Livre – Sécurité et développement dans le Sahel

20 juillet 2020

Temps de lecture : 7 minutes

Photo :

Abonnement Conflits

Livre – Sécurité et développement dans le Sahel

par

Située entre l’Océan Atlantique et l’Océan Indien, zone de contact traditionnelle entre le monde  arabo -musulman et l’Afrique, la zone  saharo- sahélienne,  plus  strictement le Sahel, est devenue en quelques années une des zones conflictuelles les plus importantes de la planète, susceptible de devenir la  terre  d’accueil du djihad mondialisé à mesure que celui-ci reflue de la Mésopotamie et du Croissant fertile, comme elle est une des sources ou point de passage des flux migratoires se dirigeant vers l’Europe.

                                         

Ces enjeux,  géopolitiques, sécuritaires, économiques, humains et sociétaux , abondamment analysés dans ce livre collectif, intimement mêlés, se  déroulent dans  des pays à la plus  forte natalité du monde, comme l’est le Niger  (taux de  fécondité de 7,3 ), phénomène  qui  accentue les  pressions sur les  ressources, les sols, les  services publics  (éducation,  santé…) alimentant des insatisfactions  croissantes au sein d’une jeunesse inemployée à 35 à 40% qui accède désormais aux  flux d’information, de propagande et de mobilisation mondiaux  ce qui contraste  avec la situation d’enclavement  dans laquelle se trouve la majorité des pays sahéliens, créant de véritables chaudrons  sécuritaires.

 

Une zone aux multiples fragilités

On peut dire que la zone du Sahel cumule désormais, en dehors des pandémies, six des sept plaies de l’ Afrique, même si cette image véhiculée par la pensée européo centrée peut être remise en cause : désordre sécuritaire, sécheresse, famine, malnutrition, pauvreté, pandémies ( le  taux de prévalence du SIDA est de moins de 1% en Mauritanie et de moins de 10% dans les quatre autres membres du G5 Sahel contre plus de 30% au Zimbabwe et au Botswana), corruption et trafics de toute nature -héritage des frontières coloniales-, faible couverture sociale (éducation, santé, ) et administrative, déficience de la construction étatique et gouvernance.

L’intervention française au Mali, en janvier 2013, l’opération Serval, a ravivé l’attention portée sur cette zone, mais c’est de la  « guerre globale contre le terrorisme »,  que l’on peut dater l’intérêt mondial à l’égard de la bande sahélo -sahélienne , lorsque Washington créa, en novembre 2002 , la Pan Sahel Initiative (PSI), et mit en œuvre une politique d’aide militaire aux pays de la région. Si depuis l’activité militaire américaine se concentre sur le Niger, d’autres acteurs, en dehors de la France, ont développé   des activités dans les pays sahéliens   contingent onusien de la MINUSMA et diverses opérations de l’UE ( EUTM Mali, EUCAP Sahel au Mali,  EUCAP Sahel au Niger). Tout récemment d’ailleurs, la Russie, désireuse d’effectuer un retour en Afrique, vient de signer, le 26 juin  2019 un accord militaire avec le Mali.

À lire aussi : Le Sahel la nouvelle assise territoriale du terrorisme mondial

Diplômé en journalisme (Université de Dakar), communication (Université du Texas, Austin) et éducation (Florida State Université), Maman Sambo Sidikou Secrétaire exécutif du G5 Sahel présente un tableau complet, vivant et concret de la situation sécuritaire et de ses liens avec la problématique du développement sans lequel il ne saurait y avoir de stabilité et de prospérité. Son riche parcours lui a fourni bien des cartes pour jeter ce regard global sur une région, dont les nuances échappent souvent à l’observateur même averti. En effet il a été directeur de cabinet du chef de l’État de la République du Niger, ministre des Affaires étrangères et de l’Intégration africaine, ambassadeur du Niger aux États-Unis, Représentant spécial du Président de la Commission de l’Union africaine pour la Somalie et chef de l’AMISOM, Représentant spécial du Secrétaire général des Nations unies pour la République démocratique du Congo et chef de la MONUSCO. Il a également travaillé pour diverses institutions de développement (Banque mondiale, Save the Children, UNICEF, USAID) en Afrique, en Amérique et en Asie.

 

L’insécurité : le grand mal du Sahel

Au Sahel, la demande de sécurité est devenue épineuse quand certaines contradictions n’ont pas trouvé de solutions satisfaisantes. Pourquoi, alors que la frontière est la marque de l’État, la présence de l’administration est si discrète dans ce lieu important ? Quelle est, si loin des capitales, l’attention accordée aux citoyens qui y vivent ? Comment, lorsqu’on est absent, être perçu comme légitime, digne de confiance et capable de changer le cours d’événements sur lesquels on a peu d’influence ? C’est en ces termes que peut se poser le premier moment de notre réflexion autour de la sécurité et du développement : celui du défi posé aux États et leurs sociétés.

À lire aussi : Sahel : entre jihadisme universaliste et jihadisme ethnique

Au Sahel, la riposte s’organise avec des moyens réduits, un savoir-faire à consolider et, parfois, des territoires immenses où l’adversaire semble insaisissable. Pourtant, la région n’a connu ni le terrorisme anarchiste du début du XXe siècle ni la violence d’extrême gauche des années 1960 et 1970 et encore moins la violence d’acteurs d’inspiration « religieuse » que l’on observe depuis les années 1990. Le terrorisme est relativement nouveau au Sahel et a pris les gouvernements régionaux de court. Désormais des réseaux internationaux livrent une guerre asymétrique à des États qui, pris par surprise, tentent de réagir au mieux.

Concernant le développement, le même constat s’impose. La modestie des ressources publiques ne permet pas de faire face à l’ampleur des besoins, les compétences manquent, la gestion efficace des ressources fait défaut. Par conséquent, les services fournis par l’administration sont très en deçà de la demande. Dès lors, les citoyens recourent à des alternatives, tout en tenant l’État pour responsable de leur détresse. Les États sont écartelés entre les demandes urgentes des citoyens et les attentes, parfois contradictoires, d’alliés riches et pressés. En Europe, on attend que les forces de défense et de sécurité du Sahel « sécurisent les frontières », c’est-à-dire qu’elles empêchent la mobilité internationale de migrants gagnant le Nord. Ces derniers empruntent des voies de communication le long desquelles ils consomment et nourrissent une économie bénéficiant aux populations riveraines. Dans ce domaine, la réponse à la demande de sécurité des partenaires internationaux entre en contradiction avec la demande de prospérité de populations vivant dans des zones arides où les opportunités économiques sont réduites.

Pour la tenancière d’une gargote à Agadès (Niger), le flux de voyageurs représente une opportunité d’affaires. L’interrompre et vouloir le remplacer par des projets dits « humanitaires » ou « de développement » est, dans le meilleur des cas, une hypothèse hasardeuse. Elle ne s’est pas vérifiée et cette situation conduit nombre de Sahéliens à trouver « leurs » solutions sans se fier à l’administration. Grâce aux progrès de la santé, les populations locales sont plus nombreuses et plus jeunes. De plus en plus, elles résident dans des villes où les disparités sont grandes – mais dont la taille et la sécurité contrastent avec certaines mégalopoles du continent.

À lire aussi : Sahel : sortir de l’impasse ?

L’insécurité dont souffrent les Sahéliens est d’abord économique, c’est celle de l’agriculteur du Gorgol (Mauritanie) qui attend les pluies des mois durant, tout en espérant que leur brièveté et leur violence ne nuiront pas à son champ et son cheptel. C’est celle de l’habitant du delta intérieur du Niger qui n’est pas certain de trouver une administration fiable pour attester de la propriété de son champ ou de fonctionnaires capables de protéger son cheptel des épizooties/maladies. C’est celle d’un jeune dont les parents se sacrifient pour payer les études, et qui ne trouve pas d’emploi lui permettant de vivre dignement.  Pour nombre de civils, les forces de sécurité et de défense vivent en vase clos. Elles donnent l’impression que l’État demeure l’institution la plus forte de leur pays.  Mais de larges zones sont abandonnées par les agents de l’État, situation qui ébranle le contrat social entre populations et administration. Elle explique l’apparition d’individus qui s’arment au nom de la défense des leurs, d’un territoire, d’une communauté ou d’un groupe.

 

Une réforme des forces armées nécessaire

Dans l’urgence, des alliances se font entre forces étatiques et milices. Loin des capitales, le rapport de forces s’inverse et les agents de l’État se retrouvent parfois dépourvus d’autorité et entourés d’une population indifférente, quand elle n’est pas hostile.  En conséquence le crédit de l’administration a grandement souffert d’une approche sécuritaire qui, au nom de la « lutte contre le terrorisme », a dangereusement fragilisé le tissu de nos sociétés. L’ascendant dont tirent parti les terroristes se nourrit de la crainte qu’ils inspirent à des populations prises en otage. En patrouille, les soldats des bataillons de la Force conjointe roulent parfois sur des mines ou périssent dans des embuscades. L’urgence des soldats est opérationnelle. Il faut donc équiper les contingents, ce à quoi le Comité de soutien de la Force conjointe s’emploie avec des commandes de matériel. La formation des forces de sécurité et de défense doit également être mise à jour – ce qui est fait à Nouakchott avec le Collège de défense, à Bamako, avec le Collège sahélien de sécurité ou à Koundoul (au Tchad), avec l’Académie régionale de police.

Une série d’articles du livre insistent sur la nécessité aux forces armées d’apprendre à mieux travailler par-delà les frontières et à faire des civils leurs premiers alliés pour obtenir de l’information ou un concours logistique.  Elles doivent également créer un climat de confiance entre soldats et civils. C’est pourquoi la Force conjointe s’accompagne ( on trouvera des études  de cas éclairantes) parfois de fourniture d’assistance médicale et alimentaire aux populations vulnérables des « fuseaux » d’intervention .Pour atteindre ces objectifs et renforcer l’influence de l’administration, le G5 Sahel  expose un autre article forme des praticiens travaillant dans les domaines de la défense, de la police, de la justice et du lien social – il s’agit des acteurs de la société civile et des leaders religieux. Avec l’appui de l’Union économique et monétaire ouest africaine (UEMOA), une initiative pilote de coopération transfrontalière entre les municipalités des régions du Sahel (Burkina Faso), de Tombouctou (Mali) et de Tillabéri (Niger) a été mise en place. En matière de développement, l’action du G5 Sahel repose sur le principe du faire-faire. Il est primordial de confier la mise en œuvre des projets de développement aux acteurs sahéliens. -collectivités territoriales, acteurs de la société civile entreprises.

À lire aussi : Opération Barkhane : une mise au point nécessaire

En définitive constatent maints contributeurs de cet ouvrage, les 5 500 hommes de l’opération Barkhane ne peuvent sécuriser une région de 5 millions de kilomètres carrés où vivent près de 80 millions d’habitants. Il faut investir en faveur de « la sécurité économique », facteur de paix sociale. Pour y parvenir, il faut poursuivre le dialogue politique afin de fédérer les énergies vers l’obtention d’une prospérité partagée. Mais il reste difficile de distribuer les moyens humains et financiers entre ces divers objectifs. L’enjeu est d’aboutir à une meilleurs proximité et implication des Sahéliens. Une ’intégration régionale des États plus assurée et efficace doit suivre celle des populations sahéliennes dont les relations culturelles et les transactions commerciales ignorent les frontières.  L’UEMOA, a débuté par appuyer l’économie agropastorale – sachant que le cheptel du Sahel nourrit les villes du littoral ouest-africain et contribue à l’industrie du cuir. Il est vrai que le Sahel dispose de compétences sous-estimées qui doivent être valorisées. Le chemin de la paix, de la concorde et du dialogue est encore hérissé de multiples obstacles, mais ce n’est pas une raison de le quitter. Telle est la conviction de la France, qui ne peut guère bénéficier d’une aide significative de ses partenaires européens.

 

Mots-clefs : ,

Temps de lecture : 7 minutes

Photo :

Vous venez de lire un article en accès libre

La Revue Conflits ne vit que par ses lecteurs. Pour nous soutenir, achetez la Revue Conflits en kiosque ou abonnez-vous !

À propos de l’auteur
Eugène Berg

Eugène Berg

Eugène Berg est diplomate et essayiste. Il a été ambassadeur de France aux îles Fidji et dans le Pacifique et il a occupé de nombreuses représentations diplomatiques.
La Lettre Conflits
3 fois par semaine

La newsletter de Conflits

Voir aussi

Pin It on Pinterest