Lorsque l’Iliouchine 18 se posa à Orly, le mercredi 23 mars 1960, Nikita Khrouchtchev bénéficiait déjà d’une belle cote de popularité en France, où le PCF, dominé par la figure de Maurice Thorez, rassemblait le cinquième de l’électorat français. De Gaulle l’accueille en personne au pied de la passerelle et le reçut par ses mots : « Enfin, vous êtes là ! Je peux vous assurer que nous en sommes très contents ! ». Un an plus tard, le 12 avril 1961, à bord du vaisseau Vostock, Youri Gagarine effectuait le premier vol humain dans l’espace, devenant une étoile planétaire. L’histoire n’a pourtant pas retenu le nom d’un autre russe très en vogue à l’époque. Sait-on qu’aux côtés de ces deux hommes, Lev Yachine est devenu le troisième Soviétique le plus connu du monde ?
L’Araignée noire, ce géant de 1m 89, agile, imaginatif, qui excella également au hockey, fut le seul gardien de but ayant obtenu le Ballon d’or. Le Monde le qualifia de « meilleur gardien de but du monde« . Que l’on se le dise, il a arrêté 150 penalties sur l’ensemble de sa carrière. C’est l’histoire de cet homme, type même du « héros soviétique » que raconte, avec verve, finesse et méthode Laurent Lasne. Mais alors que l’on s’attendait, au départ à un livre purement footballistique, c’est là tout l’intérêt de ce livre, on tient dans les mains une véritable histoire de la société soviétique, appréhendée, auscultée, décrite dans toutes ses composantes. On découvre ainsi les intrigues du Mingrélien Biera, qui fut l’un des premiers bolchéviks à avoir saisi l’impact politique du ballon rond et a su y intéresser son futur patron, venu se détendre dans ses terres natales.
Précisément, dès les années 1930, interrompues par la guerre, les rencontres sportives furent l’occasion de poursuivre la compétition Est – Ouest, sur les terrains de sport et dans les têtes farcies de propagande, de héros, de slogans patriotiques… Le jeune poète Evtouchenko n’avait-il pas publié ses premiers vers dans la revue Sovetski Sport ? Il venait alors de faire paraître son premier livre, en 1952, Les Eclaireurs. A la mort de Staline, il proclama qu’il était temps de passer à autre chose, en fermant à double tour la porte du mausolée et ses sales souvenirs. « Doublez, triplez la garde / Autour de cette tombe ! » A la suite de la décision du Comité Olympique international (CIO), prise en mai 1952, de reconnaître le Comité olympique russe et d’élire Constantin Andrianov en tant que membre du CIO, l’URSS participa aux Jeux Olympiques d’Helsinki en 1952. Mais le boycott de ceux-ci devint très vite, malgré le vœu de leur refondateur, le baron de Coubertin, une arme politique. Le football, qui se voulait encore amateur y prit toute sa place et Lev Yachine en devint vite le tsar. Les arènes sportives, les stades, devenaient des lieux d’affrontement de deux modèles de société et l’occasion à la propagande de se déployer. A cet égard, le gardien de but comme l’illustre l’exemple de Lev Yachine, représenta l’image métaphorique de défenseur de la patrie, de la frontière sacrée, symbolisée par la ligne de séparation. Quant au match de foot, il sera utilisé, comme une effet miroir du territoire sacré, ou de projection de l’image de soi. Quelques semaines après la fin du siège de Stalingrad, dans cette ville entièrement détruite, un match de foot n’y a-t-il pas été organisé ? Pour le Time, c’était la preuve que la vie était redevenue normale en URSS ! Pour étudier les méthodes sportives occidentales, des postes d’attachés sportifs furent créés dans plusieurs ambassades au début des années 1950.
On apprend beaucoup de choses dans cet ouvrage qui décrit savamment tout un pan de l’histoire soviétique. Savait-on que le grand compositeur Chostakovitch était un amoureux éperdu du ballon rond ? Il comparait les joueurs à des danseurs et abandonnait souvent ses cours au Conservatoire, pour ne manquer aucun match. Sa musique en fut d’ailleurs influencée. Un autre artiste, Nicolas de Staël était aussi friand de football et a reproduit dans certaines de ses œuvres des footballeurs en action.
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