<i class='fa fa-lock' aria-hidden='true'></i> Mondialisation : rien ne changera

13 juillet 2020

Temps de lecture : 5 minutes

Photo : Une boulanger pendant le confinement //MERESSELOUISE_1.87/2004021458/Credit:Louise MERESSE/SIPA/2004021503

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Mondialisation : rien ne changera

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« Rien ne sera plus jamais comme avant » avancent certains prévisionnistes. Nous combattrons les inégalités et les premiers de cordée ne regarderont plus avec mépris les premiers de corvée qui se sont dévoués à l’occasion – comme si la reconnaissance était une raison suffisante. Le rôle de l’État sera renforcé – on ne disait pas autre chose en 2008. Les frontières seront rehaussées – mais lesquelles, nationales ou européennes ? Il faudra approfondir l’Union européenne – mais n’est-ce pas ce que ses partisans disent après chacun de ses échecs ? La puissance bascule de l’Occident vers l’Asie, mais les résultats dont se vante la Chine font douter. Le télétravail deviendra la règle, mais pas pour les ouvriers de production. Tout et son contraire. Autant dire que le monde d’après ne sera peut-être pas si nouveau.

Concentrons-nous sur un seul sujet, celui de la mondialisation. Aux premiers jours de la pandémie Alain Minc s’inquiète que mondialisation rime avec « risque ». C’est vrai. Longtemps présentées comme un modèle de rationalité, les « chaînes de valeur mondiales » se brisent : les entreprises globales avaient installé les différentes étapes de leur production là où chacune semblait la plus rentable, la coordination de l’ensemble étant assurée par leur centre informatisé. Nous en connaissions déjà les faiblesses illustrées entre autres par le « rouge de Sendai ». En 2011, l’accident nucléaire de Fukushima, près de Sendai, entraîna la fermeture (très provisoire, nous sommes au Japon) de nombreux sous-traitants, ainsi une usine qui fabriquait seule la couleur rouge destinée aux modèles Ford du monde entier. La teinte disparut du catalogue quelques semaines. Parodiant Henry Ford, nous dirions que l’on pouvait acheter la couleur que l’on voulait à condition qu’elle ne soit pas rouge.

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Le rouge de Sendai

Attendre sa future voiture quelques semaines n’est pas un drame. Attendre les médicaments et le matériel de protection en cas de pandémie plusieurs mois est beaucoup plus grave. Dès 2014, l’alerte avait été lancée par David Simonnet, président-directeur d’une société de chimie fine, Axyntis. Je l’avais invité lors du Festival de géopolitique de Grenoble que j’avais lancé et il avait mis en garde sur la dépendance des pays occidentaux à l’égard de la Chine en ce qui concerne la fabrication des principes actifs des médicaments. Il a réitéré ses craintes dans les colonnes de Conflits et dans différents médias. Sans être véritablement entendu jusqu’à quelques semaines.

Les délocalisations n’ont pas touché ce seul secteur, mais la quasi-totalité de la production industrielle de nos pays. Ce n’est pas un hasard si le pays européen qui a le mieux traversé la crise est l’Allemagne, elle qui a réussi à conserver un tissu industriel dense et presque complet. Or le secteur industriel constitue justement un tissu, un ensemble de fils entrecroisés dont chacun s’appuie sur les autres. Pas d’industrie du médicament sans industrie chimique, pas d’industrie chimique sans fabrication des machines dont elle a besoin, pas de machines aujourd’hui sans intelligence artificielle.

Dépendre de la Chine, c’est dépendre d’un pays qui développe une véritable stratégie de puissance, c’est placer sa sécurité entre les mains de Pékin. La grande redécouverte de la crise actuelle est la réalité et la gravité de la dépendance, et donc la nécessité de la frontière et des relocalisations.

Ne pas se tromper d’ennemi

Le coronavirus laisse derrière lui un champ de ruines de fausses idoles. Pourtant les maîtres à penser sont nombreux à mettre en garde. En fait ils trient dans le monde d’avant. Tous admettent qu’il faudra demain mieux considérer et mieux rémunérer les salariés (sans exagérer quand même !). Le rôle de l’État est mieux appréhendé. Mais pour eux l’ennemi principal reste le même, la nation et le peuple emblématiques du monde « d’avant avant ». Le leader du Mouvement 5 étoiles au Parlement européen, Ignazio Corrao, vient d’affirmer que les partis de droite s’adressent à « un public d’analphabètes » ; « déplorables » pour Hillary Clinton, à mettre « au ban de la République » selon BHL, les adversaires de l’ordre en place ne seront décidément pas mieux considérés dans le monde d’avant que dans le monde d’après.

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Dès lors les partisans de la mondialisation espèrent qu’elle reprendra son cours. Un temps désarçonnés, Minc et Attali mettent en avant la réduction des coûts qu’elle autorise, la hausse du pouvoir d’achat qui en découle dans les pays riches et l’enrichissement des pays pauvres. On peut même penser que la crise provoquera non pas un recul, mais un surcroît de mondialisation. Il faudra, nous dit-on, plus de coopération et de réglementation internationales pour limiter les risques. Loin de réduire les transferts de capitaux, il faudra les intensifier en direction de l’Afrique et du Proche-Orient pour empêcher que ces régions s’effondrent, ce qui permettra de mettre leurs habitants au travail pour les multinationales. En période de baisse du pouvoir d’achat, les ménagères sont plus que jamais sensibles au coût de leur panier nous apprennent les enquêtes d’opinion. Et il faut s’attendre à accueillir un nombre croissant de réfugiés, déjà les ONG reprennent leur travail de bateaux-taxis entre la Libye et l’Italie, tandis que le Portugal et l’Italie régularisent les clandestins. Rien ne changera, les bons sentiments viendront au secours des grands intérêts. « La mondialisation est morte. Vive la mondialisation », conclut Zachary Karabell journaliste au Wall Street Journal.

L’idéologie mondialiste au service des intérêts

L’idéologie dominante n’a pas changé, parce que l’opinion ne sait pas par quoi la remplacer (d’où la peur) et parce que la classe dominante n’a pas changé. Elle comprend tous ceux qui ont intérêt à ce que les tendances anciennes se prolongent. Les dirigeants des grandes firmes d’abord pour qui relocaliser signifie diminuer les profits. Les cadres supérieurs de l’administration et des entreprises qui coordonnent leur stratégie mondiale et qui espèrent des promotions à l’étranger. Les membres éminents des professions libérales et les artistes qui ont accès à un marché beaucoup plus vaste s’ils sont parmi les meilleurs. Les créateurs de sociétés de haute technologie qui, l’œil rivé sur l’étranger, en attendent inspiration, financement et ventes.

Les dirigeants et les salariés des ONG qui vivent largement de subventions publiques pour prôner l’ouverture tous azimuts. En un mot, tous ceux qui se pensent comme des « premiers de cordée ». Ils craignent le « repli nationaliste » et restent convaincus des vertus de la mondialisation, la baisse des prix, l’investissement au meilleur endroit, l’innovation qui en découle. Cette analyse n’est pas totalement fausse, mais elle se cantonne au domaine économique et met de côté le politique que le débat sur la souveraineté et les frontières a remis à l’honneur. Le président de la Fondation Schuman, Jean-Dominique Giuliani, faisait preuve sur CNews, le 24 avril dernier, d’une véritable incapacité à prendre en compte ces problèmes stratégiques : « Il vaut mieux produire des parfums que des masques médicaux. » Alors pourquoi ne pas délocaliser la fabrication de nos sous-marins lanceurs d’engins en Chine, ils seront certainement moins coûteux !

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Dans la même émission, Giuliani se ralliait à l’idée d’une relance « verte » et nul doute que l’Union européenne suivra cette voie. On sent déjà se dessiner l’idéologie du monde d’après, étrangement semblable à celle du monde d’avant – tiers-mondisme, sans-frontiérisme et écologie – et cette dernière contribuera à de nouvelles délocalisations. Laissons la parole finale à Michel Houellebecq qui a déjà fait preuve de prescience, et même de prémonition : « Nous ne nous réveillerons pas, après le confinement, dans un nouveau monde ; ce sera le même, en un peu pire. » Avec les mêmes dogmes et les mêmes certitudes.

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Pascal Gauchon

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