Le nationalisme hindou : histoire et fonctionnement

16 février 2021

Temps de lecture : 15 minutes

Photo : Des milliers de bénévoles du mouvement nationaliste RSS défilent à Ajmer (Rajasthan) en Inde (c) Sipa Shutterstock40780593_000015

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Le nationalisme hindou : histoire et fonctionnement

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Apports anglais et musulmans, longue tradition historique, relations avec le voisin chinois, le nationalisme hindou a été formé par l’histoire et par la géographie. Mais passer de 565 Etats princiers à une nation n’allait pas de soi et n’est pas chose naturelle. Le nationalisme a été construit et pensé par des auteurs qui ont cherché à créer une certaine idée de l’Inde.

 

« En Hindustan (foyer des hindous), existe, et se doit d’exister l’ancienne nation hindoue et nulle autre que la nation hindoue. Tous ceux qui n’appartiennent pas à la race, la religion, la culture et la langue nationales, c’est-à-dire hindoue, tombent naturellement en dehors des limites de la véritable vie nationale ». Madhav Sadashiv Golwalkar, Président du Rashtryia Swayamsevak Sangh (RSS) 1940-1973, in We or our nationhood defined (Nous, notre nationalité définie,1939).                                                 

Lorsque M.D Golwarkar écrit cette phrase en 1939, l’Inde est toujours sous domination britannique et deviendra indépendante huit ans après, avec ce qu’on a appelé la « partition », c’est-à-dire la création du Pakistan pour la population musulmane vivant en Inde. Cette « partition » créa d’épouvantables massacres entre les deux communautés, musulmane et hindoue, et cet évènement reste présent d’une manière indélébile dans le concept du nationalisme hindou.

Ce concept n’est donc pas récent et s’est développé principalement pendant et, surtout, après l’occupation britannique, avec un sentiment identitaire très puissant. A priori, rien ne laissait prévoir que l’Inde, de par sa civilisation millénaire et sa culture plurielle, évoluerait un jour sous forme de nation. En 1947, année de l’indépendance, il y avait dans le pays officiellement 565 États dits « princiers ». En 2020, l’Inde, avec 1.2 milliard d’habitants (recensement de 2011), peut, et doit, être considéré comme « l’autre géant » asiatique. C’est une démocratie, mais une « démocratie ethnique » comme la définit Christophe Jaffrelot dans son récent livre L’Inde de Modi (1). La religion hindoue est largement majoritaire, environ 80% de la population, tandis que la minorité musulmane représente environ 14% de la population, soit 168 millions d’Indiens.

Aujourd’hui, le BJP (Bharathiya Janata Party) est au pouvoir et son leader, Narendra Modi, est premier ministre pour la deuxième fois depuis 2014. Avec son Ministre de l’Intérieur et proche conseiller, Amit Shah, Modi a clairement institué un courant nationaliste très fort en Inde. Ce concept de nationalisme hindou n’est pas récent et s’est développé principalement pendant et surtout après l’occupation britannique, avec un sentiment identitaire très puissant.

 

Le nationalisme sous la présence anglaise

 

Après la révolte des Cipayes (1857), une reprise en mains drastique s’effectue par l’India Office à Londres et la Compagnie des Indes laisse la place au Raj britannique sous l’autorité d’un Vice-Roi nommé par Londres. Cet impérialisme politique se double d’un impérialisme culturel et social, passant par un prosélytisme religieux (2). Se sentant menacés, des activistes indiens réagissent à ces impérialismes en essayant de définir une identité indienne, mais surtout hindoue. Les grandes figures du nationalisme se manifestent alors entre la fin du XIXe siècle et le début du XXe avec entre autres :

  • Dayananda Saraswati (1824-1883). Il fonde l’Arya Samaj en 1875, qui peut être considéré comme le premier mouvement en Inde qui définit le nationalisme en termes d’ethnicité (3).
  • Da Bal Gangadhar Tilak (1856-1920). Il considère les musulmans comme des envahisseurs et étrangers à la patrie, et les exclut d’une nation conçue comme exclusivement hindoue. « La fierté et l’admiration pour nos héros nationaux sont un élément majeur du sentiment national » (4).
  • Aurobindo Ghosh ou Ghose ou Sri Aurobindo (1872-1950).
  • Swami Vivekananda.
  • Mais le plus important reste l’idéologue Vinayak Damodar Savarkar (1886-1966), qui, en 1923, « invente » la doctrine de l’Hindutva. L’Hindutva, ou Hindouité, est le socle du concept de nationalisme hindou que le RSS puis le BJP utilisent, entre autres, pour remporter les élections de 2014 et 2019.

En 1925, le Rashtriya Swayamsevak Sangh (Association des Volontaires Nationaux) ou RSS est créé par un médecin, Kisham Baliram Hedgewar. Le RSS devient non seulement le bras armé du BJP, le parti au pouvoir aujourd’hui, mais également son élément structurant et son centre idéologique.

Les ferments nationalistes sont donc bien en place lorsque le 15 Août 1947, à minuit, l’Inde devient indépendante. Le processus de cette indépendance a été initié environ 25 ans plus tôt par, notamment, Mahandas Kamramshar Gandhi, dit le Mahatma (la « grande âme »). A partir de 1918, celui-ci lance de nombreux boycotts et manifestations non-violentes (satyagraha) contre l’autorité britannique. En décembre 1921, il introduit la notion et le but du Swaraj, l’indépendance totale. Après la « marche du sel » et le mouvement d’envergure « Quit India », l’indépendance est enfin accordée par le gouvernement de Clement Atlee. Le 30 janvier 1948, Gandhi est assassiné par un militant du Rashtyia Swayamsevak Sangh (RSS) qui lui reprochait d’être trop favorable aux indiens musulmans.

L’autre initiateur de l’indépendance est Jawaharlal Nehru, qui devient le premier Premier Ministre de la République indienne. Nehru est, avec Gandhi, un des chefs du Parti du Congrès et participe également au programme de désobéissance civile initié par le Mahatma. A cette époque, l’expression « nationalisme indien » se décrit dans une période de fermentation intellectuelle et politique qui englobe différents projets : anti-colonialisme, patriotisme et nationalisme (5).

Il y eut même une Armée Nationale Indienne qui se battit aux cotés de l’Allemagne nazie et du Japon impérial contre les Anglais, sous les ordres de Subhas Chandra Bose.                                Nehru tente d’imaginer un nationalisme spécifiquement indien, mais compatible avec toutes les exigences d’un Etat moderne. Le BJP propose lui une reformulation du nationalisme aux antipodes de celui de Nehru (5).

 

Le nationalisme après l’indépendance

 

Après l’Indépendance, le Parti du Congrès domine le paysage politique indien, et les mouvements nationalistes hindous sont peu structurés politiquement. Le RSS tente de développer une démarche politique pour proposer une alternative nationaliste au Parti du Congrès, mais est désavantagé par son implication dans l’assassinat de Gandhi. En 1951 est créé le Bharatiya Jana Sangh (BJS), plus connu sous l’appellation de Jana Sangh, à l’initiative notamment de Syama Prasad Mukherjee. Le BJS s’inscrit dans l’idéologie de l’hindutva, revendique un durcissement face à la communauté musulmane et au Pakistan, condamne la partition et réclame l’annexion du territoire de Jammu et Cachemire. A partir de 1961, des émeutes opposent les hindous et les musulmans pour culminer au printemps 2002 dans l’Etat du Gujarat dont le ministre en chef est un certain Narendra Modi. En juin 1966, Bal Thackeray crée à Mumbai (Bombay à l’époque) le Shiv Sena (« armée de Shivaji », du nom du fondateur du royaume mahrate), qui est un bon exemple d’un important parti politique local (Etat du Maharashtra) qui tend à devenir national avec des alliances, comme avec le BJP.

En 1975, le Premier ministre Indira Gandhi promulgue l’état d’urgence, entrainant l’incarcération de plusieurs leaders politiques dont ceux du BJS. Une coalition hétéroclite plutôt conservatrice se crée, le Janata Party, qui prend le pouvoir en 1977. Au sein de cette coalition, le BJS occupe une place prépondérante. Le Janata Party connait ensuite des dissensions internes et, en 1980, le parti du Congrès reprend le pouvoir. La même année se crée le Bharatyia Janata Party qui arriva au pouvoir en 2014 et 2019 et qui peut être considéré comme l’aile politique du RSS.

 

L’Hindutva ou le concept du nationalisme hindou

 

« L’Hindutva n’est pas un mot, c’est une histoire. Pas seulement l’histoire spirituelle ou religieuse de notre peuple, comme il est parfois confondu avec le concept d’hindouisme, mais une histoire en entier. L’hindouisme n’est qu’un dérivé, une fraction, un élément de l’Hindutva » V.D Savarkar dans « Hindutva, who is a hindu ».

En 1923, V.D Savarkar illustre son concept d’Hindutva, que l’on peut traduire par « hindouité », dans son livre fondateur Hindutva, who is a hindu. Savarkar fait état de quatre composantes majeures rattachées à la nation, la race, la civilisation et le sacré :

  1. Un attachement à la nation au sens physique, à la terre/mère patrie (Bharat).
  2. L’appartenance à une seule race issue des Aryens, qui compose un peuple cimenté par des siècles de vie commune (pitribhumi).
  3. Le partage d’une civilisation commune (mythes, héros, histoire commune) : glorification des valeurs, des traditions, des croyances hindoues et de la langue (Sanskriti).
  4. L’Inde comme terre sainte (punyabhumi).

 

Dès lors, ceux qui sont nés et qui vivent en terre indienne sont des enfants de la déesse Bharat Mata et, donc, nécessairement hindous. Il y a un lien émotionnel et organique fort avec le territoire, formant ainsi une nation de facto (6).

L’idée générale portée par ce nationalisme ethnique (au sens ainsi défini de l’Hindutva) est celle d’un revival, d’une nécessaire renaissance de la civilisation hindoue, d’un retour à un âge d’or mythique (7), celui des Védas, ces textes sacrés qui furent rédigés par la communauté indo-aryenne il y a des siècles. Au nom de l’unité hindoue, les idéologues de l’hindutva attendent des indiens chrétiens et musulmans qu’ils s’assimilent à la culture hindoue et qu’ils révèrent les grands symboles de l’hindouisme. Savarkar, en tant de Président et inspirateur de la Hindu Mahasbha, « la grande assemblée des hindous » (premier parti politique nationaliste hindou d’envergure nationale) mena une campagne, de 1937 à 1944, sous le nom d’Hindu Sangathan, pour mobiliser les politiciens hindous contre le parti du Congrès et dénonca les musulmans comme « antinationaux » (8). L’Hindutva est une idéologie politique, l’hindouisme est une religion (9), en l’occurrence la religion. En 1964 est créée la Vishva Hindu Parishad (« Forum mondial hindou ») qui se définit clairement comme organisation d’extrême-droite, avec des tendances extrémistes et violentes et qui constitue l’une des organisations les plus influentes du Sangh Parivar. Cet ensemble d’organisations (Famille des associations), n’a cessé de gagner en influence depuis les années 1980.

Un des buts de l’Hindutva est de restaurer Akhand Bharat, l’Inde « indivisible », c’est-à-dire récupérer les territoires perdus dans le passé (10).

Ce rêve d’une Inde grande et indivisible, s’étirant de l’Afghanistan jusqu’en Birmanie, incluant le Pakistan, le Népal, le Bangladesh ou encore le Sri Lanka, repris par le RSS, a resurgi dans le débat indien (11). L’Akhand Bharat n’est pas seulement délimité par des frontières physiques. Il représente aussi une « terre sacrée », là où les hindous révèrent les montagnes, les fleuves et leurs saints. Quant aux chrétiens et aux musulmans, « leur mythologie, leurs idées et leurs héros ne sont pas les enfants de cette terre  », précisait V.D Savarkar, au début du XXe siècle (11).

 

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Le Rashtriya Swayamsevak Sangh (RSS), ou le vrai pouvoir

 

C’est « l’Association des Volontaires nationaux » créée en 1925 par K.B Hedgewar. Celui-ci cherche d’abord à comprendre les causes de la dégradation de l’Inde (Bharat). Certes, les invasions musulmanes et anglaises ont contribué à cette dégradation mais, selon Hedgewar, la vraie cause du déclin de Bharat, c’est la faiblesse intérieure de la société hindoue entrainant un manque de conscience et de cohésion nationale. Donc Hedgewar crée le RSS, une organisation qui représente le cadre d’une « doctrine et d’attitudes spécifiques, nationalistes, culturelles, religieuses, anti-musulmanes et anti-communistes » (12) et se définit comme un mouvement d’auto-défense (13).

En 1935, le mentor d’Hedgewar, Balakrishna Shrinam Moonje rencontre Mussolini au cours d’un voyage en Europe et s’intéresse à l’embrigadement et aux exercices physiques et paramilitaires des jeunesses fascistes (opera nazionale ballila). De 1940 à 1973, le RSS est dirigé par Madhav Sadashiv Golwalkar (1906-1973). Il désigne les trois dangers majeurs pour l’Inde : les musulmans, les chrétiens et les communistes. Son livre Bunch of Thoughts publié en 1966 résume sa philosophie nationaliste. Il est intéressant de noter les liens qui sont créés entre le RSS et les partis nazis et mussolinien au travers de la Hindu Mahasbha, association proche du RSS, dont le Président est Sarvarkar. Le RSS est une organisation très structurée qui dispense un enseignement idéologique et paramilitaire et qui est aujourd’hui le « bras armé » influent du BJP de Narendra Modi avec un quadrillage du territoire indien très efficace. En effet, le RSS a organisé un réseau de cellules (shakas) qui encadre, à l’échelle du quartier ou du village, les activités physiques et idéologiques des militants. Il encadre, de la sorte, une majeure partie du territoire indien et s’appuie sur un groupe de cadres (pracharaks) entièrement dévoués à sa cause qui propagent l’idéologie dans toute l’Inde et, à l’étranger, dans les réseaux de la diaspora.

Ayant de surcroît essaimé dans de nombreux secteurs, le RSS est membre d’un vaste réseau d’organisations spécialisées, étroitement liées à la hindutva, groupées sous le vocable Sangh Parivar, qui intervient dans les champs social, économique et religieux, et dont les plus importantes sont :

  • Bharatyia Janata Party BJP (politique) : 180 millions de membres en 2019.
  • Vishwa Hindu Parishad VHP (religieux) : 6.8 millions de membres.
  • Bharatyia Kishan Sangh (Hindu Farmers Association) 8 millions de membres.
  • Bajrang Dal, branche jeunesse du VHP.
  • Akhil Bharatyia Vidyarthi Parishad (All India Students Forum) : 2,8 millions de membres.
  • Bharatya Mazdoor Sangh (India Labourers Association) : 10 millions de membres.
  • Rashtra Sevika Samiti (National Volunteers Association for Women) : 1,8 millions de membres.

Au Royaume Uni, aux Etats-Unis et au Canada, le Sangh Parivar agit sous le nom de Hindu Swayam Sangh, qui regroupe, selon le modèle indien, diverses associations comme : National Hindu Students Forum (UK) ou India Development and Relief Fund (USA).

Il faut ajouter à ce réseau plus de 12 700 écoles et 150 000 enseignants. Toutes ces associations, bien sûr, travaillent à maintenir une présence sur le terrain et à diffuser les idées du BJP et du RSS.

 

Le Bharatyia Janata Party (BJP) et Narendra Modi

 

Le BJP a succédé en 1980 au Bharatyia Janata Sangh (Parti du Peuple indien), lui-même étant une émanation du Hindu Mahasbha. Le BJP est membre à part entière du Sangh Parivar, rattachées au concept de l’Hindutva. Le BJP a déjà été au pouvoir de 1996 à 2004, comme principal parti politique de la National Democratic Alliance (NDA) avec, comme Premier Ministre, Atal Bihari Vajpayee.

Vajpayee a été cadre du RSS, puis membre du Janata Party qu’il quitte en 1980 pour participer à la fondation du BJP avec L.K Advani. Aujourd’hui, après avoir remporté les élections de 2014, le BJP est de nouveau au pouvoir, depuis 2019, avec une majorité confortable de 303 sièges sur 543 à la Lok Sabha (chambre basse du parlement indien) ce qui lui permet de gouverner seul, sans alliance.

Le Premier Ministre Narendra Modi est né le 17 Septembre 1950 à Vadnagar. Il est de caste inférieure et commence à travailler comme chaiwala (marchand de thé). Il commence son engagement en politique dans le (RSS) et il devient le Secrétaire Général du BJP en 2001. Il est nommé Ministre en chef de l’Etat du Gujarat en 2001. Il va y effectuer quatre mandats et sera critiqué pour sa gestion des émeutes de 2002. Il parvient au pouvoir en 2014, avec le BJP puis réélu en 2019. Il est le représentant de l’aile dure du nationalisme hindou et, par ses origines modestes, il est considéré comme une alternative à l’establishment du Parti du Congrès.

L’autre personnalité importante du gouvernement est Amit Shah, ministre de l’Intérieur, après avoir présidé le BJP de 2014 à 2020. Il a été le collaborateur de Modi comme secrétaire d’Etat à l’intérieur dans le gouvernement du Gujarat de 2002 à 2014 (15). Il représente également la partie la plus dure du nationalisme hindou.

 

Le programme politique actuel du BJP

 

Ce programme politique est ouvertement discriminatoire à l’égard des minorités musulmane et chrétienne (16) au nom du suprémacisme hindou. On assiste à une « hindouisation » de la société, articulée autour de l’hindutva (17). Dès son retour au pouvoir, Modi et Shah ont mis en place des règlements et lois visant la mise à l’écart des minorités, et des musulmans en particulier. Le régime demeure démocratique mais la pratique du pouvoir s’ethnicise et devient de plus en plus autoritaire (18). En octobre 2019, l’autonomie du Cachemire est abrogée, par un tour de force contesté, car sans discussion préalable au Parlement. En effet, depuis le 31.10.19, l’article 370 de la constitution qui conférait un statut spécial à l’Etat du Jammu et Cachemire est aboli et l’Etat est scindé en deux territoires de l’Union indienne administrés par un gouverneur nommé par New-Delhi. Le précédent statut durait depuis un demi-siècle. Quand on sait que cet Etat est à grande majorité musulmane (19), on comprend que cette abolition représente un point de fixation très sensible entre hindous et musulmans.

En novembre 2019, la Cour Suprême a condamné la destruction en 1992 de la mosquée d’Ayodhya (édifiée en 1528) et les exactions commises alors contre les musulmans (2000 morts), mais a donné l’autorisation de la remplacer par un temple hindou. Début décembre 2019, un amendement au code de la nationalité (Citizen Amendment Act CAA), qui amende une loi de 1955, permet aux réfugiés hindous, sikhs, chrétiens, jains, bouddhistes et parsis (20) qui ont fui « pour des raisons religieuses » l’Afghanistan, le Pakistan ou le Bangladesh, d’accéder facilement à la nationalité indienne s’ils résident en Inde depuis au moins cinq ans. Seuls les résidents musulmans sont exclus du dispositif. Ils resteront des sans-papiers, c’est-à-dire sans droits.

Premier exemple, dans l’État de l’Assam (21), au nord-est de l’Inde, les autorités viennent de mener depuis quatre ans un recensement de la population (registre national des citoyens RNC), soit sur 33 millions d’habitants, pour détecter les immigrés illégaux. Ce sont 1,9 millions Indiens qui n’ont pas réussi à prouver leur ascendance indienne. La majorité sont des musulmans. Grâce à ce recensement, les hindous pourraient garder leur nationalité alors que les musulmans seraient renvoyés devant les tribunaux, groupés dans des camps et menacés de devenir apatrides.

Cet amendement semble être en contradiction avec la Constitution de 1950, qui stipule dans son article 14 que « l’Etat ne doit refuser à personne l’égalité devant la loi ou la protection légale des lois sur le territoire de l’Inde » (22). En outre, l’article 15 interdit à l’Etat de discriminer tout citoyen « en raison de sa religion, sa race, sa caste, son sexe ou son lieu de naissance » (23).

Le 5 janvier dernier, des membres d’un syndicat étudiant a priori proche du RSS ont mis à sac une université en plein cœur de Delhi (Jawaharlal Nehru University JNU) et passé à tabac étudiants et enseignants. La police a été accusée de complaisance envers les agresseurs. Fin février 2020, des milices ont semé la terreur dans les quartiers musulmans du nord-est de Delhi, détruisant commerces et mosquées et lynchant, voire abattant par balles des dizaines d’habitants. La police a encore été accusée de passivité, de la même manière qu’elle avait été accusée d’avoir fermé les yeux sur les pogroms du Gujarat de 2002. (24)

Ces milices sont également très présentes en ce qui concerne les activités autour de la vache. Depuis 2015, des musulmans principalement, et des chrétiens, sont lynchés car ils sont impliqués dans l’abattage des vaches, qui est interdit dans 18 Etats de l’Union. Il y a une corrélation directe entre la vache sacrée et l’hindutva. Cette idéologie de la vache sacrée est défendue par le Sangh Parivar, au moyen de milices et de commandos (gau rakshas ou protecteurs de la vache) avec des associations comme le Bajrang Dal ou la Hindu Yuva Vahini (25). On peut parler de « terrorisme de la vache ».

 

Et maintenant ?

 

L’Inde est-elle toujours une démocratie ? Oui, selon C. Jaffrelot mais en précisant « la plus grande démocratie ethnique du monde ». C’est une forme de démocratie : on continue de s’exprimer dans certains médias, de voter, de faire appel aux juges. Mais les minorités sont de plus en plus des citoyens de seconde zone. « L’hypothèse d’une démocratie illibérale et d’une démocratie ethnique – les deux vont souvent de pair – est crédible dans les dix ans qui viennent en Inde, sans que celle-ci ait besoin de modifier sa Constitution » (26). Ce dernier explique également que le régime au pouvoir est clairement « national-populiste ». Le national-populisme de Modi est l’instrument d’une revanche sociale de la part de hautes castes menacées de déclassement, en réaction à la discrimination positive mise en place par le parti du Congrès en faveur des basses castes et des musulmans. Il y a une stratégie à long terme visant à retrouver la grandeur passée : les plus ultras (comme Amit Shah) ont le champ libre, le Premier Ministre s’interpose quand c’est nécessaire. La « nouvelle Inde », vantée par Modi, n’est pas seulement une puissance en marche : elle est un projet idéologique, porté par les organes du nationalisme hindou (27). Au moment où l’économie s’enfonce dans une crise particulièrement sérieuse, pour des raisons structurelles et à cause du Covid-19, le pouvoir peut être tenté par la fuite en avant, aidé en cela par la pusillanimité de la Cour Suprême (28). Avec une énième crise au sommet du parti du Congrès et une majorité confortable à la Lok Sabha, Narendra Modi a toute latitude pour poursuivre sa stratégie nationaliste.

 

Focus

 

Ayodhya :

Ayodhya est une petite ville de l’Etat d’Uttar Pradesh où une mosquée – la Babri Masjid – avait été édifiée en 1528 sous l’empereur moghol Babur. Le 6 décembre 1992, des fondamentalistes hindous (Shiv Sena et Bajrang Dal, entre autres) prenaient d’assaut la mosquée sur ce qu’ils considèrent être le lieu de naissance du dieu Rama et où ils veulent reconstruire un temple. Cet évènement provoque des représailles musulmanes, suivies d’une répression policière massive n’épargnant presque aucun Etat de l’Union.

 

La vache sacrée :

La sacralité de la vache et l’interdiction religieuse de la consommation de bœuf continuent aujourd’hui à être instrumentalisées par l’extrême droite nationaliste.

La vache est appelée « Gau mata » (la vache mère), car elle fournit cinq produits sacrés : le lait et ses dérivés, le « lassi » (lait fermenté) et le « ghî » (beurre fondu), mais aussi l’urine et la bouse.

Elle est l’objet d’un tabou alimentaire, dans un souci de pureté rituelle. La vache sacrée constitue un des rares symboles partagés par tous les hindous menant à une stigmatisation des mangeurs de bœuf issus des minorités religieuses, en particulier de la minorité musulmane. La vache sacrée est donc liée à un sentiment antimusulman. Dans le nationalisme hindou, autant les hindous sont unifiés par la protection des vaches, autant les musulmans sont pointés du doigt pour les abattre.

La consommation de bœuf est associée à un statut social bas dans la hiérarchie des castes pour les hindous au point que, lorsque les basses castes cherchent à s’élever socialement, elles en abandonnent sa consommation.

 

Subhas Chandra Bose :

S.C Bose est né le 23 Janvier 1897 à Cuttack dans l’Etat d’Odisha (anciennement Orissa) dans une famille aisée. Il est surnommé « Netaji » (chef respecté). Après de brillantes études, il devient l’un des principaux dirigeants indépendantistes de l’Inde à l’époque de la colonisation britannique. C’est un partisan de la résistance armée face aux Anglais pour parvenir à l’indépendance et il s’allie avec l’Allemagne nazie et l’Empire du Japon. En 1943, il devient le chef du gouvernement provisoire de l’Inde, basé à Singapour et de l’Armée Nationale Indienne, composée de prisonniers de guerre indiens. Cette armée participe aux combats contre les alliés, mais l’opération Ugo (tentative d’annexion de l’Est de l’Inde par l’armée japonaise) échoue et Bose s’enfuit et meurt dans un accident à Taïwan le 18 août 1945. Son corps n’a jamais été officiellement identifié. C’est un personnage controversé, traitre pour les uns, héros pour les autres, mais il jouit aujourd’hui d’une grande popularité en Inde. Son anniversaire est célébré dans divers états, comme le Maharashtra, où une grande parade couleur safran est organisée chaque année le 23 Janvier. Narendra Modi le cite souvent et a même donné son nom à l’ile de Ross dans l’archipel des Andaman. L’aéroport international de Calcutta porte le nom de Netaji Subas Chandra Bose.

 

Notes :

(1) C. Jaffrelot  l’Inde de Modi  Ed. Fayard  2019.

(2) Christophe Gandelin L’hindutva aux origines du nationalisme hindou Asyalist 4 Juillet 2016https://asialyst.com/fr/2016/07/04/l-hindutva-aux-origines-du-nationalisme-hindou/

(3) G. Heuzé et M. Sélim« Politique et religions dans l’Asie contemporaine » ed. Karthala 1988.

(4) C. Jaffrelot L’émergence des nationalismes en Inde, perspectivers théoriques, in Revue française de Sciences politiques 1988

(5) S. Khilkani Democratie et nationalisme en Inde

(6) Isabelle Saint-Mezard Religion et Politique dans l’Inde de Narendra Modi

https://www.vie-publique.fr/parole-dexpert/271071-religion-et-politique-dans-linde-de-narendra-modi

(7) C. Bernard  La laïcité indienne mise à mal par un nationalisme hindou identitaire Carnet de l’IESR 2019

(8) J. Assayag  L’Inde : désir de nation » éd. Odile Jacob 2001

(9) E. Leidig Hindutva as a variant of right-wing extremism  2020

https://www.tandfonline.com/doi/full/10.1080/0031322X.2020.1759861

(10) Arvind Sharma On the difference between Hinduism and Hindutva 2020

https://www.asianstudies.org/publications/eaa/archives/on-the-difference-between-hinduism-and-hindutva/

(11) J. Bouissou Le Monde 24.03.16

(12) C. Jaffrelot  Les nationalistes hindous Presses de Sciences-Po 1993

(13) C. Jaffrelot Les brigades de l’Hindutva et la police culturelle in Milices armées d’Asie du Sud  2008https://www.cairn.info/milices-armees-d-asie-du-sud–9782724610024-page-229.htm

(14) L’inde a adopté un système fédéral de 28 états et  territoires. Chaque état possède son propre gouvernement avec un Chief Minister.

(15) B. Pedroletti  Le Monde  06.08.19.

https://www.lemonde.fr/international/article/2019/08/06/en-inde-amit-shah-le-bras-droit-sans-scrupule-de-narendra-modi_5497049_3210.htm

(16) C. Jaffrelot  Le Monde Diplomatique juillet 2019

https://www.monde-diplomatique.fr/2019/07/JAFFRELOT/60035

(17) L .Andrieu Le Figaro janvier 2020

https://www.lefigaro.fr/international/inde-derriere-la-loi-sur-la-citoyennete-le-programme-nationaliste-hindou-du-gouvernement-20200104

(18) C. Thomas Le Figaro janvier 2020

https://www.lefigaro.fr/international/inde-derriere-la-loi-sur-la-citoyennete-le-programme-nationaliste-hindou-du-gouvernement-20200104

(19) En 1947, la « partition » entraine la création d’un Etat musulman, le Pakistan, avec une partie occidentale et une partie orientale. L’Etat du Jammu et Cachemire se trouve à la frontière de l’Inde et du Pakistan occidental (aujourd’hui « Pakistan »). Cet Etat a, et est, toujours un important problème entre les 2 pays, entrainant 3 guerres (1947, 1965, 1971) et de multiples incidents. La population du Jammu et Cachemire est aujourd’hui à env.70% musulmane.

(20) L’Inde compte env. 80 % d’hindous, 14 % de musulmans, 2,3 % de chrétiens, 1,7 % de sikhs, 0,7 % de bouddhistes, 0,4 % de jaïns et 0,005 % de parsis. (recensement 2011) www.censusindia.gov.in

(21) L’Assam est un état du nord-est de l’Inde, capitale Guwahati, très proche du Myanmar et du Bangladesh. Cette proximité facilite l’accès des réfugiés de ces 2 pays. Connu pour ses plantations de thé luxuriantes, sa faune et sa flore, l’Assam est l’un des Etats les plus pauvres de l’Inde, avec des niveaux de développement très bas.

(22) Article 14 : The State shall not deny to any person equality before the Law or the equal protection of the laws within the territory of India.

(23) Article 15 : The State shall not discriminate against citizen on grounds of religion, race, caste, sex, place of birth or any of them.

(24) C. Bros  The Conversation Mars 2020 https://theconversation.com/violences-anti-musulmanes-en-inde-quelle-responsabilite-pour-le-gouvernement-modi-132884

(25) M. Ferry  Août 2019   https://www.sciencespo.fr/ceri/fr/oir/en-inde-des-attaques-contre-les-minorites-au-nom-de-la-vache-sacree

(26) L. de Barochez  Le Monde en 2030  L’inde, une superpuissance ethno-religieuse                                                 https://www.sciencespo.fr/ceri/fr/content/le-monde-en-     2030-l-inde-une-superpuissance-ethno-religieuse

(27) J.L Racine Centre-Asia  Mai 2020 https://centreasia.eu/linde-et-le-coronavirus-exception-indienne-ou-inversion-du-monde/

(28) C. Jaffrelot  Janvier 2020  https://www.institutmontaigne.org/blog/loi-sur-la-citoyennete-en-inde-une-polarisation-populiste

 

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Photo : Des milliers de bénévoles du mouvement nationaliste RSS défilent à Ajmer (Rajasthan) en Inde (c) Sipa Shutterstock40780593_000015

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À propos de l’auteur
Alain Bogé

Alain Bogé

Enseignant en Géopolitique et Relations Internationales. HEIP Hautes Etudes Internationales et Politiques - Lyon. Czech University of Life Sciences-Dpt Economy - Prag (Czech Republic). Burgundy School of Business-BSB - Dijon-Lyon. European Business School-EBS - Paris.
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