Affrontements entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan

26 juillet 2020

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Affrontements entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan

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Initiés le 12 juillet dernier dans des circonstances demeurées floues, les combats à la frontière de l’Azerbaïdjan et de l’Arménie font craindre un risque de déflagration du Caucase au profit de la Turquie.

 

Le Tavush sera-t-il la prochaine poche de Dantzig ? Cette région frontalière du nord-est de l’Arménie au relief escarpé, aux frontières entortillées et aux paysages luxuriants est le théâtre depuis les années 1990 d’affrontements sporadiques de part et d’autre de la frontière. Or, les affrontements initiés le 12 juin ne se déroulent pas au Karabagh, situé à 200 km de là, mais le long d’une frontière internationalement reconnue ; plus précisément dans une zone située à une poignée de kilomètres des couloirs énergétiques transitant les hydrocarbures de la Caspienne vers la mer Noire.

Si les deux parties se renvoient mutuellement l’accusation d’avoir lancé l’offensive le premier, on notera que les affrontements sur le terrain se sont limités à ce jour sur le territoire de jure de la République d’Arménie, l’objectif des unités arméniennes visait essentiellement à reprendre pied sur les hauteurs stratégiques de Kharadash, colline stratégique qui comme l’attestent Google map se situe en territoire arménien.

 

Pour l’Arménie, défendre cette frontière en reprenant une position stratégique constitue en soi un enjeu défensif. Le fait est que le Tavush est la seule région frontalière arméno azérie habitée. Dans ce nouvel épicentre, un chapelet d’une demi-douzaine de villages jouxte cette frontière, certains postes militaires azéris se situent parfois à 300 mètres de ces villages régulièrement ciblés par des tireurs d’élite.

Le Karabagh aux abonnés absents

Voici des années que les armées des deux pays voisins grignotent du terrain sur de nombreuses portions de la frontière que ce soit au Tavush comme dans l’enclave du Nakhitchevan, au sud-ouest de l’Arménie, afin de gagner des positions plus favorables. Les hostilités en cours semblent pour l’heure cantonnées à un niveau purement local. Elles ont causé en une semaine une trentaine de victimes militaires, dont cinq Arméniens et vingt-sept Azéris, parmi lesquels deux hauts gradés.

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Rares ont pourtant été les médias à distinguer la différence entre le litige autour du contrôle du Haut Karabagh de cet affrontement en cours qui s’apparente à un conflit inter étatique classique ; et qui, fait singulier, oppose deux États qui ne sont pas officiellement en guerre. De mémoire, le dernier conflit de haute intensité entre Arméniens et Azéris remonte à avril 2016 autour de la ligne de contact séparant l’Azerbaïdjan de la république autoproclamée de l’Artsakh (Haut-Karabagh pour l’Azerbaïdjan). L’offensive azérie visant à changer un statu quo défavorable s’était soldée par des gains minimes de territoires par les Azerbaïdjanais. Côté arménien, cette guerre de quatre jours avait été vécue comme un traumatisme, dans la mesure où celle-ci avait révélé l’impéritie d’une partie de l’état-major et d’un pouvoir honni qui allait tomber comme un fruit mûr à la faveur d’une révolution de velours deux ans plus tard.

 

L’Arménie et l’Azerbaïdjan (c) Wikipédia

Depuis une vingtaine d’années, l’Azerbaïdjan se démène et déploie des efforts colossaux auprès des forums multilatéraux pour exclure le Haut Karabagh de tous les formats de négociations.  Il s’agit pour Bakou de présenter ce différend comme un conflit international opposant l’État arménien et azéri, alors qu’Erevan et Bakou ne sont pas officiellement en guerre et qu’Erevan ne reconnaît pas l’indépendance de la république autoproclamée de l’Artsakh afin de ne pas entraver les négociations en cours sous l’égide du groupe de Minsk, coprésidé par les États-Unis, la France et la Russie.

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Toujours est-il que ces affrontements interviennent dans un moment diplomatique particulièrement tendu entre les deux anciennes républiques soviétiques. Une semaine avant le début des affrontements, le président azerbaïdjanais Ilham Aliyev, affirmait rejeter en bloc toute négociation avec l’Arménie dans le but d’en finir avec ce « conflit gelé » de plus de 30 ans, accusant Erevan de mauvaise foi et de préférer entretenir le statu quo à son avantage.

 

Sur le terrain de la propagande, la partie arménienne s’échine à dénoncer les bombardements azéris sur ses infrastructures civiles, écoles, maisons, dispensaires. Tandis que Bakou alerte la communauté internationale que ses gazoducs et oléoducs reliant Bakou-Tbilissi–Ceyhan sont à portée de tirs de l’armée arménienne. De fait, le ministère azerbaïdjanais de la Défense est allé jusqu’à proférer la menace de bombarder la centrale nucléaire de Metsamor située à une dizaine de kilomètres de la capitale arménienne. Déclaration qualifiée par Erevan comme une forme de « terrorisme d’État », mais qui pourrait traduire un climat de forte nervosité dans les rangs de l’armée azerbaïdjanaise, laquelle enregistre des pertes humaines et en matériel bien plus conséquentes que la partie arménienne qui n’a pas manqué d’exhiber son trophée ; drone de fabrication israélienne, le Elbit Herms 900 (vendu 30 millions de dollars pièce) abattu par le nouveau système arménien de défense de son espace aérien.

 

Ce revers miliaire des Azéris vient gonfler la frustration d’une population chauffée à blanc par les harangues d’un pouvoir visiblement aux aguets et fortement ébranlé par les conséquences funestes de la chute de la demande des hydrocarbures en ces temps de pandémie.

Le régime des Alyev craint que de nouvelles vagues de contestation populaires se succèdent à la manifestation spontanée dans les rues du centre-ville de Bakou pour réclamer une guerre totale avec l’Arménie. La prise d’assaut du parlement et l’intervention musclée des forces de l’ordre ont réveillé des mauvais souvenirs, car à deux reprises le pouvoir avait changé de main du fait des défaites militaires au Karabagh. Cette séquence nous rappelle que le conflit du Karabagh est un facteur à double tranchant pour l’homme fort de Bakou, tantôt catalyseur du nationalisme azéri, tantôt menace pour sa légitimité. Une légitimité sans commune mesure avec celle dont jouit le Premier ministre Nikol Pachinian en Arménie.

 

Bakou et Erevan otages de la rivalité russo-turque

 

Depuis des décennies, le régime dynastique des Aliyev qui règne sans partage sur cette république regorgeant d’hydrocarbures, agite le chiffon rouge de l’arménophobie pour détourner les regards sur les problèmes internes que connait ce pays richissime, mais frappé par des inégalités de plus en plus criantes. Si Bakou jouit d’une solidarité sans retenue du grand frère et partenaire stratégique turc au nom du panturquisme, l’Arménie quant à elle a intégré l’organisation du traité de sécurité collective (l’OTSC). Avec la présence d’une base et de gardes-frontières russes sur son sol. Erevan y voit le gage d’une assurance vie en échange d’une relation de plus en plus asymétrique. Or, si l’Arménie a convoqué une réunion de l’OSTCE, elle l’a fait surtout pour exposer sa position que pour déposer une demande d’assistance.

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De son côté l’Azerbaïdjan a déplacé le curseur vers la Turquie. Au cours des premiers jours de combats, ses dirigeants ont fait à maintes reprises la navette à Ankara pour engranger des soutiens. Tandis que vu de Moscou cette escalade est perçue comme une tentative de la Turquie de s’immiscer dans une région jusque-là considérée comme sa chasse gardée. N’ayant pas intérêt à voir son pré carré caucasien déstabilisé par la Turquie en quête de nouveaux fronts dans le grand jeu qui se dessine de la Libye à l’Irak en passant par Chypre et la mer Égée, la Russie qui vend des armes aux deux belligérants, veut agir comme un facteur de dissuasion et se cantonner dans un rôle de médiateur. Une tache rendue davantage malaisée par l’éviction survenue au plus fort des affrontements d’Elmar Mamediarov, qui dirigeait la diplomatie azérie depuis 2004. L’ancien ministre des Affaires étrangères était un pur produit de la diplomatie soviétique, et l’interlocuteur privilégié du Kremlin à Bakou.

 

Vu d’Ankara et au regard des déclarations tonitruantes du président Erdogan de soutien total au « petit frère » azerbaïdjanais, ces affrontements sont une aubaine. Condamnant sans nuance l’Arménie, pays sur lequel elle exerce un blocus terrestre depuis 1993 et n’entretient toujours pas de relations diplomatiques, la Turquie développe une rhétorique panturquiste qui éveille en Arménie le souvenir douloureux du génocide de 1915. De fait l’Arménie et ses 29 800 km² de territoires reconnus constituent aux yeux des nationalistes turcs le principal obstacle à la jonction de la Turquie avec les républiques turcophones d’Asie centrale. Hypothèse inacceptable pour l’Iran voisin, dont la crainte que l’irrédentisme turco-azéri se fasse au détriment de son territoire explique sa neutralité bienveillante vis-à-vis de l’Arménie depuis le début du conflit du Karabagh.

 

Si le dessin d’Ankara se réalise, tout porte à croire que les Arméniens, mais aussi les Azerbaïdjanais seront les principales victimes d’une importation du différend turco-russe dans cette poudrière.

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À propos de l’auteur
John Mackenzie

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Géopolitologue et grand reporter, John Mackenzie parcourt de nombreuses zones de guerre.
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