risqué. »
Un accord puissant mais décrié
Cette transaction a été rendue publique par plusieurs déclarations de personnalités politiques américaines comme le sénateur Linsday Graham « Apparemment ils ont signé un accord avec une compagnie pétrolière américaine pour moderniser les champs pétroliers du nord-est syrien[1] » ainsi que par le chef de la diplomatie américaine Mike Pompeo « L’accord a pris plus longtemps que ce que nous espérions, nous en sommes maintenant à sa mise en œuvre. Il peut être très puissant[2] ». Cependant, il a été décrié à la fois par le gouvernement de Bashar al-Assad ainsi que par Ankara qui considère cet acte comme du vol. Cet accord doit être remis dans le contexte du « caesar act ». Cette loi, rentrée en vigueur le 17 juin 2020, vise à renforcer l’embargo économique déjà en place. En ciblant des proches du régime comme le très controversé cousin du président Rami Maklouf, Washington espère étouffer économiquement Damas. Cet outil législatif permet au gouvernement des États-Unis de poursuivre en justice toutes entreprises ou personnes faisant du commerce avec le régime syrien. Malgré leur opposition, le régime et les autorités du nord-est, commercent directement ou via des intermédiaires, notamment sur la question des hydrocarbures. Il s’agit d’ « une étape importante sur la voie de la promotion de la responsabilisation des atrocités à grande échelle commises par Bachar Al Assad et son régime en Syrie ». En les « privant de ressources financières », l’objectif est de contribuer à « une solution politique durable au conflit syrien dans l’esprit de la résolution 2 254 du Conseil de sécurité des Nations unies [3]», a expliqué Mike Pompeo, le secrétaire d’État américain. Avec cet appareil législatif, Washington s’est doté d’une arme qui lui permet de s’attaquer aux entreprises et/ou individus qui commercent avec Damas. Grâce aux soutiens de la Russie et de l’Iran, le régime de Bachar al-Assad a résisté et a vaincu les forces d’oppositions. Face à cet état de fait, les Américains sont forcés d’utiliser des moyens indirects notamment en attaquant l’État syrien au portefeuille. Cette stratégie ne vise pas seulement à atteindre des acteurs syriens, elle cible aussi les États qui souhaiteraient nouer ou renouer des liens avec Damas. Ainsi, avec le « caesar act » les États-Unis forcent leur allié à cesser tout échange économique avec le régime, sous peine de subir des sanctions. Cette décision a aussi été critiquée par les principaux alliés sur le terrain. En effet les FDS ont déclaré que même si les sanctions handicapent fortement le régime elles impactent aussi les FDS.
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Remettre en marche l’industrie pétrolière
En échange de l’exploitation du sous-sol syrien, l’accord prévoirait une rénovation des installations locales nécessaires à l’extraction du pétrole. Cependant les coûts de rénovation des installations s’élèvent à plusieurs millions de dollars ce qui pourrait amener la compagnie Delta Cressent Energy à créer des partenariats avec d’autres entreprises. L’objectif serait de revenir au niveau de production d’avant-guerre qui s’élevait à environ 400 000 barils par jour. La question du transport du brut pose problème. En effet, la zone contrôlée par les FDS est enclavée entre le régime à l’ouest, la Turquie au nord et l’Irak à l’est. Concernant le choix des routes, l’hypothèse la plus vraisemblable serait celle du Kurdistan irakien. Cependant, les partis kurdes au pouvoir en Irak et Syrie sont ennemis, ce qui pourrait ralentir voir freiner de possibles négociations. La Turquie ne voit pas d’un bon œil cette situation. Les autorités kurdes du Nord-est syrien sont proches du principal ennemi d’Ankara, le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK). Cette rente pétrolière permettrait aux partis kurdes de bénéficier d’importantes ressources économiques, mais aussi de gagner en légitimité politique notamment vis-à-vis des États-Unis. Ce qui compliquerait la situation du gouvernement turc. Dans cet accord, il est aussi question de créer des raffineries qui devraient couvrir environ 20 % des besoins en essence raffinée dans le Nord-est syrien. Il s’agit d’un point important, car les FDS se fournissent en essence raffinée majoritairement auprès du régime syrien et/ou de ses intermédiaires. Ils extraient le brut et le font parvenir aux raffineries situées dans les zones sous contrôle du régime. En contrepartie Damas leur revend l’essence à un prix élevé. La création de raffineries opérationnelles dans l’est de la Syrie pourrait permettre aux FDS de sécuriser un peu plus leur autonomie encore très précaire, mais les rendraient encore plus dépendant des États-Unis. La mise ne place de telles infrastructures pourrait priver Damas d’un accès à un pétrole peu coûteux et aggraverait la dégradation de la situation économique dans le pays. Ce faisant, cela accentuerait les fractures, déjà profondes, entre les Forces démocratiques syriennes et l’État central syrien. Mais cet accord pourrait signifier un engagement sur le long terme des Américains en Syrie et notamment auprès des FDS.
Notes
[1] https://www.lefigaro.fr/flash-eco/damas-denonce-un-accord-petrolier-entre-les-kurdes-et-une-compagnie-americaine-20200802
[2] Ibid.
[3] https://www.la-croix.com/Monde/Moyen-Orient/Cesar-Act-Etats-Unis-veulent-accentuer-pression-Syrie-2020-06-17-1201100400