Les avions de chasse de 5e génération sont des plates-formes multi-senseurs connectées aux autres acteurs du champ de bataille. Les avions des chevaliers du ciel ont cédé la place à des systèmes de capteurs – tel le F-35 – chargés de frappes furtives, et intégrés dans la toile des systèmes d’armes alliés de la guerre en réseau.
Les États-Unis et leurs alliés appliquent une stratégie qui a déjà fait ses preuves pendant les guerres du Golfe et du Kosovo : « foudroyer » l’adversaire, au moyen de frappes aériennes dites « chirurgicales », et synchronisées entre elles, par un centre de commandement réseau-centré. C’est la reddition rapide de l’adversaire, dans les délais les plus brefs possibles, qui est recherchée. C’est aussi l’enlisement dans une guerre plus longue, et impliquant des fantassins dont la vie serait risquée au combat, que l’on cherche à éviter. C’est enfin l’application du concept de guerre éclair de culture germanique, revue et corrigée avec les technologies de l’ère de la numérisation totale. Dans les années 1970, le Pentagone théorisait l’emploi de chasseurs manœuvrant à hauts facteurs de charge. À présent, il se donne pour priorité le développement d’avions d’une génération technologique plus avancée que les appareils étrangers. En 2020, les jets de 5e génération en service se comptent sur les doigts de la main. À l’exception des F-22 et F-35 américains, il convient de citer les Sukhoi Su-57 russe, et Chengdu J-20 chinois, qui n’ont pas été développés par hasard : la Russie comme la Chine sont deux puissances militaires qui entendent redistribuer les cartes en refusant de céder la supériorité aérienne mondiale aux Américains. Tous ces appareils sont constitués de matériaux qui absorbent les ondes radar, et dotés de senseurs passifs qui les maintiennent dans une bulle de furtivité, rendus indétectables par les aéronefs, stations radars et capteurs ennemis. Dans cette discrétion électromagnétique qui caractérise ces avions du xxie siècle, le pilote active ses radars et systèmes électro-optiques (EO) pour frapper l’adversaire avec des armes guidées.
Détection de l’adversaire
Le F-35, propulsé avec un F135-PW-100, est doté d’une soute interne pour l’emport de deux missiles air-air AMRAAM et deux bombes GBU-31 JDAM guidées par GPS. 2471 F-35 exemplaires seront livrés aux forces US. Une suite de senseurs font de cet avion une plate-forme numérique ailée, servie par un pilote devenu un gestionnaire de système, face à un faisceau de menaces qui gravitent. On est loin du combat rapproché qui caractérisait la guerre aérienne entre 1914 et la Corée : avec les algorithmes, les pilotes de chasse modernes s’affrontent sans s’être vus. Sur F-35, les senseurs signalent des hostiles en temps réel, traités au missile AMRAAM de 160 km de portée. Le radar à balayage électronique (AESA) détecte par faisceaux multiples plusieurs cibles, à la fois dans les airs, sur terre et sur mer. Il les pointe simultanément, et individuellement, les traitant, l’une avec un missile air-air, l’autre avec une bombe.
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En parallèle, l’EOTS éclaire d’autres cibles à neutraliser par bombes guidées laser. Une suite de guerre électronique (EWS) déclenche des contre-mesures pour le protéger, en brouillant des vecteurs hostiles, renforcée par six antennes (DAS) disposées autour de la structure, et qui détectent les départs de missiles infra-rouges en identifiant leurs sites de lancement. Toutes ces informations récoltées par les senseurs sont synthétisées par la « fusion des données », et les affiches sur le tableau de bord. C’est la « carte » intégrale du théâtre d’opérations incluant les menaces en présence : radars, systèmes de missiles anti-aériens, tels que les S-400 russes de 400 km de portée, avions de combat de type MiG, Sukhoi, Mirage. Le F-35 peut intercepter des missiles balistiques. En temps réel, la situation au combat et la présence d’hostiles sont affichées sur une visée intégrée au casque du pilote (HMD), qui a remplacé le tableau de bord. D’un simple coup d’œil, le pilote pointe une cible au sol, un chasseur, ou un drone.
Depuis les débuts de l’aviation militaire, tous les avions de chasse opèrent en patrouille de deux, ou plus. Les F-35 Lightning de l’US Air Force partent en mission à quatre, connectés entre eux, via le Multi-Function Advanced Datalink (MADL). Les données détectées par l’un des avions sont traitées dans sa propre fusion de données, et transmises aux trois autres par le MADL, qui les traitent à leur tour dans leur système. Il en résulte que si l’ennemi réussissait à neutraliser l’un des senseurs de l’un des quatre avions, ceux des trois coéquipiers prendraient le relais pour abattre cet hostile. La fusion de données est si redondante entre quatre F-35, qu’il est peu probable qu’un adversaire ne puisse leur nuire. Les F-35 et leurs alliés du théâtre d’opérations, qu’ils soient au sol ou aéroportés, s’échangent leurs données tactiques par Liaison 16 : la cartographie des participants, leur situation individuelle et les menaces sont partagées entre eux.
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Ces acteurs E-3 de contrôle de l’espace aérien (AWACS), RC-135 de surveillance du champ de bataille, E-8 de guerre maritime, avions de combat, drones de reconnaissance, ou de frappe, navires, véhicules, fantassins, et forces spéciales, sont ainsi reliés. La Liaison 16 est un canal numérique crypté et sécurisé, selon un protocole d’accès réservé aux membres de l’OTAN et leurs alliés. Le STANAG (OTAN) organise l’intégration de ces liaisons très confidentielles entre les différents types de matériels en service dans les nations alliées. Aussi, les États-Unis s’en servent de levier pour empêcher qu’un allié ne fasse l’acquisition d’armes à la Russie, ou à la Chine. Il existe un précédent éloquent, lorsque Washington a exclu Ankara du programme F-35 en 2019, en raison de l’achat par la Turquie d’un système sol-air S-400 auprès de la Russie. Un S-400 turc aurait pu recueillir des données sur la protection électronique des F-35 qui auraient été mis en service dans cette armée, et Moscou aurait pu exploiter ces informations pour adapter sa défense sol-air face aux F-35. A fortiori, les États-Unis n’avaient pas l’intention de relier des S-400 aux systèmes d’armes de l’OTAN avec la Liaison 16. En service en Turquie, le S-400 sera inutilisable dans le dispositif OTAN. Mais vu sous la perspective russe, cette opération est une ruse peut-être réussie, destinée à fissurer la cohésion de l’OTAN, en s’attaquant à sa raison d’être stratégique qui repose sur une intégration complète des nations membres par les liaisons de données américaines.
Nul doute que les États-Unis tentent de maîtriser la connectique interalliée. L’exportation d’avions de combat américains aux alliés répond à cette logique. Les codes sources de programmation des avions de chasse F-15, F-16, et F-18, et F-35, ne peuvent pas être modifiés dans les pays auxquels ils ont été exportés. À distance, le Pentagone a aussi le pouvoir de neutraliser les codes sources de ses jets qui opèrent sous d’autres cocardes. Si un allié récalcitrant veut utiliser ses avions dans un cadre qui n’a pas l’aval de Washington, les codes sources seront coupés et les avions ne décolleront pas. En mai 2020, le Premier ministre de Malaisie a déclaré que les huit F-18 de son armée étaient inutilisables au combat, sans autorisation américaine. Une fatalité qui s’imposera aux nations de l’UE qui ont acheté des F-35 : le Danemark (27), la Norvège (53), l’Italie (90), le Royaume-Uni (138), les Pays-Bas (46), la Belgique (34) et la Pologne (32). Une liste d’Européens qui savent pourtant bien qu’ils achètent des plugs-in de souveraineté militaire américaine. Le F-35 a également été commandé par l’Australie (100), Israël (50), la Corée (40), le Japon (147), et Singapour (4).