<i class='fa fa-lock' aria-hidden='true'></i> Georges Mathieu le Magnifique

13 janvier 2021

Temps de lecture : 5 minutes

Photo : Victoire de Denain (1963) © Collection Georges Mathieu / ADAGP / photo Emmanuel Watteau. Avec l’aimable autorisation d’Édouard Lombard.

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Georges Mathieu le Magnifique

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Après Pierre-Yves Trémois, voici l’un des artistes les plus marquants de la période de la guerre froide culturelle. Il a aussi appartenu à la première génération de l’art caché en France.

 

Georges Mathieu reste dans nos mémoires, magnifique, éclatant, fulgurant. D’un bond, d’un trait, d’un geste, il faisait apparaître une œuvre sous nos yeux. Il évoquait parfois ce qui avait fait de lui un peintre abstrait : la vision d’une nuit de bombardements pendant la Seconde Guerre mondiale. Désormais, il ne pouvait qu’en assumer l’image la main armée d’un pinceau. Il se devait ainsi de conjurer l’anéantissement, la ruine, en évoquant la beauté paradoxale de l’événement tragique. À peine la guerre terminée, il devint le chef de file de l’abstraction en France. Il voulait une Renaissance, n’a jamais cessé d’y croire.

 

Expressionnisme abstrait contre abstraction lyrique 

 

En France, les années 1950 connaissent une grande effervescence artistique, tous les courants se côtoient et le courant abstrait est prolifique, éclatant et joyeux, allant à contre-courant d’un art figuratif alors très doloriste ! Paris, rendez-vous des peintres du monde entier, fait référence. Mais sa primauté est combattue par les agents d’influence américains depuis 1947, début de la guerre froide, dont l’un des fronts est l’art et la culture. Ils combattent en Europe la fascination du milieu artistique et intellectuel pour le communisme. Leur contre-offensive consiste à affirmer l’existence d’une avant-garde unique, indépassable, américaine, quitte à l’inventer. Leur but est de disqualifier, à la fois, le réalisme socialiste et l’École de Paris. Ils choisirent l’expressionnisme abstrait comme alternative et firent la promotion planétaire de ses artistes.

Mais l’expressionisme américain n’impressionna pas Paris ! L’abstraction était une modernité parmi d’autres, apparue en Europe avant 1914. Les coulures obsessionnelles du seau percé de Pollock ne firent que contraster avec la peinture pleine d’élan de Mathieu, et de bon nombre d’excellents artistes pratiquant une abstraction infiniment diverse, visuellement riche et sensuelle. Sa création s’impose, originale, prolifique, surprenante. C’est un précurseur ! Il pratique le happening dès 1954. Street artiste avant l’heure, il peint dans la rue d’immenses toiles. Ainsi en 1956, La Bataille d’Hastings (2 x 5 m) en cent treize minutes, ou sur la scène du théâtre Sarah Bernhardt devant 2 000 spectateurs, un Hommage aux poètes du monde entier (4 x 12 m). Sa façon ? Une longue concentration intérieure, suivie d’une danse, provoquant un jaillissement de couleurs et de formes. La peinture est élan vital, souffle, esprit ! Il impose ainsi partout son style flamboyant.

 

Style et art en toute chose

 

Alors que commence à régner un intellectualisme morbide, Mathieu aime une modernité optimiste, où le progrès consiste à améliorer toute chose. Il allie beauté et utilité. Il intervient en tout domaine ! Précurseur, il désigne le design comme art, également majeur. Mais il le nomme aristocratiquement : style. Ainsi son œuvre comprend : pièce de dix francs, logo d’Antenne 2, affiches d’Air France, mosaïques, étiquettes de vin, décors de théâtre, timbres, tapisseries des Gobelins, céramiques de la Manufacture de Sèvres, sculptures. Il réalise les plans d’une usine à Fontenay-le-Comte, les fresques du Centre d’études carmélitaines de Paris. Il se définit comme peintre d’histoire, immortalise victoires et batailles. Aussi célèbre que de Gaule et Brigitte Bardot, sa réputation est planétaire. En France, il est à la fois aimé du grand public et élu à l’Académie des beaux-arts (1975).

 

Mathieu et l’Amérique

 

 Dès 1950, il expose en Europe, aux États-Unis, au Japon. Grâce à sa fonction de rédacteur en chef de la revue United States Lines Paris Review, il fait connaître en France l’expressionnisme abstrait américain. Mais il est très vite évident qu’il gêne le jeu subtil des réseaux d’influence américains en captant attention, visibilité et popularité. La réaction se fit sentir violemment et définitivement en 1958. Invité à faire une performance par une galerie de New York, Mathieu s’y rend. Celle-ci est annulée au dernier moment par le galeriste, sous la pression d’institutions et de galeries concurrentes qui s’y opposent. Ce fut le début de l’ostracisation de sa personne et de son œuvre.

 

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Un artiste, une œuvre, une vision du monde

 

Georges Mathieu vivait passionnément le présent, l’observait, le pensait. Sa référence était la Renaissance, il se devait d’être un humaniste, un acteur éminent de son temps. Il ne peignait pas seulement, il écrivait aussi, et avec fougue ! Son premier livre Au-delà du tachisme (1963) est un manifeste esthétique et spirituel, comme tous ses livres qui sont des œuvres de combat.  Dans Le Privilège d’être (1967), il expose la noblesse du geste de peindre. Après mai 1968, il s’affronte de plus en plus à un courant conceptuel qui devient dominant, à une pensée nihiliste affirmant un présent perpétuel, absurde, sans avenir. En 1973, dans son livre De la révolte à la renaissance, il prend position contre. En 1984, dans L’Abstraction prophétique, le ton devient tragique. On observe dans sa peinture le même changement : son œuvre, au cours des années 1980, atteint une profondeur, une beauté où se mêlent émerveillement et douleur. On songe à la nuit fondatrice du bombardement, accomplit-il un destin ? Son dernier livre, Désormais seul en face de Dieu (1998), exprime sa solitude dans un monde où la médiocrité semble être devenue la norme.

 

Georges Mathieu dissident de l’art officiel français

 

En 1983, dès que Jacques Lang, après le départ des communistes du gouvernement, acquiert  toute sa liberté de manœuvre, il choisit de prendre comme référence les normes de la contemporanéité new-yorkaise. Georges Mathieu qui n’y est pas admis sera désormais aussi ostracisé par les institutions françaises. La même année fut créé, ex nihilo, le corps des « inspecteurs de la création », alors cooptés et sans concours d’admission. Leur rôle : diriger la création. Ayant le pouvoir de dire ce qui est de l’art ou ne l’est pas, ils déclarèrent l’œuvre de Mathieu « non pertinente, non critique, décorative » et l’on remisa les toiles du Centre Georges Pompidou dans les réserves. Les musées de province firent de même. Ce sort fut progressivement partagé par la plus grande partie des œuvres appartenant à l’École de Paris, abstraites ou figuratives. En l’espace de peu de temps, la création non conforme (c’est-à-dire non conceptuelle) des artistes vivant et travaillant à Paris disparut de la visibilité nationale et internationale. New York triompha, la guerre froide culturelle fut ainsi gagnée avant la chute du mur de Berlin.

 

La postérité de Georges Mathieu

 

Georges Mathieu s’exila dans son atelier pour peindre en silence, mais resta très présent par sa plume. Avec elle, il résista et intervint sur le même ton, avec la même violence que ses adversaires. Aujourd’hui, il réapparaît dans les salles des ventes prestigieuses et dans les hyper galeries internationales. Sa cote remonte… Christie’s met en exploitation un nouveau gisement spéculatif : les artistes entre 1945 et 1970, époque dont il est un artiste majeur, reconnu. Le département impressionnistes et art moderne a été fondu par Christie’s avec celui de l’art contemporain, auquel est ajoutée une nouvelle section : post war. Les nécessités stratégiques de la guerre froide appartiennent au passé, Georges Mathieu est devenu un artiste désormais bancable.

Péripéties ! Mais quels que soient les hommes, les calculs d’épicerie, les circonstances, Mathieu reprendra tôt ou tard sa place, dans le cœur du public, dans l’histoire de l’art.

 

Temps de lecture : 5 minutes

Photo : Victoire de Denain (1963) © Collection Georges Mathieu / ADAGP / photo Emmanuel Watteau. Avec l’aimable autorisation d’Édouard Lombard.

À propos de l’auteur
Aude de Kerros

Aude de Kerros

Aude de Kerros est peintre et graveur. Elle est également critique d'art et étudie l'évolution de l'art contemporain.

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