Que la guerre soit conventionnelle ou non conventionnelle on sait depuis Sun Tzu que l’attaque ou la défense la plus efficace est directement fonction de la qualité du renseignement. Dans la guerre de course les plus célèbres corsaires ne s’attaquaient pas à n’importe quel bateau. Récemment et de la même manière, les pirates somaliens connaissaient parfaitement leurs objectifs. Dans les deux cas cela supposait l’existence d’informateurs au cœur de l’ennemi disposant des moyens nécessaires pour communiquer sur l’intérêt réel des bateaux en partance. Les sous-marins allemands de l’amiral Dönitz qui torpillaient les cargos dans les convois d’approvisionnement alliés connaissaient les routes suivies par ceux-ci. Leur vie devint plus difficile quand la Résistance se mit à informer les Alliés de leur sortie des ports et que les repérages radio permirent de les localiser pendant leurs échanges avec leur centre de commandement.
De l’utilité d’un bon coup d’œil
Mais que ce soit dans le cadre de la guerre ou pour en concrétiser les conquêtes, toutes ces actions étaient extrêmement coûteuses en hommes et en matériel. Cela explique pourquoi on assiste à une évolution très nette des conceptions stratégiques. Le militaire devient le complément ciblé d’une action économique d’envergure dans laquelle la connaissance de l’adversaire par les techniques de l’intelligence économique devient la clé du succès.
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Les États-Unis qui n’ont plus les moyens d’imposer au monde leurs vues hégémoniques par le rapport de puissance l’ont compris avant beaucoup d’autres. L’affaire de la BNP ne peut se comprendre qu’en intégrant la volonté américaine d’assurer sa suprématie dans les négociations commerciales avec l’Iran. Elle impose par le biais du dollar des règles qui lui sont exclusives pour sécuriser ses propres transactions. Dans le même esprit, nul n’ignore que la prise de participation américaine dans Peugeot a obligé la marque du lion à quitter immédiatement l’Iran… ce qui a permis aux Américains de la remplacer par un fructueux marché de pièces détachées.
La procédure Discovery permet à un juge américain de réclamer toutes les pièces d’une opération réalisée ailleurs par un étranger, s’il l’a fait en dollars ou s’il utilise la bourse de New York. Le refus d’obtempérer se traduit par l’interdiction d’activités sur le territoire américain. Plus que discutable sur le plan du droit international, elle permet d’obtenir des informations utiles pour l’État et les entreprises. Dans ce domaine, l’affaire Snowden a montré à ceux qui en doutaient combien la captation d’informations en tous genres permettait de bâtir des stratégies gagnantes tant au niveau politique qu’économique. Arrêtons d’être naïf : dans la compétition mondiale comme au bridge, un bon coup d’œil vaut mieux qu’une mauvaise impasse.
L’intelligence économique par sa pratique de la veille et de l’analyse permet à toute entreprise et à tout État d’obtenir des données utiles sur l’adversaire ou le concurrent. Dans notre monde hypermédiatisé, à travers les réseaux sociaux et avec l’aide des moteurs de recherche, la plus grande partie des informations sur un sujet est disponible légalement pour celui qui sait comment les chercher. La technique du benchmarking, qui implique l’obtention préalable des ratios de l’autre partie, permet de se comparer, de détecter ses failles et ses points forts puis de fixer les objectifs d’amélioration requis. Le développement d’une efficacité ciblée va créer un fossé infranchissable par le concurrent qui permettra, par anticipation ou négociation, d’éviter une guerre économique frontale coûteuse.
Connaître l’adversaire et le terrain
Le meilleur positionnement prix-qualité, la meilleure innovation par rapport aux attentes du marché s’imposera sans que l’entreprise ait réellement à livrer bataille. Si le concurrent est plus performant et ne se méfie pas, une campagne d’influence bien ciblée sur ses défauts permettra de limiter son impact ou, mieux, le déstabilisera aux yeux de son marché et des consommateurs habituels ou potentiels. Ainsi, paradoxalement, on peut s’éloigner de la guerre économique par la pratique conjointe de la veille à la recherche d’informations, de la sécurité pour protéger les siennes, et de l’influence pour transformer le consommateur ou utilisateur en promoteur convaincu de la marque ou du produit.
Les outils modernes de recherche, de sélection et de traitement des données doivent se réactualiser tous les jours avec la croissance exponentielle des capacités des technologies numériques et du cyber espace. Nous ne sommes qu’au début d’une révolution des process qui va se développer dans les prochaines années. Dans ce bouleversement permanent, celui qui bénéficie des meilleures armes du moment possède un avantage concurrentiel réel. La disponibilité croissante des données dans le big data, le suivi des objets par les puces rfyd, l’utilisation de matériel connecté où que l’on soit, changent le traitement des conflits concurrentiels. Si la stratégie globale reste essentielle car elle donne l’axe d’effort, l’art opératif cher au maréchal Ogarkov et la tactique deviennent inutiles puisque l’on sait très précisément où l’on va et comment. C’est le plus performant, le plus rapide, le mieux positionné qui gagne ; or il ne peut le devenir que par la pratique permanente d’une intelligence économique aux outils sans cesse modernisés. On évite la guerre mais ceci a un coût car, dans ce type de compétition, on ne gagne pas au rabais.
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La victoire n’est concevable qu’en ayant, durant tout le déroulé de la méthode, la volonté d’avoir en permanence une parfaite connaissance de l’adversaire et de son comportement. Loin de se contenter de rester sur la défensive il faut revenir à l’adage disant que la meilleure défense c’est l’attaque. Dans la guerre de mouvement l’important est de fixer l’adversaire, si possible dans une position défavorable, ce qui suppose une parfaite connaissance de l’ennemi et du terrain. Dans le monde économique il en est de même.
La pratique de l’intelligence économique tout en permettant de la faire dans les meilleures conditions réduit la guerre à sa plus simple expression. Mais cela implique d’abord une parfaite connaissance de soi-même, puis d’acquérir celle de ses concurrents et partenaires, amis ou ennemis. C’est la comparaison des chaînes de valeurs spécifiques de chacun qui va nous permettre de créer la différence en construisant un avantage concurrentiel dans la durée suffisamment fort pour amener l’autre à renoncer à la guerre car il la sait d’avance perdue.
Comme dans une course de fond, celui qui court en tête ne peut être rattrapé, sauf accident, dans les derniers kilomètres.