<i class='fa fa-lock' aria-hidden='true'></i> La guerre des tours

19 décembre 2020

Temps de lecture : 5 minutes

Photo : Les tours médiévales de San Gimignano en Toscane, Italie. Photo : SUPERSTOCK45418302_000001

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La guerre des tours

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8 novembre 2016 : le monde entier a les yeux rivés sur la Trump Tower de Manhattan, QG de campagne et résidence principale du candidat Donald Trump qui vit au dernier étage. Au pied de cette tour, des manifestations de protestation. Le nouveau locataire de la Maison Blanche est arrivé au sommet.


 

Donald Trump incarne de manière frappante cette « course à la hauteur ». De 1994 à 2002, il devient propriétaire, à l’issue d’une bataille juridique, de l’Empire State Building, gratte-ciel le plus célèbre des États-Unis. En  2001, Il annonce que son propre gratte-ciel à Chicago deviendra le plus haut bâtiment du monde. Les attentats du 11 septembre, transformant ces symboles de puissance en cibles, l’obligent à réviser ses plans. La Trump Tower de Chicago sera néanmoins l’immeuble ayant le plus grand nombre de résidences au monde, avant d’être dépassée par la Burj Khalifa de Dubaï. Suscitant rejet et fascination, à peine ralentie par les guerres, les crises économiques ou aujourd’hui les attentats terroristes, la volonté de s’élever vers le ciel n’a jamais cessé.

 

De l’Antiquité aux gratte-ciels, une course au ciel ininterrompue

Symbole de pouvoir, de réussite et de prestige, cette ambition naît quasiment en même temps que les premières constructions, qu’il s’agisse des pyramides égyptiennes (141 m pour celle de Chéops) ou des ziggourats mésopotamiens à l’origine du mythe de la tour de Babel. Le rôle des tours est la plupart du temps défensif, la hauteur permettant surveillance des alentours et prévention des attaques. La dimension symbolique va néanmoins progressivement prendre le pas. À l’époque médiévale, à San Gimignano en Toscane, par exemple, des tours sont construites par les familles qui contrôlent la ville et souhaitent faire ainsi la démonstration de leur puissance et de leur richesse. Entre les xiie et xiiie siècles, chaque tour cherche ainsi à dépasser sa voisine. La ville comptera jusqu’à 72 tours.

En Europe, la « course vers le ciel » devient un enjeu de la construction des cathédrales. « Nous ferons une cathédrale si grande que ceux qui la verront achevée croiront que nous étions fous » déclare ainsi en 1402 le chanoine de la cathédrale de Séville. Si le rôle de l’évêque ou de l’abbé demeure essentiel, une nouvelle rivalité s’installe entre villes, l’érection des flèches permet de se rapprocher des 150 m. Le « patriotisme urbain » cède la place aux rivalités nationales. La bataille prend fin sur fond d’après-guerre de 1870 : la cathédrale allemande d’Ulm (161 m, édifice religieux le plus haut au monde) dépasse en 1890 celle Rouen (151 m). Mais l’heure est à la révolution industrielle, la pierre cède le pas à l’acier et en 1889 la France écrase la concurrence avec la tour Eiffel. D’une hauteur de 312 mètres, elle demeure le monument le plus élevé du monde pendant 41 ans.

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L’heure du gratte-ciel

Il s’agit là néanmoins de constructions peu habitées, le plus souvent à caractère religieux. L’association des structures métalliques en acier, plus légères et résistantes que les murs porteurs, à deux révolutions technologiques, l’électricité et l’ascenseur (auxquels s’ajouteront dans les décennies suivantes les bétons à haute performance), va permettre aux tours à usage d’habitation (bureaux, logements, hôtels…) de prendre le relais. Ces dernières, intégrant régulièrement les progrès techniques comme aujourd’hui l’utilisation du verre ou les démarches écologiques et de développement durable, ne cesseront plus de s’élever.

La course reprend du côté des États-Unis, entre Chicago et New York notamment. La réussite capitaliste s’incarne dans les « gratte-ciel ». La limite des 200 mètres est dépassée à New York dès 1913. New York devient un terrain d’affrontement entre Walter Chrysler et John Jakok Raskob. L’enjeu : bâtir non seulement le plus haut gratte-ciel de la ville, mais aussi le plus haut bâtiment de la planète. Le Chrysler Building, dont la hauteur finale est gardée secrète jusqu’au bout, est inauguré en 1930, atteignant 319 mètres. Walter Chrysler ne profite pas longtemps de son titre : John Jakok Raskob fait ériger en un temps record l’Empire State Building qui, du haut de ses 381 m, restera le plus haut bâtiment du monde jusqu’en 1967.

 

Côté européen, le monde communiste se tient dans un premier temps à l’écart de cette folie du gratte-ciel assimilée au capitalisme. Mais dans le contexte de guerre froide qui succède à la Deuxième Guerre mondiale, l’URSS se lance dans la course et mobilise les prisonniers de guerre allemands et ceux du goulag pour ériger, à Moscou entre 1952 et 1955, sept gratte-ciels dits les « Sept Sœurs ». La tour de radio-télédiffusion Ostankino à Moscou, achevée en 1967, atteindra pour sa part 540 m, demeurant pendant 10 ans la plus haute tour autoportante du monde. En termes de structures habitées, la domination restera cependant américaine jusqu’à la fin du xxe siècle.

 

La mondialisation, nouvelle dimension d’un affrontement sans limites

La mondialisation voit s’ouvrir une nouvelle ère. Les pays asiatiques et du golfe Persique se lancent dans la construction de gratte-ciel de sorte que « c’est un système mondial unifié qui semble surgir des forêts de buildings »[1]. La course à la hauteur s’emballe. Les États-Unis sont détrônés en 1998 par les tours jumelles Petronas (452 m) de Kuala Lumpur en Malaisie. Leur succèdent, de 2004 à 2010, la Taipei 101 (509 m) à Taiwan puis, depuis janvier 2010, le Burj Khalifa et ses 828 mètres qui dominent la ville de Dubaï.

Domination cependant en sursis. Un chantier a commencé en 2013 à Jeddah, en Arabie Saoudite : la Kingdom Tower ou Djeddah Tower franchira la barre des 1 000 mètres avec une hauteur prévue de 1 001 mètres. Sa localisation est loin d’être anodine : la future plus haute tour du monde fera la démonstration de la toute-puissance de l’Arabie Saoudite aux millions de pèlerins musulmans passant par Jeddah avant de se rendre à la ville sainte de La Mecque, à une heure de là.

 

La plus haute, mais combien de temps ? Non loin de là, la ville de Bassora, en Irak, a annoncé la commande d’une tour culminant à 1 152 mètres. Et si la construction de la Kingdom Tower doit s’achever d’ici 2018, Dubaï vient de lancer la construction d’une tour encore plus haute, la Dubaï Creek Harbour. L’objectif, dans cette bataille de soft power, est de l’achever d’ici 2 020, année de l’Exposition universelle que la ville accueillera et qui devrait attirer plus de 20 millions de visiteurs…

La « course vers le ciel » ne se limite cependant pas aux pays du golfe Persique. En Asie, les 1 000 mètres en passe d’être atteints, c’est le Japon qui vient d’annoncer le projet Sky Mile Tower. S’il est mené à bien, en 2045, au cœur d’une ville nouvelle située… en pleine mer, une tour dépassant le mille (1 609 m) émergera, franchissant un nouveau seuil symbolique.

« Plus que pour tout autre bâtiment, les frontières ne sont pas étanches, des architectes américains construisent des tours en Europe et des architectes européens en construisent aux États-Unis, au Moyen-Orient et en Asie »[2]. À leur tour les villes de l’Union européenne fourmillent de projets, entraînées par Madrid et surtout Londres qui inaugurait en 2012 le Shard, plus haut gratte-ciel d’Europe. En France également, même si l’actualité y est souvent rythmée par les controverses parisiennes comme la tour Triangle.

Si l’Europe tourne pour l’instant le dos à cette « guerre des tours » mondiale, le retour de la « ville verticale » y est bel et bien une réalité.

 

 

 

  1. Une course vers le ciel : mondialisation et diffusion spatio-temporelle des gratte-ciel, Clarisse Didelon, M@ppemonde, Maison de la géographie, 2010.
  2. L’invention de la tour européenne, dirigé par Ingrid Taillandier & Olivier Namias, Éditions A&J Picard, 2009.

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Photo : Les tours médiévales de San Gimignano en Toscane, Italie. Photo : SUPERSTOCK45418302_000001

À propos de l’auteur
Thibault Renard

Thibault Renard

Responsable Intelligence économique de CCI France, établissement fédérateur des Chambres de commerce et d'industrie de France.

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