On sait que le Moyen- Orient, concentre dans un espace somme tout assez restreint, un maximum de questions par nature géopolitiques, d’antagonismes multiples, comme d’enjeux politiques, religieux, économiques, sociaux et culturels. Aucun espace du monde comme celui situé entre Méditerranée, mer Noire, Caspienne, mer Rouge et mer d’Oman ne compte autant de guerres, de conflits, d’affrontements et de secousses. D’où le grand intérêt qui s’attache à l’œuvre monumentale de Gérard Fellous consacrée à la région du Moyen -Orient, à nulle autre pareille.
Que l’on en juge, cinq tomes, en tout plus de 2500 pages amples, serrées documentées qui s’étendent sur tous les pays, toutes les questions touchant à cette zone géopolitique vitale au confluent de trois continents.
Gérard Fellous a suivi dans sa carrière journalistique les évolutions géopolitiques des pays du Moyen et du Proche-Orient, à la tête d’une agence de presse internationale. Expert auprès des Nations unies, de l’Union européenne, du Conseil de l’Europe pour les Droits de l’homme et de l’Organisation internationale de la francophonie, il a été consulté par nombre de pays arabo-musulmans. Secrétaire général de la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) auprès de neuf Premiers ministres français, entre 1986 et 2007, il a traité, en symbiose avec la société civile, des questions de société posées à la République.
Sans pouvoir en rendre en compte dans la totalité, nous en rendons compte de l’essentiel, en parcourant les cinq volumes, qui constituent autant de points de repère essentiels.
Tome 3 : Trois puissances étrangères impliquées, les Nations unies impuissantes
Durant une décennie, tous les efforts de la communauté internationale pour dégager des solutions politique et diplomatique aux crises régionales, se sont heurtés aux ambitions antagonistes et à la complexité des réalités de terrain. Tous les plans de paix, comme les multiples médiations volent régulièrement en éclat. Les rapports de forces militaires sur le terrain ont multiplié les guerres asymétriques. Les intransigeances des protagonistes locaux qui privilégient les gains de la guerre, et les intérêts contradictoires des puissances régionales et internationales sont restées vivaces.
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Le Secrétaire Général des Nations unies, s’exprimant devant le Conseil de sécurité, le 10 janvier 2017, constatait que, si l’ONU avait été créée pour prévenir la guerre par le biais d’un ordre international reposant sur des règles contraignantes, « aujourd’hui cet ordre est gravement menacé. » Il ajoutait : « Les populations civiles payent un prix trop élevé (…) Nous avons besoin d’une nouvelle approche. » A chaque génération approche nouvelle, ce fut en 1957, après la malheureuse équipée de Suez, le « Newlook » d’Eisenhower. Depuis que d’approches novatrices se sont heurtées aux mêmes duretés !
La nécessaire approche diplomatique pour la Russie
Face à cette dure réalité, trois puissances étaient toujours engagées. La Russie, les États-Unis et l’Union européenne. Pourquoi la Russie de Poutine s’est-elle engagée en Méditerranée dans un tel soutien à la Syrie et au régime de Bachar el-Assad ? Tout à la fois pour des raisons de stratégie militaire, des motifs économiques (ventes d’armes, stabilisation du marché pétrolier) une volonté de retour au premier plan de la scène diplomatique mondiale. La Russie tente, depuis le début des années 2000, de faire son retour dans la Mare Nostrum. Poutine adopte une stratégie en Méditerranée qui tient compte de deux faiblesses majeures de la Russie contemporaine. Militairement elle a peu de poids face à l’armada américaine, mais il en fait un usage bien efficace. En second lieu, en diplomatie, sa stratégie ne peut éternellement se réduire à la nuisance de l’usage systématique de son veto au Conseil de sécurité de l’ONU. Moscou est en réalité sur la défensive, juge Gérard Fellous mais Poutine doit laisser croire qu’il a la main dans cette partie de poker qu’il lance autour de la Syrie, même s’il doit remporter quelques « victoires à la Pyrrhus. » L’option militaire lui est interdite et la victoire diplomatique est hors de portée dans un calendrier international chargé, dont il n’a pas l’initiative. Cette lecture de la guerre syrienne, qui met l’accent sur les faiblesses de la Russie, ne s’étend guère sur celles des Occidentaux.
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L’embarras du choix pour les Américains, une politique stable pour l’Europe
Certes tout comme sous la présidence Obama, l’administration Trump a été, dès ses débuts, confrontée à trois choix. Laisser la Russie faire perdurer le régime Assad et ne pas intervenir dans ce « panier de crabes ». Intervenir directement au sol, comme en Afghanistan ou au Vietnam, en particulier pour éradiquer le djihadisme, avec l’objectif de rependre Mossoul et de tenter d’implanter une démocratie dans le pays. Ou enfin faire sous-traiter la stabilisation du pays par une puissance régionale : l’Iran comme l’avait tenté l’administration Obama, ou la Turquie d’Erdogan, ou même les Kurdes.
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L’Union européenne, et particulièrement la France se distingue par des positions différenciées sur la Syrie et de l’arme nucléaire iranienne, tout en s’alignant sur la communauté internationale en ce qui concerne la libre circulation dans le Golfe.
L’échec de la communauté internationale
Ce que constate et déplore surtout Gérard Fellous c’est l’échec qualifié de « stupéfiant » de la communauté internationale. Mais comment croire que celle-ci qui n’est que l’addition des intérêts nationaux des divers acteurs présents sur le terrain, puisse faire œuvre de thaumaturge ? En dépit des engagements des trois puissances majeures les risques d’impunité des violations massives de la paix et des droits de l’homme par des régimes dictatoriaux ou autoritaires ou par des organisations terroristes menacent l’existence même d’une justice internationale. Le concept de « crime contre l’humanité », est largement resté théorique, alors que l’impunité des violations graves est généralisée. Il est unanimement admis que ce phénomène d’impunité constitue une entrave à la démocratie, un échec à l’autorité de la Loi et un encouragement à de nouvelles violations. Dans des sociétés qui tentaient de sortir de longues périodes de régimes autoritaires – comme ce fut brièvement le cas, en Tunisie, Égypte, Libye, Bahreïn, l’impunité a entrainé une crise de confiance des populations.
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À défaut d’attendre que les protagonistes ne s’effondrent exsangues, c’est à la communauté internationale d’imposer la paix, c’est-à-dire des solutions politiques conclut -il. Nonobstant la responsabilité des belligérants locaux, régionaux ou internationaux, le drame moyen-oriental qui renaît de ses cendres, jour après jour depuis plus d’une décennie, devra inciter les Nations Unies à s’interroger, mais sur son efficacité. En effet, l’ONU doit aujourd’hui, dans l’urgence, refonder son action, ainsi qu’elle le fit il y a plus de soixante-dix ans, au lendemain de la Seconde guerre mondiale, lorsqu’elle renaissait des cendres de la Société des Nations. On aimerait le suivre sur ce point, mais il peu probable que dans les conditions actuelles on assiste à un réel sursaut du multilatéralisme.