<i class='fa fa-lock' aria-hidden='true'></i> Chartreuse : la liqueur des moines

22 septembre 2020

Temps de lecture : 3 minutes

Photo : Fabrication de la Chartreuse (c) ZEPPELIN/SIPA/1903051225

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Chartreuse : la liqueur des moines

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Une bouteille de chartreuse est un résumé de l’histoire de France. On y boit l’Ancien Régime, le blanc-manteau des monastères, les affres de la Révolution et de la guerre religieuse, l’amour des bons produits, le développement entrepreneurial, le savoir-faire et le savoir vendre. Une bouteille de chartreuse illustre ce qu’est le luxe alimentaire : un enracinement dans un terroir et un paysage, une inscription dans une histoire et une légende, une ouverture sur le monde.

Cette histoire de liqueur débute en 1605 quand le maréchal d’Estrées donne une recette de plantes distillées aux chartreux de Paris. Il espère que ces savants en botanique et en distillation arriveront à la déchiffrer et à la produire. Il a fallu plus d’un siècle d’essais et d’échecs pour que la recette fût mise au point vers 1774. 130 plantes sont distillées pour produire une boisson hygiénique vendue dans les environs de Chambéry et de Grenoble. La Révolution engendrant guerres et exils, la production s’arrête, jusqu’au retour des moines dans la Grande Chartreuse fondée par saint Bruno en 1084.

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En 1840 est inventée la chartreuse jaune, qui complète la verte dont la méthode de fabrication a été affinée. La renommée de la liqueur s’étend, on lui prête des vertus médicinales, notamment dans la lutte contre le choléra en 1832. En 1903, les moines sont expulsés de leur monastère lors de la guerre religieuse conduite par Émile Combes. Ils partent à Tarragone avec leur savoir-faire, ouvrant une nouvelle page de la chartreuse, dont les bouteilles sont aujourd’hui recherchées par les collectionneurs. Le retour en France se fait en plusieurs étapes, 1929 et 1940. La distillation reprend, les ateliers sont agrandis et modernisés, jusqu’à s’installer à Voiron. Aujourd’hui, c’est plus de 1,5 million de bouteilles qui sont produites par an, vendues à travers le monde, servant de base à de nombreux cocktails.

Publicité et image de marque

Le succès engendre les copies et les contrefaçons. Dès le xixe siècle, les moines ont lutté contre les fausses chartreuses afin de maintenir l’intégrité de leur marque. Ils ont engagé des procès et créé une bouteille remarquable, étiquette et forme, pour que l’authentique chartreuse soit identifiable par le consommateur. Ils ont également engagé une vaste opération de réclames déclinée sur des supports variés : buvards, murs peints, affiches ; le début du xxe siècle associe l’Art déco, le talent de l’innovation et l’inventivité publicitaire. De beaux objets qui disent une marque et véhiculent une ambiance donnant envie d’acheter. L’histoire se vend, avec son authenticité et le mystère de sa fabrication.

Le goût seul ne peut suffire : boire une boisson, c’est aussi boire le paysage qui l’a vu naître, l’histoire qui l’a formée, la culture qu’elle transmet. C’est pourquoi toute dégustation est culturelle. Il lui faut aussi des propagandistes qui en vantent les vertus et suscitent le désir de les imiter. Ce sont d’abord les officiers de l’armée des Alpes, qui découvrent cette boisson en 1848 et qui, l’ayant appréciée, la propagent dans les cercles militaires. Durant la période coloniale, elle est appréciée pour ses vertus digestives et curatives. Elle résiste à la chaleur et à l’humidité et accompagne ainsi les soldats de l’Empire de l’Indochine à l’Afrique. C’est ensuite le prince de Galles, futur Édouard VIII, qui la découvre durant la Grande Guerre et l’importe en Angleterre.

Aux vertus gustatives de la boisson s’ajoutent le mythe des chartreux et le mystère qui entoure l’ordre cartusien plongé dans le grand silence. L’élixir transmet une image ; boire un verre de chartreuse, c’est accéder à une histoire et à un secret. Les guerres, les expulsions, les malheurs ajoutent de la légende au mythe et renforcent la marque. Les amateurs recherchent les vieilles bouteilles, le produit ayant la capacité de vieillir et donc d’affiner et d’améliorer ses arômes. C’est la recherche continue de l’ancienneté, façon de se brancher à une histoire révolue et de remonter le temps. Ancrée dans le terroir du Dauphiné, la chartreuse survit en se vendant à travers le monde. C’est ce qui fait son mythe et lui donne ce goût si particulier.

Michel Steinmetz, Chartreuse. Guide de l’amateur de liqueur, Glénat, 2019.

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Photo : Fabrication de la Chartreuse (c) ZEPPELIN/SIPA/1903051225

À propos de l’auteur
Jean-Baptiste Noé

Jean-Baptiste Noé

Docteur en histoire économique (Sorbonne-Université), professeur de géopolitique et d'économie politique à l'Institut Albert le Grand. Rédacteur en chef de Conflits.

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