Depuis 2016, la sécurité des régions du nord-ouest et sud-ouest du Cameroun s’est considérablement dégradée. Les violences sociales débordent désormais en une vraie rébellion qui a proclamé en octobre 2017 l’indépendance des deux régions fédérées sous le nom d’« Ambazonie ».
Le Cameroun français a acquis son indépendance en janvier 1960. Les deux régions composant l’Ambazonie étaient à l’époque sous contrôle britannique et s’appelaient le Cameroons. La culture y était anglo-saxonne et l’économie tournée vers le Nigeria. Pourtant, en février 1961, un plébiscite local attribua la zone au Cameroun francophone. Puis, en 1972, la nouvelle constitution fit du pays un État unitaire, sur le modèle jacobin, privant le Cameroons de toute perspective d’autonomie, même culturelle. Le président Paul Biya, toujours en poste aujourd’hui, sépara la province en deux régions en 1984, afin d’améliorer le maillage administratif, de diviser les anglophones et d’éviter ainsi toute conscience identitaire chez ceux que l’on appelle les Southern Cameroonians.
Deux conflits marquants
Or, la zone a été marquée par deux conflits qui pourraient resurgir à la faveur de l’instabilité. Entre 1967 et 1970, la région voisine du Biafra s’est révoltée contre le gouvernement central du Nigeria. Or, les Biafrais exigeaient tout comme les « Ambazoniens » la reconnaissance de leurs spécificités culturelles et ethniques, ainsi que les dividendes du pétrole du golfe de Guinée.
Le conflit réveille aussi la question de la péninsule de Bakassi, en territoire camerounais, convoitée par le Nigeria en raison de ses ressources pétrolières. Les deux pays s’affrontèrent dans les années 1990 et c’est une décision de la Cour internationale de justice de La Haye, rendue en 2002, qui contraignit finalement le Nigeria à retirer ses troupes de la péninsule en 2008.
Les insatisfactions dans ces deux régions excentrées du Cameroun ont toujours été vives : faiblesses des services publics, développement économique limité, faible reconnaissance de la langue anglaise, marginalisation des communautés ethniques locales (Bamiléké et Tikar), déjà révoltées dans les années 1960.
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En 2016, des manifestations ont secoué toute la zone, menées par des enseignants et des fonctionnaires. On réclamait l’égalité de traitement avec le reste du Cameroun et l’application de la Common Law. Mais la répression poussa, le 1er octobre 2017, Julius Ayuk Tabe, leader du mouvement, à proclamer l’indépendance de l’Ambazonie, puis à lancer la création de milices qui attaquèrent les gendarmeries. Un simple courant de protestation sociale s’est donc mué en rébellion sécessionniste.
La situation porte les germes d’une vraie guerre : le 10 septembre 2018, un navire transportant des armes et des mercenaires nigérians a été intercepté par la marine camerounaise.
Il fallait avant tout que cette région ait une conscience identitaire
Des ONG en soutien de la rébellion
Julius Ayuk Tabe n’aurait pu assumer seul la mutation du mouvement. Celle-ci a été conduite par des ONG humanitaires américaines et hollandaises – notamment Unrepresented Nations and Peoples Organization et Amnesty International – qui cherchent à étendre le « droit des peuples à disposer d’eux-mêmes » (cf. Charte des Nations unies). Ces ONG, financées par des mécènes privés et soutenues par les États-Unis, fournissent à des populations marginalisées les moyens juridiques de porter leurs revendications au sein des instances internationales. Ce sont elles qui ont suggéré l’appellation d’Ambazoniens qui ne correspond à aucune tradition locale : il fallait avant tout que cette région ait une conscience identitaire.
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Il suffisait ensuite de s’en remettre à l’ONU en profitant du droit international et des failles de l’Histoire.
On s’est alors souvenu opportunément que la résolution 1352 de l’Assemblée générale de l’ONU, en 1959, avait promis au Cameroons qu’il pourrait quitter le Nigeria britannique, décision jamais appliquée puisque la zone vota pour s’intégrer au Cameroun. Les sécessionnistes se mirent à contester les termes du plébiscite de février 1961 qui ne proposait pas explicitement d’accéder à l’indépendance. On ne parle pas encore de « génocide », mais si la répression s’aggrave, les sécessionnistes pourraient utiliser cette carte.